Chapitre 10 : Planète-océan

7 minutes de lecture

« Zone de présence atteinte Matthew, félicitations. »

Le regard rivé sur l'espace, Matthew ne répond pas. Depuis que Litz lui a annoncé sa découverte, il y a deux jours, le pilote est resté très silencieux. Ses mains relâchent mollement les commandes pour se poser sur les accoudoirs de son siège. Le visage inexpressif, il soupire perdu dans ses pensées. Derrière la vitre, la planète n'est plus très loin. Sa taille occupe maintenant un huitième du décor, seule au cœur des abysses.

A l'œil nu, elle rayonne encore plus de beauté. Sa face éclairée laisse entrevoir un bleu incroyable, à la croisée d'un cyan lumineux et d'un ciel azuré. Sa forme ne montre aucun impact, aucun cratère, aucune éraflure. Parfois, son aspect donne l'impression d'une crème légère. On aurait envie de s'y laisser fondre, de disparaître dans sa brume. Les infrarouges ont permis de percer ses mystères. Il y aurait, semble-t-il, de nombreuses masses nuageuses là-dessous. Des nuages d'eau, parcourant la planète sous l'effet de vents violents. Néanmoins sous l'ozone, les télescopes peinent à en distinguer la couche supérieure. Ne s'étend qu'un vaste firmament monochrome, plongeant dans la nuit dans un dégradé presque invisible. Son élégance l'emplit d'énigmes et de fantastique à la fois.

« Un spectacle formidable », c'est ce que pense une partie de Matthew. Une part contemple, les yeux ébahis, le fruit d'une vie d'efforts. Chaque seconde est une victoire. La traversée s'achève, le Darwin a atteint la zone cible définie par Litz. Suivant son orbite, Meg 15 devrait être à portée d'atterrissage d'ici une trentaine d'heures. Désormais sous son joug gravitationnel, le vaisseau n'a plus qu'à se laisser porter. Terminées les journées épuisantes de pilotage.

Une excellente nouvelle donc. Matthew, si expressif depuis sa sortie d'hibernation, devrait profiter de l'occasion pour exploser en célébrations. Evidemment, une partie de lui le ferait de bon cœur.

Mais à quoi bon..., se répète-t-il. Tout ceci en vain, Meg 15 est une planète-océan.

Litz a vérifié en boucle. L’homme a déclaré forfait à force de débattre. A son tour il a fini par y croire. La nature de l'objet a brusquement changé, comme pour dissuader le Darwin de continuer sa route. Si près du but, voilà que la situation se renverse complètement. Une donnée aussi importante remet en question les fondations même de SysMeg. L'opération de colonisation est compromise. Un mur géant se dresse face au vaisseau. Matthew ignore encore s'il parviendra à le traverser.

Sa vision de Meg 15 a changé : une perle à double tranchant. Un potentiel habitable comme jamais auparavant, mais un piège redoutable basé sur les fantasmes des explorateurs. Une planète-océan est un cas très rare, et très complexe. En tout, une dizaine ont été découvertes sur les millions de mondes qui composent la base de données. L'homme les a étudiées. Un noyau de métal, un manteau de roches magmatiques ou de glace, une croûte fine mais surtout une couche colossale de liquide épaisse de plusieurs centaines de kilomètres. Aucune terre, aucun endroit où atterrir, rien que des mers infinies. Avec les progrès technologiques, il a été possible de construire des bases militaires, ou des stations dessus. En revanche, aucune colonie viable ne peut s'y installer. Où vivre s'il n'y a pas de sol ? Où cultiver des terres ? L'environnement ne peut pas accueillir l'humanité pour des raisons évidentes. SysMeg est basée sur un siècle de recherches erronées. Le Darwin n'est pas suffisamment équipé pour terraformer une planète de cette nature. Tout pourrait bien s'arrêter ici.

Le goût de la défaite monte au palais de Matthew. Reculer signifie mourir, mais comment progresser ? Les élans héroïques, l'honneur d'avoir sauvé son espèce de l'extinction qui la guette, toutes ses responsabilités, sa raison de vivre, ses épreuves, pour rien. Les scientifiques l’ont expédié au-delà des étoiles dans une impasse. Il mourra pour une erreur. Immobile dans son siège de pilote, la rage lui fait serrer les mains à en arracher le métal. Même après quarante-huit heures à s'être défoulé, le brasier des émotions continue de brûler. Il serait prêt à tuer l'équipe de recherches de la Fédération. Ceux qui ont trouvé judicieux de l'envoyer dans cette voie sans issue. Pas seulement eux, mais aussi toutes les générations d'astronomes qui ont épié Meg 15. Tous soient disant plus sérieux les uns que les autres.

Comment une donnée aussi monumentale a pu échapper à un siècle d'observations ? Une aberration ! Quelqu'un devait forcément être au courant. Les moyens garantissaient des résultats sûrs. Avec les ressources, personne n'a été capable de voir que Meg 15, le cœur d’une mission officielle, était recouverte d'océans ? Certes, il y a bien eu ces études qui proposaient la présence d'étendues liquides. Matthew n'a pas pris trop de temps pour retrouver les thèses en question dans les archives du vaisseau. Cependant, aucune n'a qualifié Meg 15 de planète-océan. Une différence existe clairement entre quelques mers et une inondation globale ! Dans le premier cas, il y a des continents où se poser. Ici, rien.

Aujourd'hui, tellement de problématiques se soulèvent. Elles s'entremêlent dans le crâne de Matthew, impuissant. Son enthousiasme s'est effondré sous la charge. La solitude et le vide le pèsent. Cette planète lui en fait voir de toutes les couleurs. A trop se montrer sûr de lui, voilà ce qu'il récolte. Il ne sait plus quoi faire.

« -Matthew, demande Litz d'une voix douce ?

-Oui Litz, répond l'homme après un silence.

-Ton rythme cardiaque s'accélère, es-tu angoissé ? Je note que tu ne m'as pas beaucoup adressé la parole depuis notre dernier briefing.

-Je sais je m'excuse. Je ne me sens pas bien.

-Tu peux parler tu sais. Je suis là pour toi et je le serai jusqu'à la fin. Je suis née pour cela. »

Etrangement, le timbre de Litz n'a rien de celui d'habitude. Il s'anime d'un semblant d'émotions, un semblant d'humain. C'est la première fois que Matthew l'entend de cette manière. Elle sonne calme, affectueuse... Et apaisante. Tout comme la voix d'Eva. Pris par son ton, l'homme se laisse aller.

« -Tout ce qu'on fait là a servi à quoi Litz ? Meg 15 est un monde-océan, donc non viable. La mission est un échec.

-M'as-tu entendu te proposer le protocole : « retour à la maison » ?

-Non, d'ailleurs je ne sais pas ce que tu attends.

-Matthew, rien ne prouve ici que la mission soit un échec. En effet, nous avons affaire à un cas très rare. Mais tu connais comme moi toutes les données que nous avons récupérées à son sujet. Meg 15 possède soixante-dix pour cent des critères requis pour une planète habitable. Un record !

-Oui c'est vrai, mais en quoi cela nous aidera si on ne peut même pas se poser dessus ?

-Pour l'instant, nos recherches ne sont que générales. Rien n'indique qu'il n'existe pas une terre, quelque part. Les lignes infrarouges sont sous-marines, certes. Mais je rappelle que la précision des instruments est limitée. Les images jusqu'ici ne sont que des portraits grossiers qui donnent sa nature globale. En quadrillant la totalité de sa surface, une fois que nous serons en orbite, nous pourront rechercher la moindre trace de terres émergées.

-Il est vrai que tu as détecté beaucoup de volcans. Possible que l'un d'eux ait pu atteindre la surface, mais cela dépend de la profondeur de l'océan.

-Un paramètre que je ne peux pas mesurer encore. Donc tout est possible ! Ne penses-tu pas ?

-Au point où nous en sommes je ne peux que penser comme toi, dit Matthew en soupirant.

-Tu connais l'objectif de la mission. Evaluer le potentiel habitable de Meg 15. C'est une priorité, et c'est ce que nous faisons. Mais il reste encore du chemin. Et la mission a besoin de son opérateur. Ne baisse pas les bras trop vite.

-Je rêve où tu parles comme un humain ? »

Matthew se met à rire.

« -A force de te côtoyer, on apprend tu sais.

-Mais comment faire pour travailler à la surface de la planète ? Notre équipement n'est pas du tout adapté ?

-Matthew, je sais que tu trouveras une solution. Après tout, tu es notre héros des étoiles.

-Quoi ? »

Interpellé par ces paroles, l'homme se lève. Ces mots lui rappellent quelque chose... Des milliers d’instants, le visage d'Eva. Le héros des étoiles, la femme l’appelait comme ça avant chaque épreuve. Elle le serrait ensuite dans ses bras. Se pourrait-il ?

« -D'où tires-tu cette citation Litz ?

-De mes programmes d'interface, pourquoi ?

-Ah ça par exemple... Est-ce qu'Eva a participé à ta création ?

-Je l'ignore.

-C'est elle qui me disait ce que tu viens de dire... »

Son cœur s'apaise instantanément. Eva a donc tenu sa promesse, elle veille toujours sur lui. Une partie d'elle s'exprime à travers Litz, et ne le quittera jamais. Une belle surprise qui remonte le moral de l'explorateur...

« Pour elle, je dois continuer... ». Malgré les difficultés qui s'annoncent, il trouvera un moyen de venir à bout de la mission. Si Meg 15 est une planète océan, il faudra s'efforcer de s'adapter à l'environnement aquatique.

Soudain, une ébauche d'idée jaillit. La première qui pourra peut-être remettre de l'ordre dans sa tête.

« J'ai réfléchi... Peut-être qu'une partie de l'équipement pourrait être utilisable, ou modifiable pour opérer sur l'eau. Je vais faire un diagnostic du matériel et commencer à faire le tri. Notre base ne sera peut-être pas à sa surface, mais d'autres chemins sont envisageables.... La mission doit continuer, tu as raison. Je vais méditer sur un plan. En attendant, poursuis les études, et assures la stabilité du vaisseau dans son approche de Meg 15. Nous y serons bientôt. Dès qu'une orbite basse est possible, préviens-moi.

-Affirmatif ! Voilà qui est mieux.

-Oh et ... Litz ?

-Oui ?

-Merci. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire OswinSwald ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0