Trois hommes, deux cafés et une bière

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Le mur blanc, que le temps a jauni, est recouvert de photos poussiéreuses. Certaines ont vu les années passer, dans ce bar aux bordures de Glasgow. Les gérants, de père en fils, prennent la pause auprès de visages inconnus, qui sont pour certains devenus des proches. Une brindille sur laquelle pend une petite fleur séchée décore une de ces photos.

Le Òran Mór s'est donné des airs de pub fantôme, en cette matinée pluvieuse. Quelques âmes sont venues se réfugier à l'intérieur, tandis que d'autres n'ont tout simplement pas décollé leurs postérieurs de ces tabourets. Le barman nettoie un verre, discutant avec un habitué qui vient se confesser. Devant le mur de photos, un homme de grande taille s'est assoupi. Il avait posé sa tête sur le bar, à peine la porte passée. Par habitude, le gérant avait déposé à côté de lui une bière. De temps en temps, elle diminue pour ne pas perdre de sa fraicheur.

Deux hommes pénètrent par la porte grinçante et saluent gaiement le barman et le gérant, mais les réponses ne sont pas aussi vives. Il est trop tôt.

« Y a pas âme qui vive ici, lâche soudain un inconnu, commandant deux cafés par la même occasion.

— Il est peut-être un peu tôt, ou vraiment très tard pour être autant de bonne humeur, m'sieur, lui répond sur un ton laconique le barman. »

Les deux inconnus ricanent et vont s'asseoir face au mur de photos, trop proche de l'endormi à la bière. « Tu sais ce qu'on dirait, Dan ? On dirait les pubs où un tas de stars viennent. Ils mettent des photos comme ça, dedans. » Le plus grand des deux essuie ses joues humides, se passant un tissu sur le visage. Il se dépêche, veillant bien à ne pas devoir fermer les deux yeux en même temps, trop occupé à détailler les photos.

« C'est peut-être des stars, t'en sais rien, répond le plus petit - et pourtant le plus imposant.

— Je pense pas. T'en reconnais un ? Le grand se penche et fronce les yeux pour mieux distinguer les formes.

— Là, c'est pas... Non, c'est personne. Franchement, c'est juste des gens de la région. Nous on connaît pas. »

La discussion allant bon train, les deux hommes ne voient pas l'indolent se relever. « Regarde, y en a une, elle me dit quelque chose ! » Lance le plus petit en direction de la photo à la brindille.

L'endormi maintenant réveillé termine sa bière et dans un bruit de satisfaction, il se tourne vers les deux inconnus. « Vous pouvez pas venir à Glasgow sans la connaître. » Il arbore un grand sourire, les yeux pétillants, prêt à leur raconter une légende incroyable. Immédiatement, cela attire l'attention des deux hommes. « C'est qui ? » Le plus petit se frotte le menton, les yeux plissés. « Elle est morte, non ? » À ces mots, le sourire de l'endormi s'évapore et d'une main molle, il commande une nouvelle bière. « Vous les touristes, vous voulez toujours savoir la fin, sans connaître le début. Vous faites pareil avec les films ou les romans ? Vous lisez la fin, directement ? Je m'appelle Oliver Tolmach, m'sieur. » Son ton est passé d'une certaine dureté, à une bienveillance non feinte. Il attrape sa bière et regarde les deux hommes, attendant une réponse, cherchant à ce qu'on lui donne le feu vert pour entamer une histoire qu'il a mainte fois racontée.

« Moi c'est Lukas et lui c'est Ben, lance le plus petit, avant de se tourner vers son ami. On n'est pas d'ici, on vient pour affaires. Vous la connaissez ? Il pointe du doigt la femme sur la photo, une brune aux grands yeux bleus qui porte sur son visage un air triste.

— Ouais, répond Oliver, d'un air plutôt fier. Elle avait l'air d'aimer personne, mais en réalité c'était quelqu'un de gentil. J'ai passé du temps chez elle, quand j'avais plus d'endroits où dormir. » Les yeux plongés dans ceux de la photographie, l'Écossais retombe dans ses souvenirs comme un enfant qui découvre une vieille boîte cachée dans le grenier, renfermant tous ses secrets. Viktor et Lukas remarquent enfin l'étrangeté du personnage qu'ils ont en face d'eux. Oliver ne se tient pas droit tant sa hauteur est pesante, ramenant constamment sa tête vers le bar. Il a le regard vitreux et les iris bruns. Ses cheveux, mi-longs, forment de petites boucles rebondies. De temps en temps, il passe ses doigts pour entortiller ses mèches rousses.

« La bière ça ne vous va pas trop si tôt le matin, faudrait penser à se prendre un café ou un thé ! lance Ben en levant sa tasse. Oliver le regarde, sérieux, portant son verre à ses lèvres.

— Je vous promets que quand j'aurai terminé, vous commanderez quelques bières pour faire passer tout ça. »

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