Chapitre 9 : Litz

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Sous le regard aiguisé des télescopes, Meg 15 se dénude peu à peu. Tandis que l'humain dort, la machine, elle, ne s’interrompt pas. Agent central du Darwin, Litz enchaîne activement analyse sur analyse. Elle ne parle pas, ne mange pas, et ne s'arrête jamais. L'unique chose qui l'anime est son programme.

« Priorité numéro une : enregistrer le maximum d'informations dans la base de données. Priorité numéro deux : rapatrier à la Fédération toutes les découvertes en fin de mission, ou d'urgence en cas d'échec. Priorité numéro trois : garantir le bon déroulement de SysMeg. » Ces trois phrases composent sa souche, impossible d’enfreindre ces règles. Autour de ce noyau, l’expérience développe l’intelligence artificielle.

Conçue au sein de la Fédération d'Exploration Spatiale par les meilleurs ingénieurs de l'humanité, Litz représente l'aboutissement de siècles de progrès. Au commencement de la conquête des étoiles, peu après l'Expansion, les sociétés se voulaient conservatrices du monopole humain. Aucune intelligence poussée au-dessus d'un certain seuil ne devait intégrer l'ordinateur d'un vaisseau. L’équipage gardait le plein contrôle. Mais peu à peu, l’industrie de la conquête spatiale a explosé, et les seuls freins ont été les limites de la chair. Aujourd'hui, ces mentalités obsolètes ont été abolies devant les avancées de plus en plus spectaculaires de la pensée numérique. Face au manque de ressources des planètes colonisées, les rôles se sont inversés. La surpopulation a offert des pilotes, beaucoup de pilotes. Une perte dans leurs rangs n’a plus fait grande différence. Le succès des missions a devancé les autres priorités. La machine a retrouvé alors toute son importance. Un robot efficace garanti une sécurité des investissements. Avec ou sans humain, il accomplit sa tâche sans faiblir.

Evidemment pour assurer ces fonctions, il faut un modèle de pointe. A son départ, en 485 ap E, Litz était ce qui se faisait de mieux. L'auto-apprentissage lui permet une adaptabilité à toute épreuve, et son accès à toutes les ressources de la Fédération lui donnent les bases de travail. A chaque seconde, elle gère l'entièreté des systèmes du Darwin. Matthew est son passager, un passager qu'elle maintient en vie pour respecter la priorité numéro trois. Ses dialogues personnalisés avec lui proviennent d'un programme d'interface complexe, conçu pour correspondre parfaitement à son caractère. Le but ici est psychologique. Soutenir et dialoguer avec le sujet évite la détresse de la solitude, et la folie.

Tout en travaillant à ses recherches, Litz surveille constamment l'état de Matthew. Ses capteurs sur les murs de la chambre relèvent la température du milieu, le taux d'humidité et la qualité de l'air. En cas d'écart, elle enclenche automatiquement les mesures nécessaires. Pour le moment, l'homme semble dans un sommeil profond. Un petit appareil fixé aux fibres de ses vêtements suit son rythme cardiaque. Rien à signaler. Elle peut se concentrer sur la priorité numéro une : étudier Meg 15.

Passant en revue un millier d'images à la seconde, son programme décrypte chaque élément, le classe, l'enregistre, et s'en sert pour répondre à une liste de problématiques. Actuellement, ses circuits chauffent sur trois questions en particulier.

La première, quelles sont les dimensions de la planète ?

Pour évaluer les distances dans le vide du cosmos, des unités de mesure spécifiques lui ont été inculquées. En prenant compte des échelles et du grossissement des télescopes, Litz obtient un résultat. Meg 15 mesurerait dans les dix-sept-mille kilomètres de diamètre, soit huit-mille-cinq-cent kilomètres de rayon. Son gabarit correspond bien à celui d'un monde tellurique standard. Sa masse ne peut cependant pas être calculée tant que sa composition reste inconnue. Le champ magnétique qui en émane prouve déjà la présence de métaux. D'après les théories de la Fédération, la planète serait un noyau ferreux recouvert d’un manteau de minéraux oxydés comme la silice et de poches d'hydrocarbures. Son sous-sol riche n'attendrait que d'être exploité

Deuxième question de la liste : en combien de temps la planète effectue-t-elle une rotation complète sur elle-même ? Déterminer cette période revient à connaître la durée d'une journée. Une information utile pour poser un rythme de vie une fois installés. Dans la pratique, on peut s'aider d'un indice visuel. Il suffit de marquer un élément fixe à sa surface, et de chronométrer jusqu'à ce que celui-ci revienne au même point. Malheureusement, l'atmosphère épaisse de Meg 15 empêche de voir quoi que ce soit de son sol. La couche supposée d'ozone dans sa haute altitude la transforme en une sphère lisse, d'un bleu-vert opaque. Tout ce qui se trouve en dessous paraît occulté.

De cette observation découle la troisième question actuelle : Quelle est la topographie en surface de Meg 15 ? Dans ce cas de figure, analyser son rayonnement thermique peut délivrer une ébauche de réponse. Activant les zooms des télescopes au maximum, Litz passe sa vision en infrarouge. Avec une sensibilité accrue, elle pourra détecter les points chauds de sa croûte, et réaliser une carte du globe au travers de sa brume épaisse.

Au début, les images reçues se limitent à des tableaux de pixels flous. Il faut attendre quelques minutes, le temps que la résolution se corrige. La planète se distingue ensuite comme une masse noire, tapissée de marques rouge sombre et de tâches orangées. Les premières forment des courbes anarchiques un peu partout, puis s'effacent dans le néant. Les autres, plus diffuses, indiquent la position d'amas nuageux et d'orages.

Les tracés permettent de distinguer des plaques tectoniques de différentes tailles, un signe positif indiquant une activité géologique. Meg 15 possède des chaînes impressionnantes de volcans de plusieurs milliers de kilomètres. De son cœur doivent remonter des tonnes de magma qui participent au renouvellement de la roche et de l'air. Ces premières images s'annoncent donc prometteuses. Encore une fois, Meg 15 dispose des meilleures conditions.

Un monde aussi exceptionnel peut-il être parfait ? Non, quelque chose cloche.

En examinant bien, Litz repère vite une anomalie. La base de données de la Fédération regorge d'exemples de cartes infrarouges de planètes précédemment colonisées. La signature de Meg 15 ne s’apparente à aucun autre modèle. En temps normal, un monde tellurique renvoie beaucoup plus de radiations. Une panoplie de couleurs allant du jaune vif au bleu froid. Ici, les lignes de chaleur sont bien là, mais leur émission d'infrarouges est bien plus faible que la normale. Le rouge des images est bien trop sombre, isolé au milieu d'un globe obscur.

Nouvelle question : pourquoi ce résultat ?

Cherchant une réponse logique, Litz se penche sur des situations prédéfinies. En une heure, elle parvient à monter différents scénarios.

« Scénario numéro un : Meg 15 est une planète morte ». C'est-à-dire que son activité géologique est à zéro.

« Scénario numéro deux : il s'agit d'une erreur des instruments. »

« Scénario numéro trois: une masse froide dense recouvre l'entièreté de la planète. »

Prenant les idées une par une, Litz cherche à en éliminer deux sur trois.

Si Meg 15 était vraiment morte, comment expliquer l'apparition de plaques tectoniques bien dessinées ? La planète n’a pas perdu son activité depuis ces derniers millions d'années. Litz élimine tout de suite la première idée.

Le second scénario impliquerait l'état des outils d'observation du vaisseau. L'ordinateur vérifie donc tous les appareils deux fois de suite et recommence ses mesures encore et encore. Malgré ses efforts, l'image reçue de Meg 15 ne change pas. Cela ne provient pas des instruments.

Ne reste plus que le dernier scénario. Une masse froide recouvre la surface de Meg 15. A première vue, l'explication semble possible. Les points chauds seraient cachés sous un volume froid. Les infrarouges seraient alors dispersés, et une faible proportion arriverait jusqu'au Darwin. Mais dans ce cas, qu'est-ce qui compose cette masse froide ? Quel que soit l'élément, sa quantité doit être titanesque pour envelopper Meg 15 en entier.

La réponse, Litz la déduit aussitôt.

Une banquise ? Impossible, trop près de Meg Alpha. Une tempête planétaire ? Improbable, les télescopes l'auraient détectée.

Cette masse ne peut être que liquide.

Les données de la fédération le confirment.

Des océans...

« Mise à jour : Meg 15 est une planète-océan. »

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