Chapitre 20

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Plume

Cela fait trois jours que tous les matins je vais embrasser mon fils avant de rejoindre les marchés. Callie a proposé de me remplacer, mais elle et son mari ont déjà bien assez à gérer, sans compter qu'ils gardent Erwann le temps que j’aide les exécuteurs à trouver des pistes sur les Wolfs. Je ne peux pas non plus me permettre de mettre toute ma vie entre parenthèses pour les aider.

Le matin je fais les marchés, l’après-midi à peine rentrée, je vais patrouiller avec un Bêta de Zander, essentiellement Keylan et Cayden. Nous agrandissons tous les jours le périmètre de recherche, mais nous faisons toujours chou blanc. Nous continuons souvent nos recherches jusqu’à vingt, vingt-et-une heures, avant d’abandonner pour le reste de la soirée.

Dès que je rentre, j’attaque mes emballages de thés, tisanes, remèdes pour le marché du lendemain, suivant les stocks après les ventes du jour. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer et les nuits sont courtes. C’est difficile de tout enchaîner, mais si je me suis engagée c’est surtout pour pouvoir assurer la sécurité de mon fils. Plus vite on trouvera nos assaillants, plus vite nous pourrons reprendre une vie normale. Enfin, si tant est qu’elle eut un semblant de normalité un jour… Entre devoir se cacher constamment, d’être des loups et depuis peu avoir une meute d’exécuteurs sur le même territoire, sans parler des attaques de Wolfs… “Normal” n'est peut-être pas le terme adéquat si on additionne le tout. Je dirai plutôt, un retour vers une vie moins mouvementée, oui ce serait déjà un bon début.

Depuis ce matin, avec la fatigue et nos recherches qui n’avancent pas, je suis en mode pilotage automatique. Je ne sais pas comment je parviens à renseigner les clients et les encaisser sans faire d’erreur. Heureusement, hier soir, j’ai préparé les commandes de mes clients réguliers. Un bon nombre sont déjà passés les récupérer. Mon cerveau carbure déjà quant au repérage de cet après-midi, réfléchissant à tous les endroits que nous n’avons pas encore fouillés. On passe à côté de quelque chose d’important -j’en suis certaine- mais quoi ? Je ne sais pas.

Pour avoir parcouru en long et en large le col régulièrement depuis notre emménagement avec Erwann, je connais plutôt bien le coin. Alors pourquoi on stagne autant ?

— Bah alors Plume, on rêvasse ?

Surprise, je fais un bond en arrière et manque de me retrouver fesses sur le bitume, me rattrapant de justesse à la camionnette, garée juste derrière mon stand. Puis je pose la main sur ma poitrine pour reprendre ma respiration et tenter de calmer les battements de mon cœur. Je relève la tête vers madame Artmann qui m’a sortie de mes pensées et tente de lui fournir un petit sourire. Je hoche la tête à sa question, puis récupère au bord de l’étale sa commande et la lui tends avant qu’elle ne reprenne la parole, d’une voix un peu inquiète.

— Hé bien, tu as une petite mine aujourd’hui. Pense à dormir un peu, sinon tu vas effrayer tes clients, dit-elle en rigolant et mon sourire se fait plus franc.

— Que voulez-vous, les nuits sont courtes en ce moment et les clients nombreux.

Je lui fais un petit clin d'œil, pour ne pas l’inquiéter.

— Ça devient une habitude en ce moment pour les habitants dans le col de ne pas dormir ?

— Comment ça, je lui demande surprise par sa question.

— J’ai croisé Raymond, Paula et Henriette aujourd’hui, tu sais je fais leurs courses de temps en temps. Il faut dire qu’ils ne sont pas tous jeunes et habitent assez loin des villages. Ils habitent à une trentaine de kilomètres de chez toi, là où il y a eu l’éboulement il y a deux ans. Depuis un peu moins d’une semaine, ils disent qu’ils ne dorment plus, que toute la nuit des loups hurlent à la mort et que ça en devient insupportable. Ils ont peur qu’une meute s’installe à côté de chez eux.

— Des loups ? Vous êtes sûre ?

— C’est ce qu’ils disent et Raymond est un ancien chasseur, il doit savoir de quoi il parle. D’ailleurs, ils pensent faire appel aux chasseurs si les animaux sauvages continuent leurs vacarmes.

Je hoche la tête et réfléchis du mieux que je peux. L'éboulement, il y a deux ans, a supprimé une route qui allait sur l’autre flanc de la montagne. Nous venions d’emménager quand c’est arrivé. Les villageois m’ont tout de suite prévenu et je n’ai jamais voulu y aller avec Erwann, trop dangereux pour un louveteau de quatre ans et demi. Apparemment, d’après ceux qui ont été voir, l’éboulement a laissé place à une cavité profonde dans la montagne, comme si, à l’époque des grottes s’y trouvaient.

Nom d’un radis, pourquoi je n’y ai pas pensé avant !

Je dois prévenir la meute et nous ne devons pas tarder à aller voir. Surtout avant que les chasseurs ne s’en mêlent, pour le moment les Wolfs n’ont fait aucune victime humaine, mais si les chasseurs vont là-bas, c’est sûr qu'il y aura bon nombre de blessés ou de morts.

J’essaye de garder mon calme devant ma cliente, alors que je n’ai qu’une seule envie c’est de quitter le marché pour aller voir par moi-même si les commérages sont justes. Malheureusement, je dois attendre la fin du marché. Au bout d’une grosse demi-heure c’est l’heure de remballer, je me hâte, en moins de dix minutes la camionnette est chargée et je me dirige vers chez moi. Je me stationne rapidement, puis saute du véhicule. Il n’y a pas de temps à perdre, à une trentaine de mètres, je repère Zander et Keylan qui viennent à ma rencontre. Je vais pour prendre ma forme lupine et les rejoindre, quand dans un soupçon de lucidité je détache mon collier et le bazarde sur le siège conducteur avant d’exécuter ma transformation. Dès que j’arrive à leur hauteur je continue ma route leur faisant signe de me suivre rapidement, ce qu’ils font sans tarder. Nous courrons pendant une bonne heure avant d’arriver à l’ancienne route. Je reprends forme humaine, suivit des deux loups qui m’observent avec curiosité. Je récupère mon souffle, avant de leur expliquer.

— Des clients habitant par ici, se plaignent que depuis moins d’une semaine, ils ne dorment plus à cause de hurlements incessants de loups la nuit. J’aurais dû y penser plus tôt. Juste après avoir emménagé, la route s’est affaissée, la détruisant totalement sur plusieurs kilomètres et laissant place à d’anciennes cavités ou grottes qui s'étendent sur plusieurs kilomètres d’après certains spéléologues. C’était trop dangereux pour que je vienne m’y balader avec Erwann, alors j’avais totalement occulté cette histoire.

Les deux loups me regardent avec stupéfaction, mais heureux d’avoir peut-être enfin une piste pour la première fois depuis des mois.

— Je vais dire à Cayden et Gaya de nous rejoindre, pendant que Naël et Tya vont se diriger vers la résidence au cas où, annonce Zander, à mon intention.

Ne faisant pas partie de leur meute, je ne peux pas communiquer avec eux sur la toile, c’est aussi pour ça que nous avons dû retrouver notre forme humaine. J’observe les poignets des deux hommes, pour être sûr qu’ils portent les bracelets que je leur ai fournis pour masquer leur odeur. Afin qu’on puisse, quand même se repérer les uns les autres, j’ai ajouté une goutte d’huile essentielle différente pour chacun, qui n’altère pas les propriétés des autres plantes. Une fois mon inspection finie, je me transforme une nouvelle fois, suivie de près de mes deux compagnons.

Zander à un pelage complètement noir, avec le soleil il apparait légèrement bleuté par endroit, sa carrure est imposante et ses yeux gris-jaune montrent qu’il est en symbiose avec son loup. Keylan n’a rien à lui envier, il est légèrement plus petit que son Alpha, avec un pelage blond-beige par endroit. Quant à moi, sous ma forme lupine je suis rousse, cela m’a souvent désignée pour être le souffre-douleur de mon ancienne meute. Il faut dire que je connais peu de loups-garou au cheveux roux et encore moins gardant cette couleur une fois transformés. Que voulez-vous, on ne choisit pas ses caractéristiques physiques.

Zander nous fait signe pour que nous le suivions, tout en essayant de trouver un chemin pouvant nous mener vers les grottes en face de nous. Le sentier est escarpé et glissant, nous y allons avec le maximum de prudence et le plus silencieusement possible pour ne pas se faire repérer. Nous arrivons à proximité d’une entrée. Keylan lève son museau, je peux apercevoir au loin Cayden et je suppose Gaya à ses côtés. Ils doivent communiquer entre eux, car peu de temps après je vois les deux loups disparaître de notre vue sans chercher à nous rejoindre. Ils doivent, je suppose, chercher une autre entrée. Maintenant que nous sommes là, autant repérer les lieux.

Nous rentrons dans la cavité, en se suivant. Il fait sombre, mais grâce à nos sens lupins, nos yeux s’adaptent, nous permettant d’y voir presque aussi bien qu’en plein jour. Au sol nous pouvons repérer plusieurs traces de pattes, ayant soulevées la poussière, quelques grognements au loin se font entendre. Je continue d’avancer et décide de m’enfoncer dans un autre tunnel qui à l’air de grimper un peu. Avec un peu de chance, je pourrais me rapprocher suffisamment et voir combien ils sont dans les souterrains. Une ombre se place à ma hauteur, je tourne la tête vers le chef des Exécuteurs qui me montre les crocs pour signifier qu’il n’apprécie pas ma prise d'initiative. En même temps, je ne peux pas communiquer avec eux et je ne pense pas que ce soit la meilleure des solutions que je grogne pour lui faire comprendre mes intentions. Il paraît que chaque bruit peut se répercuter sur les parois rocheuses et faire écho jusqu’à plusieurs mètres aux alentours, donc comment dire que niveau discrétion ça ne passerait pas. Je continue mon chemin sans prendre en compte son mécontentement et avance encore un peu avant d'apercevoir le bout du tunnel. Je me colle au mur et étire au maximum mes sens afin de tenter de repérer si d’autres loups se trouvent à proximité de nous. Keylan passe devant nous, certainement pour protéger son Alpha en cas d’attaque, en tant que Bêta c’est son rôle d’assurer la protection de Zander. Nous reprenons notre avancée et je vois que j’ai vu juste en empruntant ce conduit. Nous sommes effectivement en hauteur, baissant la tête j’essaye de repérer d’où proviennent les grognements, mais avec les échos cela n’est pas aisé.

Je sursaute légèrement quand je sens un coup de tête contre mon flanc, je tourne la tête vers Zander qui me fait signe de regarder plus à l’Est de notre position. Une bonne trentaine de loups se trouve plus bas, je les observe les uns après les autres jusqu’à ce que mon regard se pose sur deux loups imposants. L’un blanc comme la neige, l’autre marron sale avec les poils totalement hirsutes. Les deux reprennent forme humaine à quelques secondes d’intervalles, je recule vivement. La peur s’installe au fond de mes entrailles et remonte au fur et à mesure dans mon corps. J’essaye de me calmer, mais je ne peux m’empêcher de montrer les crocs face à ces deux monstres. Keylan et Zander se rapprochent de moi pour tenter de comprendre ma réaction. Je serre les mâchoires, avant de scruter le reste de l’assemblée qui reprend peu à peu leur forme humaine elle aussi.

La situation est pire que ce que je pensais ! Hans et Ezio… Punaise, s’ils me voient je suis morte !

Les deux loups, voyant mes membres trembler, commencent à se détourner pour partir. Je les suis en essayant de retrouver mon calme, sans y parvenir, j’ai froid et je tremble de tous mes membres. La peur ne cesse de grandir en moi. Au bout d’un moment qui me semble interminable, nous sortons enfin de la grotte, vite rejoints par Cayden et Gaya. Sous l’ordre muet de Zander, nous nous hâtons de reprendre la route pour rentrer.

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