En corps : toute histoire est politique

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 Peut-être avez-vous déjà entendu cette phrase : « toute histoire est politique ». Peut-être n’êtes-vous pas d’accord avec cela, mais c’est une chose dont je voulais parler à travers le (superbe) film En corps réalisé par Cédric Klapish sortit le 30 mars. Allez donc le voir en salle et revenez ensuite, ce serait dommage de vous faire spoiler.

 Pour ce qui est du synopsis, Élise est une danseuse classique qui, après avoir découvert que son mec la trompe, s’est blessée lors d’une représentation et apprend qu’elle ne pourra sans doute plus danser avant quelques années. Elle est atterrée puisque cela signifie la fin de sa carrière. Pour remonter la pente, elle essaie de trouver une autre voie et finit par rencontrer une troupe de danse contemporaine renommée. Malgré sa blessure, elle décide de danser avec eux. Finalement, elle retrouve l’amour avec son partenaire de danse et la blessure guérit presque miraculeusement. Élise continue de danser avec cette troupe.

 À première vue, pas vraiment de politique là-dedans. Et pourtant, toute œuvre l’est d’une certaine façon puisqu’elle est le reflet d’un point de vue sur le monde. Prenons l’exemple du féminisme : le film compte à ce sujet deux scènes dont je vais parler car elles sont très intéressantes. La première, c’est une séance de photos à laquelle participent Élise et l’une de ses amies en tant que mannequin. Les photos ont pour but de promouvoir des tenues de mariage, et le photographe demande à une femme de s’agenouiller au pied d’un homme et de le regarder amoureusement, tandis que lui regarde l’horizon. L’amie d’Élise s’indigne de cette pose misogyne, ce à quoi le photographe répond que c’est une pose classique et qu’il n’y a aucune raison de s’en passer. Le point de vue féministe (donc politique) est ici très visible. Dans une autre scène, l’un des personnages explique qu’un autre a eu une adolescence malheureuse à cause d’un père alcoolique et violent et d’une mère soumise. Ah. C’est ici plus subtil, mais mettre sur un pied d’égalité un père violent et une mère qui ne faisait rien de particulier, c’est à l’opposé du message féministe dont on parlait avant. On peut aussi critiquer la nécessité pour Élise de se remettre en couple afin de « réparer » sa blessure sentimentale, comme s’il lui fallait forcément un homme dans sa vie.

 Puisque En corps est un film, la réalisation est également importante. Pour continuer avec le féminisme, Élise est vue en petite tenue lorsqu’elle est auscultée par son kiné et à quelques autres occasions. Est-elle sexualisée à ce moment-là ? Non, et c’est très bien. On parle de « male gaze », le regard masculin, lorsqu’une femme est sexualisée sans raison apparente (parfois dans un but de pur fan-service). Étant un homme moi-même, je ne suis pas le mieux placé pour en parler ; mais il me semble qu’il n’y en a pas ou peu dans ce film.

 Toute histoire est politique, même les histoires drôles, même les histoires terrifiantes. L’objectif est seulement d’amuser dans le premier cas et de faire peur dans le second, mais le fait qu’elles soient courtes implique très souvent que ces histoires reposent sur des stéréotypes connus. Par exemple, dans son essai Anatomie de l’horreur, Stephen King raconte une histoire de tueur en série qui s’en prend à un jeune couple. C’est très réussi, en deux pages il parvient à faire peur. Cependant, le couple est stéréotypé à l’extrême. Ils s’embrassent dans un coin reculé, la femme veut partir parce qu’elle a peur du tueur (ils viennent d’apprendre à la radio qu’il s’est évadé d’une prison très proche) et l’homme préfère rester là pour s’embrasser et éventuellement plus. Il essaie de la rassurer mais elle est chiante, elle énerve l’homme qui consent finalement à partir. Donc une femme peureuse, presque paranoïaque et un homme insouciant, qui ne pense qu’à l’embrasser (et éventuellement plus). Bien sûr, c’est lui qui décide et conduit la voiture. Plus cliché tu meurs.

 Il y a deux autres choses qui me gênent dans le film. La première, c’est une scène dans laquelle Élise dit à son kiné (clairement amoureux d’elle) qu’elle est en couple avec un danseur de la troupe. Le kiné a besoin de sortir de la pièce pour évacuer un mélange de tristesse et de frustration de façon très ridicule, ce qui est assez comique. Le truc, c’est que rire du malheur de quelqu’un à ce point m’a mis plutôt mal à l’aise. Le second point est le plus important : ce film est dangereux, dans le sens où il vous dit que vous pouvez ignorer la médecine et guérir d’une blessure sans autant de repos que nécessaire, en continuant vos activités même si celles-ci pourraient l’aggraver. Je ne suis pas médecin, je ne sais pas si la guérison telle que montrée dans le film est possible et si oui avec quelle probabilité, mais quand une chirurgienne vous dit de prendre une longue pause pour laisser la blessure guérir, mieux vaut l’écouter. Pas sûr que vous ayez la chance d’Élise dans le cas contraire.

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