Chapitre 15 : Descente finale

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Une chute de quatre mille kilomètres sépare le Darwin du site 2, alors que celui-ci ne mesure que quelques kilomètres de diamètre. La meilleure idée selon Litz consiste à décrire un arc de parabole dans l'atmosphère. Le vaisseau profiterait ainsi des frottements sans trop dévier. L'opération s'annonce complexe, mais pas infaisable. La Fédération a entraîné Matthew à des situations bien pires. Il va réussir. Maintenant que Meg 15 lui offre sa chance, il ne la gâchera pas.

Afin de se placer au mieux, l'appareil fait un dernier tour complet de la planète. Pendant ce temps, l'homme termine les préparatifs. Le Darwin s'apprête à bouleverser toute son organisation. Matthew sécurise le module-maison avant son départ. Il verrouille chaque pièce de l'habitacle, désactive tous les systèmes non indispensables, et protège les équipements. Ensuite, il vérifie les atterrisseurs. Le voyage les a légèrement usés, mais rien de compromettant. Les propulseurs fonctionneront correctement à l'arrivée, en théorie.

Il n'y aura qu'un seul essai. En cas de problème, le vaisseau amerrira et impossible de prédire combien de temps il tiendra sans couler à pic. Matthew considère les risques, mais garde le cap. DAP3 fournit un rapport météorologique que Litz ajoute dans les paramètres de vol. Normalement, les conditions seront clémentes, à l'exception d'un orage en cours de route.

« Il est temps Matthew, nous arrivons au point de descente, signale Litz.

-Je sais. Je suis prêt.

-Bon courage, je reste près de toi.

-Merci. »

Matthew se sangle au siège et saisi fermement les commandes. La trajectoire se dessine en direct sur les écrans. Il ferme les yeux et souffle. Un sourire d'Eva l'encourage par la pensée. Il se concentre.

« C'est parti. On y est bientôt Eva.

- ... 3.... 2.... 1....»

Il enclenche les réacteurs. Le Darwin plonge droit sur Meg 15 dans un ultime élan. Le monde bleu grandit devant la vitre, expulsant l'obscurité de l'espace hors du champ de vision. Le pilote salue brièvement le néant qu'il a sillonné ses vingt-six dernières années, promettant de ne plus jamais y retourner. Cette phase de sa vie s'achève sans regrets.

A mille-cinq-cents kilomètres d'altitude, le module maison doit se séparer du reste du vaisseau. Seul celui-ci résiste à l'entrée dans l'atmosphère sans se désintégrer. Matthew freine et redresse le géant de métal. Une fois à l'horizontal, il rompt les liens avec le reste de la coque. L'engin s'exécute dans un grincement plaintif. Lentement, le Darwin se disloque en deux morceaux. La tête s'échappe de la structure. Elle emporte une longue fusée ovoïde ainsi qu'une partie des propulseurs.

« Le module-maison est indépendant, annonce Litz. Opération réalisée avec succès.

-Parfait. Continuons. »

Dégagé, le module-maison poursuit son vol seul. La section du Darwin qui constituait jusque-là les réacteurs d'hyperespace et la plupart des machines de navigation s'éloigne à la dérive. Avec un peu de chance, elle suivra sa propre orbite autour de Meg 15 et travaillera sous la supervision de Litz. Désormais, le vaisseau ne pèse plus qu'un tiers de sa masse initiale, rebrousser chemin n'est plus une option.

Une vingtaine de minutes plus tard, il entre dans la thermosphère. Tout se déroule selon les prévisions. Matthew perçoit les premières secousses. La pénétration dans l'air est imminente. Le pilote profite de la vue tranquille de Meg 15 une dernière fois, l'œuvre d'art du cosmos qu'il ne verra plus jamais sous cet angle. Le ciel devient bleu-vert, les étoiles étouffent leurs lueurs, il arrive dans la mésosphère.

« Accroche-toi Litz. »

Soudain, la pièce entière est secouée dans tous les sens. Des cris métalliques rugissent de partout. Les instruments paniquent.

« Allez mon grand ! »

Le vaisseau transperce le mur de gaz. Les frottements s'accentuent encore. L'avant du module s'embrase comme une météorite. Bien sûr, il tient bon. L'homme s'efforce de maintenir la trajectoire stable. Le moindre faux pas entrainera plus de dangers. Son corps sue de partout, son cœur s'emballe au moindre soubresaut de l'engin. Son estomac se retourne dans tous les sens. Pourtant, son mental s'accroche. Il ne quitte pas un instant les commandes, ne montre pas la moindre faiblesse. Il veut atterrir, et il le fera contre vents et marrées. L'appareil tangue subitement vers la droite. Matthew jure.

«- Alerte ! Nous dévions !

-Sans blagues ! Je corrige la trajectoire ! »

Il reprend le contrôle et démarre les propulseurs pour se stabiliser. Ces derniers réussissent à ramener le Darwin dans le droit chemin. La lutte s'éternise ainsi sur des centaines de kilomètres. Contrairement à ce qu'il pensait, le combat pousse ses compétences jusqu'à leurs retranchements. Cela lui rappelle ses entraînements à la Fédération. La réalité frappe fort, contrairement à la simulation. A force de se cogner contre les accoudoirs, des bleus endolorissent ses gestes.

« On y est presque ! »

Usé par les flammes, le nez du module commence à s'aplatir. La face extérieure de la vitre d'observation rougit également sous l'effet de la chaleur. L'homme sent que la coque ne peut pas en supporter davantage à cette vitesse, il enclenche les propulseurs avant et ventraux pour ralentir. Mais il ignore que durant ce temps, une entaille s’ouvre dans quelques millimètres d’une conduite d’un circuit de refroidissement des atterrisseurs. Dans toute sa précision, Litz ne détecte pas instantanément un dommage de cette taille. Le Darwin réduit progressivement son allure et cesse de piquer. A terme, l'air ne brûle plus autour de lui. Les turbulences se calment. Le module-maison maîtrise son allure.

L'étape s'achève avec succès. Les réservoirs de carburant s'épuisent, il en reste juste assez pour terminer la manœuvre.

« Beau travail... Tu es un super vaisseau, remercie-t-il en tapotant le tableau de bord. »

Pas le temps de se reposer, l'appareil passe sous la couche d'ozone brumeuse. Le décor change du tout au tout. Des montagnes de nuages blancs se profilent droit devant.

« Ouah... »

Les caméras des sondes leur donnaient déjà des hauteurs ahurissantes, mais à l'œil nu, l'homme en a le vertige. Certains se dressent jusqu'au firmament au-dessus de sa tête.

«Ils sont énormes !

-Matthew, ne perds pas la trajectoire de vue s'il te plait, rappelle Litz.

-Oui... Désolé. »

Slalomant entre les piliers célestes, il s'approche de leur socle et finis par plonger à l'intérieur. Le Darwin s'enfonce dans le noir le plus complet. Matthew utilise la trajectoire des écrans pour se guider. Les conditions de vol se détériorent à nouveau. Comme annoncé, le vaisseau rencontre un orage. Les vents poussent le module à changer de route. Des éclairs zèbrent le décor dans des flashs brutaux. Parfois, les arcs électriques s'abattent sur la coque. Une pluie s'écoule en trombes assourdissantes sur la vitre. Matthew conserve l'équilibre et tente de rattraper les écarts de distance. Il fait face à une météo difficile une bonne dizaine de minutes. Puis, le retour de la lumière. Le Darwin quitte les nuages sans transition. Le ciel se dégage. Meg Alpha baisse à l'Ouest, cela doit être la fin de l'après-midi. La mer infinie remue à perte de vue dans toutes les directions. Là, elle apparaît enfin pour la première fois. Matthew la pointe du doigt.

« Terre en vue ! L'île Pan est juste devant nous !

-Affirmatif Matthew, il nous reste une vingtaine de kilomètres à parcourir. »

La voilà, égarée au-milieu de l'océan. Les assauts des vagues se fracassent contre l'obstacle de pierre qui tient fièrement sa place. Le volcan géant au sud fume. Les phénomènes climatiques ne l’atteignent pas. Il est le toit de ce monde. L'île est grise et marron, les couleurs des cendres et de la lave solidifiée. Matthew continue de faire ralentir l'appareil. Il descend à huit-cent mètres du niveau de l'eau.

« -On y est Litz ! »

Il survole le rivage et repère le site 2 à deux kilomètres dans les terres. Il s'agit d'une large vallée, surplombée par deux dunes de rochers, l'endroit parfait pour construire sa base.

« Je commence l'atterrissage. »

L'homme éteint les propulseurs et redirige la puissance vers les atterrisseurs. Ceux-ci se déploient sur les côtés du module. Tandis qu’ils chauffent, un liquide est pompé pour réguler leur température. Ce dernier envahit les tuyaux de refroidissement jusqu’à la micro-brèche créée précédemment. Sous la pression, elle s’élargit et engendre une fuite. Litz la décèlera d’ici trente secondes. Maintenant en sur-place, le Darwin n'a plus qu'à toucher le sol en douceur. Excité comme une puce, Matthew se place et ouvre les trains d'atterrissage.

« On a réussi Litz ! Je suis sur Meg 15 ! Oh par tous les astres ! On est arrivé jusqu'ici ! On a réussi la mission !

-Je n'en ai jamais douté Matthew. Félicitations !

-Eva serait tellement heureuse… »

Toute sa vie il n'a rêvé que de ce moment. Un trajet de vingt-six ans, trois mois et cinq jours, pour Meg 15, sa récompense. Il y est presque.

Soudain, Litz signale des défaillances multiples. Deux atterrisseurs sur le flanc tribord s’arrêtent. Matthew a à peine le temps réagir que le Darwin bascule.

« On va se cracher ! Vite ! Les amortisseurs d'urgence ! »

Aussitôt, le ventre du module libère d'immenses ballons blancs qui se gonflent instantanément. Conçus pour limiter les chocs, ils recouvrent l'entièreté de la coque. Le module vrille et part en direction d'une colline. L'homme essaie de redresser. Trop tard, l'engin percute le sommet avec fracas avant de glisser sur trois-cent mètres en raclant le sol. Matthew se réfugie en boule dans son siège. Le nez du vaisseau s'enfonce dans la terre. L'extérieur de la vitre est submergé de gravas. Le Darwin finit sa course dans un hurlement d'agonie. Ensuite, le silence.

Secoué, Matthew se relève et titube. Les tableaux de commandes ne répondent plus.

« Par tous les astres... Litz ? Litz ?! »

-Je suis là Matthew....

-Oh merci... Etat de la situation ?

-Le vaisseau a subi un atterrissage d'urgence. Deux atterrisseurs ont cessé de fonctionner, ce qui a déstabilisé la manœuvre. Leur circuit de refroidissement a été endommagé, entrainant une surchauffe. L’approvisionnement en carburant a été coupé automatiquement. La bonne nouvelle : le module-maison a supporté l'impact. Les amortisseurs ont sauvé l'habitacle et les équipements. La mauvaise : tous les propulseurs du flanc tribord sont inopérants. Une partie des systèmes de vols est perdue. Comment vas-tu ?

-Je vais bien. Sous le choc mais rien de cassé. Bon sang, c'était moins une ! »

L'homme rie, soulagé.

« Je trouve que ça s'est bien passé. Je vais faire un examen médical. Et toi évalue l'étendue des dégâts.

-Affirmatif.

-Litz ?... Où sommes-nous ?

-Je repère notre position.... Le module a dévié un peu à l'ouest du site 2, dans une vallée voisine plus petite.

-D'accord. On va se débrouiller avec ce qu'on a. Mais plus important. On a atterri !

-Affirmatif Matthew, on s'est posé sur Meg 15.

- Victoire !»

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