Prologue

4 minutes de lecture

« J’avais découvert depuis longtemps le plaisir de transgresser une règle, mais ce jour-là, s’y ajouta un autre encore plus grand : celui de raconter une histoire »

Jasmin Darznik – L’oiseau captif.

Cette année, j'aurais voulu qu'il neige. Nous sommes en décembre, le deux décembre et seule la pluie, une pluie lancinante, pleurante, une pluie, glacée par moment, presque tiède à d'autres, seule la pluie, qui fait rempart à la froideur de l'hiver, seule la pluie déverse sa tristesse sur le paysage urbain. L'automne résiste ; les feuilles tombent encore, tapissent les trottoirs doucement, s'avachissent au sol, noyées instantanément dans la bouillie d'automne, une glu glissante, sombre, vorace.

Le gouffre qui m'attire semble se creuser de jour en jour. Alors, j'écris. C'est sans doute tout ce que je peux encore faire. Écrire. Mon remède bien inutile contre la gravité. Cette gravité étrange, mystérieuse, qui régit l'univers physique, et semble aussi s'être immiscée dans le monde du vivant. Ou peut-être est-ce le vivant qui, par mimétisme, a mis en son centre un trou noir, mystère ultime de l'univers, et tente vainement de résister à son attraction, par jeu. Inutile rébellion.

C'est dur, d'écrire. C'est difficile. Les mots s'alignent et cherchent une idée, un rêve, une histoire, et semblent ne jamais les trouver. C'est sans doute le talent de ceux qui, dans une phrase, dans une expression, une simple locution, savent soudainement projeter une image, un mouvement, exprimer la somme de tous leurs sentiments, de toutes leurs craintes, de toutes leurs croyances.

Parfois, dans mes lectures, je note des phrases, des mots, des expressions, des aphorismes ou encore des métaphores, toutes ces figures de style dont bien des auteurs se sont moqués qu'elles portassent tel ou tel nom, mais venues naturellement, sous l'élan d'une plume sûre et légère, peindre avec assurance un moment, un rire, un visage, un paysage, un nuage et je ne sais quoi encore.

Je me suis souvent dit qu'il existait une relation étroite entre le peintre et l'écrivain. Il y a ceux qui cherchent la perfection du dessin, des couleurs, des formes : une jarre presque parfaite, une pomme lisse et gourmande, presque vraie, des tableaux tellement précis que l'on a l'impression de regarder une simple photographie. Et d'autres qui ne jettent sur la toile que des impressions qui se jouxtent, qui s'allient, s'entremêlent et finissent par donner la magie d'un paysage ou d'un sourire.

Pourtant, réaliste ou bien juste esquissé, ce n'est qu'une illusion, une simple illusion. Les couleurs couchées sur la platitude désespérante du papier, mots ou crayons, phrases ou gouache colorées, cherchent à capter un moment, un mouvement, du corps ou de l'esprit, dans un effort désespéré et vain. Et à chaque instant, les coups de pinceaux, les mots griffonnés ne deviennent que les témoins figés du passé, qu' une illusion devenue passé.

Pourquoi je vous dis ça, devez-vous vous dire ?

Parce que j'ai une histoire à raconter, tout bonnement. Une histoire simple, une histoire d'amour, enfin je crois, car à force de lire et relire mes mots, je finis par me demander si ça vaut le coup de venir déverser une énième version de ce balai incessant entre hommes et femmes.

Car une histoire d'amour, c'est banal. L'humanité entière est faite d'histoire d'amour. Il n'y a que des histoires d'amour autour de moi. Des femmes qui aiment un homme et qui un jour ne l'aiment plus. Ou moins. Des hommes, qui aiment une femme, mais continuent à aimer toutes les femmes tout en aimant toujours la première. Des hommes qui aiment une femme, qui ne l'aime pas, parce qu'elle en aime un autre, etc.

Mais bon, essayons !

*

* *

Il est à peine huit heures. R. viens juste de garer sa voiture près du grand bâtiment où il doit se rendre pour sa journée de travail. Il n'est pas pressé, il est arrivé un peu en avance. À ses côtés, sur le siège passager, il a délicatement posé une rose rouge. Il a eu de la chance hier soir, le fleuriste était encore ouvert. La jeune fille qui l'a servi l'a regardé avec un petit sourire entendu, un sourire discret certes, mais qui l'a mis mal à l'aise. Elle lui a demandé s'il voulait agrémenter la fleur d'un feuillage discret, ou encore d'un petit mot. Il a dit non. Arrivé chez lui, il l'a délicatement débarrassé du film transparent qui la recouvrait et a aussitôt plongé la tige dans un vase très fin, acheté chez CASA la semaine précédente. Elle a ainsi gardé toute sa fraîcheur et il s'en trouve ravi.

Il espère qu'aujourd'hui il ne pleuvra pas. Le bulletin météo consulté hier matin ne prévoyait pas la moindre averse. Au contraire, il annonçait une belle journée ensoleillée. Froide, mais ensoleillée. Alors il se sent rassuré !

Maintenant, il ne lui reste plus qu'à guetter l'arrivée de la petite voiture marron, enfin couleur bizarre, chocolat, pas très féminine en réalité. L'avantage, c'est que l'on ne peut pas la louper. Depuis presque trois ans qu'il travaille ici, il la croise souvent le matin.

Ah, la voilà ! Il se dit que c'est à lui de jouer ! Il enroule autour de son cou cette vieille écharpe rouge et jaune dont il a de la peine à se séparer, celle de son club de sport, tentant inconsciemment de dissimuler son visage, et sort du véhicule.


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