Chapitre XXIV

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« Sans boussole, sans rames, sans port à l'horizon, il se laisse aller à la dérive,
sans lutter davantage, puisque lutter c'est vivre et que vivre c'est souffrir »

Martin Eden - Jack London

Je suis arrivé chez toi, tard dans la soirée, de Rennes, tu m’invites aussitôt à poser mon sac dans la chambre d’ami, celle où dormait ton compagnon avant qu’il ne disparaisse de ta vie. Tout y a été transformé, le lit n’y est plus à la même place, un petit meuble à trois tiroirs, quelconque mais pratique, me sert à poser le sac de fringue que j’emporte toujours avec moi. Tu portes une jupe de cuir mauve foncé, des bas couleurs chair t’enrobent les jambes et ton mollet luisant se galbe dans le prolongement d’escarpin rouge aux talons très hauts. Tu respires le désir, un désir exarcerbé par l'attente de mon arrivée, je le sens ! La fatigue du voyage disparaît aussitôt et je m’approche de toi, ton épaule légèrement appuyée sur l’encadrement de la porte se redresse, ton corps se tend, comme pour s’offrir à moi. Je t’enlace tendrement, très doucement, tu te laisses faire, ma bouche rencontre la tienne, nos visages se confondent, nos yeux se ferment, mes mains descendent sur tes hanches recouvertes de cuir et soudainement, nous basculons dans le couloir. Ton dos trouve appui sur le mur, je dégrafe ton chemisier blanc et découvre tes seins nus. Mon autre main s'attarde sur la texture lisse de ton Dim-up avant de remonter sur ton sexe. Nous nous laissons emporter par nos sens.

Nous dînons rapidement et tu m’ordonnes presque, une fois le repas avalé, d’aller me coucher, affirmant que je dois être épuisé. Je m’exécute en protestant mollement. Tu me rejoins, te déshabilles entièrement, ton corps blanc vient se poser près de moi, dans ce lit aux draps fraîchement lavés, et nous parlons, nous sommes heureux. Tu me racontes les dernières péripéties de ta vie ; bavarde, tu ne m’épargnes rien de chaque détail venu pimenter ton existence depuis notre dernière rencontre et je t’écoute avidement. Je vois que tu as mis quelques petits tableaux colorés pour égayer cette chambre depuis mon dernier passage. Je t’imagine juchée sur une chaise ou un tabouret, redressant l’équilibre fragile du petit cadre, l’œil attentif au parallélisme des rebords. Je suis vraiment fatigué, très fatigué, mais comme je me sens bien près de toi, quelle belle chose que d’être amoureux !

Peut-être t-es tu vite glissée hors du lit une fois que tu m’as senti endormi, ou es-tu restée longuement à regarder mes yeux clos, je n’en sais rien. J’ai un sommeil profond, paisible, immobile. Quand celui-ci tente de me rattraper, je joue avec lui, je le défie, même si je sais qu’il va gagner. Je prononce quelques mots qui au fil des minutes ne deviennent plus qu’une masse sonore presque inaudible ; c’est ainsi que je dis au sommeil qu’il ne m’aura pas, qu’il ne me vaincra pas, que jamais il ne me clouera au sol dans son jardin d’inconscience. Alors les mots surgissent à mon esprit et ils composent d'improbables poèmes que personne ne lira jamais, que personne n’écrira jamais non plus. Toi, près de moi, tu écoutes. Je sais que cela te fait sourire ; quand je suis à tes côtés, ces mots te concernent, bien sûr, mais je crois que tu ne les perçois pas. Je te dis que tu es belle, je te dis que tu m’as manqué, je raconte notre histoires d’amour, dans cette petite mort qui peu à peu m’ankylose, m’anesthésie. Ta présence me donne envie d’être plus résistant encore, plus guerrier, et j’essaie d’arracher quelques mots à tes lèvres comme pour te demander de venir m’aider. Tu le fais parfois. Tu murmures que tu ne comprends rien à ce que je dis. Alors sans bouger, dans ce corps que je ne sens déjà plus, dans cette transe qui pourtant m’aspire loin de toi, je te promets que je combattrai jusqu’au bout pour être le gardien de tes rêves. Mais c’est faux. Ou plus exactement ce n’est pas possible. Je vais mourir près de toi, en faux guerrier, et toi que le sommeil fuit depuis si longtemps, tu le sais bien, tu vas me voir sombrer. Le petit garçon finit par se taire, vaincu, terrassé, et tu le laisses partir : encore une fois, il ne te sauvera pas de l’insomnie.

Je me réveille. Les rais de lumière qui transpercent les persiennes viennent s'imprimer sur le mur, presque semblables à des barreaux de prison. Elles m’attendent depuis assez longtemps déjà et dessinent sur la tapisserie verdâtre la présence d'un soleil dèjà haut dans le ciel . Bien sûr, tu n’es pas près de moi, tu es allé chercher le sommeil dans ton lit. Je me souviens de ma chambre d’enfant tapissée d’un papier peint couvert de zèbres à moitié cachés par d’immenses feuilles vertes. Quand je me réveillais, les premiers jours de vacances d'été, ces mêmes traits de lumière posés sur les rayures blanches et noires me faisaient penser à une jungle magique et cela me rendait heureux. Je retrouve la simplicité de ce bonheur d’enfance ce matin.

J’ai envie d’un café. Comme j’aime cette première tasse du week-end, celle que l’on prend sans se presser, avec nonchalance. Quand je suis chez toi, c’est encore mieux, car aucune autre préoccupation que ton sommeil fragile ne vient me polluer l’esprit. Ni courses à faire, ni ami à voir, ni enfant à garder, ou à penser à réveiller parce qu’il faut que… ! Juste une douce attente. La cuisine faite de bric et de broc depuis le déménagement à la hussarde de ton Ex est finalement presque agréable. Tu as tout prévu, l’essentiel pour que je me prépare le breuvage du matin est posé sur cette table de bois vermoulu venue remplacer la précédente, je n'ai qu'à me servir. Seul, attendant ton réveil, je ne fais qu’une seule chose : me gorger du bonheur de te sentir toute proche.

Je me promène un peu dans cette maison vide, mes pas se font silence, même mes pensées semblent vouloir respecter la quiétude du moment. Tu dors encore et je ne veux pas te réveiller. Ce lieu m’est déjà familier et pourtant, je n’arrive pas à me l’approprier, car j’y sens encore la chaleur de ta vie de couple évanouie. Je t'en ai parlé quelquefois mais tu m'as toujours rassuré. Il n'y a plus rien qui ne puisse rappeler cette période de ta vie : tu as tout effacé, tout gommé.

Tu as acheté un canapé d’angle, en cuir blanc. Le jour où tu l’as commandé, tu m’as demandé s’il me plaisait, comme tu le fais à chaque fois que tu envisages d’acheter un nouvel objet, un nouveau meuble, un nouveau tableau. Sans doute aurais-je choisi tout autre chose, c’est certain, mais tu es tellement heureuse, je le sais, de remodeler ton espace, que je n’ose pas émettre la moindre réticence à un choix maladroit. Tu passes ton temps à fouiller les magazines, à piocher à droite, à gauche, des idées de meubles, des envies de tapis. À chaque achat, tu me dis « tu verras, on va être bien ». Et à chaque fois, je pense « oui, ma chérie, tu vas être bien ». Car je te laisse faire, je ne contredis jamais tes choix, le plaisir que tu sembles prendre à être enfin seule à décider de ce que tu veux pour toi est tellement attachant. Je ne veux pas toucher à cette liberté que je viens de t’aider à conquérir. Pourtant, je sais que, derrière chaque page internet que tu parcoures, chaque revue de mode que tu feuillettes, l’ombre de mon avis se dessine. Je pense que tu m’aimes aussi.

La bibliothèque adossée au mur est juste magnifique. Je l’aime beaucoup. Elle est ornée d’une petite échelle en acier qui se fixe en son fronton comme pour mimer les majestueux rayonnages d’une librairie à l’ancienne. Tu l’as découvert un jour que nous flânions ensemble à Nantes, passant d’un magasin de décoration à l’autre, et, face à elle, tes yeux se sont mis à briller, me jetant un regard complice. C’était la bibliothèque Camus de chez Habitat. Camus ! Ce mot s'est mis à résonner dans ton esprit et tu l'as trouvé tellement belle.

Les larges montants en font pourtant plus une suite d’alcôves carrées où, plutôt que des livres, il est pratique d’y mettre des bibelots, des paniers de rangement, des cadres photos.

J'ai voulu te redonner la correspondance du philosophe avec Maria casares, pour le faire trôner au milieu des ouvrages de droits et des album de photos, mais jamais tu n'as voulu. Tu préféres que je le garde chez moi. Peut être parce ce que tu sais que c'est la seule façon, pour toi, de le découvrir à travers mes yeux amoureux car je t'envoie souvent quelques mots volés à cette verve d'un amour violent, peut être unique, parsemés d'envolées d'une force poétique rare, mais aussi de phrases d'une banalité presque vulgaire, impuissantes à éclairer ce mal qu'est la passion amoureuse. C’est étrange comme ces lettres, que tu ne liras jamais sans doute, me ramène à une communion non plus d’idées, mais de sentiments, avec l'artiste, illustrant seulement le manque cruel et brutal, le même que je ressens quand tu n'es pas là. Adolescent, jeune adulte, je me suis senti si proche de son absurde . Et là, moi qui consomme des années qu'il n'a jamais pu vivre, c'est dans chaque mot de cette correspondance que je me retrouve le plus. La philosophie et les pensées ont fait long feu.

« Mon seul désir serait de me taire près de toi, comme à certaines heures, ou de me réveiller, toi encore endormie, de te regarder longuement attendant ton réveil. C’était cela, mon amour, c’était cela le bonheur. Et c’est lui que j’attends encore. »

C’est ce que je fais là, me promenant de pièce en pièce attendant ton réveil. Tu viens souvent chez moi, à Nantes, et nous dormons ensemble, côte à côte, car je n’ai qu’une chambre. Je vois ta tête enfouie sous ce traversin que tu as emporté, cet unique oreiller à la forme oblongue qui t’accompagne, ce rituel d’un visage méticuleusement posé entre la pénombre des draps et les imperceptibles, mais incorruptibles traits de lumière de la chambre ; quand tes longues boucles blondes, indécises, égarées, désorientées, plongent elles aussi dans l’illusion d’une léthargie artificielle. Tu ne dors jamais quand je me réveille. Je me lève doucement pourtant, lentement, sans un bruit, comme pour défendre le trésor fragile d’un sommeil léger dans un combat imaginaire, mais la douce mélopée de ta voix un peu caverneuse me ramène à mon échec. « Encore un peu ! ». Alors je te laisse dormir.

Comme je le fais chez moi, en cet instant, je reste à attendre. J’aime ce moment dépourvu d’impatience, errant d’un endroit à l’autre, observant chaque détail de ce décor un peu insipide. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Je sais que ce lieu ne sera plus qu’un souvenir bientôt, car tu viens d’acheter une nouvelle maison, pas très loin d’ici. J’ai vu les photos, c’est une jolie maison de bourg doté d’une piscine en son centre. Bien sûr, tu m’as envoyé de multiples photos pendant toute cette recherche d’un nouveau domicile et as sollicité mon avis. Je t’ai fait part de mon enthousiasme, mais secrètement, je me suis dit que le pont-levis de ce nouveau château se refermerait un jour. Mais que pouvais-je dire ? j'ai tout de suite su que cette maison serait le tombeau de notre amour.

Je m’assieds un instant au bout de la table de verre opaque que tu as acheté il y a peu, entourée de chaises de plastique transparentes. Sous la table gît le tapis-lino couvert de zèbre qui me refait penser à ceux de ma chambre d’enfant. Sur un pan de mur, plus haut, je vois le petit tableau que j’ai peint, une pâle reproduction d’un portrait de femme fait par Tamara Lempicka. Je suis un très mauvais peintre, un artiste médiocre, mais parfois il m’arrive d’avoir envie de reproduire quelque chose que j’aime plus que tout. C’est probablement très mal fait, mais la femme au regard dur, presque masculin, enroulée dans une écharpe faite d’un camaïeu de bleu, m’a accompagné de ses mystères pendant quelques semaines et j’aime à la voir ici, accrochée à ton mur. Je ne suis pas sûr que tu l’aies aimé vraiment, mais le jour où je te l’ai montré, tu m’as demandé de te le donner. Je pense que c’était juste pour me faire plaisir, rien d’autre. J’ai accepté. Mais ce que l’on donne à contrecœur, n’est-ce pas la plus belle preuve d’amour ?

A moitié caché par l'épaisse commode haute faite d'un bois noir et brillant, le sapin de noël, encore lourdement chargé de guirlande, d'élans miniatures, de boules transparentes, pousse ses branches de plastique vert jusqu'au milieu de la pièce. Le premier week-end du mois de janvier, quand nous nous sommes retrouvés après les fêtes, tu avais changé de coiffure. Tes cheveux, d'habitude rebelles et incontrolables, comme ceux de cette jeune fille rousse accrochée à un nuage que l'on voit sur ces gravures anglaises, s'étaient transformés en une longue crinière lisse et tombante pendant les vacances d'hiver. J'ai voulu te photographier et c'est près de ce sapin que je l'ai fait. Nous avons beaucoup ri pendant cette séance photo. Tu aimes poser, tu aimes ce regard de désir qui se pose sur toi. Ces photos m'ont servi à transformer ce visage du dernier tableau de Tamara Lempicka que je reproduis, "portrait de jeune fille", exposé à Nantes, au musé des beaux-arts. Tu veux que j'y accole ton portait. Pour toi, je trahirais n'importe quel artiste.

Je suis venu ici à deux ou trois reprises avec mon fils, Félix. Il aime jouer au ballon à l’extérieur, dans le petit jardin. Il est heureux de passer quelques moments avec moi à taper dans un ballon dégonflé, extirpé à la cabane d’enfant en plastique coloré, que nous remettons soigneusement à sa place, là où ta fille l’a laissé, pour qu’elle ne décèle par notre passage clandestin. Car un an après ta séparation, je n'existe toujours pas. Pas plus que mon fils, d'ailleurs,

Un jour, nous sommes allé au zoo ensemble, pas très loin d'ici. C'est là que j'ai découvert que tu aimais les chèvres. Je t'ai vu attrapper ces petites bêtes étranges à bras le corps, sans aucune peur. Ce jour là tu m'as dit que pour ton vingtième anniversaire, c'est ce que tu avais voulu : deux chèvres. Bien sûr, celà n'avait pas été de tout repos, surtout pour ta famille, qui naturellement avait cédé à ton caprice de jeune fille. Peut-on les en blâmer ? Non, car à te voir attraper ces petite bêtes cornues sans crainte, presque comme une gardienne des alpages aguerrie, j'ai eu le sentiment de tomber amoureux une seconde fois.

Une autre fois, j'ai passé quelques jours avec lui en ton absence. Je l'ai emmené au Futuroscope et, seuls, nous avons passé quelques jours ensemble ici. Mon petit garçon est un ange et je ne suis pas le pire des pères.

*

* *

J'ai entendu du bruit. Tu ne vas pas tarder à ouvrir les yeux et, en cette matinée paisible, mon plus grand plaisir va être de t'accompagner dans ce réveil. Bien sûr, je sais que tu vas me dire que tu n'as pas dormi. Bien sûr, tu vas me dire que tu avais tout préparé pour le matin, que je dois me servir, ....

Je termine mon café, me lève, passe un filet d'eau sur ma tasse, dans la cuisine, et me dirige vers ta chambre à pas de loup. Je pousse la porte, déjà entrouverte, et trouble aussitôt l'obscurité qui y règne. Les volets emprisonne jalousement la nuit dans cette pièce et ton corps, immobile, figé dans les draps comme une statue, apparaît aussitôt sculpté par le filet de lumière qui s'est jeté avidement dans l'espace. Je me suis trompé, tu sembles être encore assoupie, je referme la porte et repars errer dans mes pensées.

*

* *

Je reviens vers la cuisine et cette fois-ci mes pensées sont plus sombres, je deviens taciturne. Soudainement le fossé qui se creuse entre toi et moi m'apparait plus large, plus profond aussi. Je dors bien, tu ne dors jamais. Je suis pauve, tu es riche. Je vieillis, tu restes jeune. Tu travailles depuis longtemps au même endroit, je passe de mission en mission, d'une entreprise à l'autre, presque comme un saltimbanque.

Seul de mon côté, je comprends que l’impitoyable réalité me rattrape de jour en jour. Je n'arrive pas, dans le bonheur imparfait que cet amour incroyable me procure, à me défaire de ce taedium vitae qui m'habite depuis la nuit des temps. Certes, tu es là, certes tes yeux posés sur moi à chaque fois que nous nous rencontrons sont comme une bouffée d'oxygène. Mais la masse de granit surgit du mouvement lent d'une existance boulversée par le cruel mouvement de lourdes plaques de désillusion, cet Atlas imposant, est bien là, face à nous. Je sais bien que la tendresse et l’amour que je te porte ne viendront jamais me guérir de cette terrible maladie qui me ronge depuis toujours, m’emmenant peu à peu vers une déchéance certaine. Et je devrai garder secrets tellement d'événement de ma vie.

J’ai commencé un journal, un simple cahier que je tiens bien caché quelque part à l’abri des regards. Mon mal de vivre, tu ne le vois pas, est là, posé entre nous deux, invisibles parois d’une montagne que tu ne graviras jamais, et ce cahier regorge de ces maux douloureux. Je fouillle dans mon sac, en extirpe le journal, et recommence à écrire là ou je m'étais arrêté il y a quelques temps. Je parle de toi, de moi. c'est étrange comme la pensée de tous ces gens qui écrivent semble me traverser l'échine à chaque fois que je griffonne quelque chose. Assis là sur cette étrange table de verre, entourée de chaises transparentes, dans une maison transparente, je me sens devenir peu à peu transparent aussi, fait de la fragilité du verre. Le journal d'Anne Franck surgit dans ma mémoire, les mots de Winston quand il commence à écrire, caché dans un recoin de son appartement, m'envahissent. Et sur ce petit carnet, je me mets à écrire « je hais l'amour, je hais l'amour » comme si j'étais pris dans les mêmes filets de l'horrible réalité humaine.

Comme je t’aime pourtant, mais voilà !

*

* *

Te voilà réveillée. Tu apparais dans cette chemise de nuit bleue pâle et blanche de petite fille. Tu n'es pas belle mais tu dégoulines de ce charme irrésistible qui ronge le désir masculin comme la pluie pose la rouille sur un morceau de fer abandonné. Ce moment ou je te serre dans mes bras, plus fort que je ne l'ai jamais fait avec aucune femme, est tellement bon. Tes premiers mots, ce premier « mon chéri », viennent balayer les nuages sombres de mon esprit tourmenté. Aussitôt, tes pensées vont vers ce que nous allons faire aujourd'hui. Irons nous à La Rochelle ? Ou encore flaner quelque part ? Je te regarde manger ces fruits qui, tu le dis, sont bons pour la santé. Quand tu viens chez moi, j'achète une mangue, quelques kiwi, et d'autres fruits pour que le matin tu aies ce plaisir d'un petit déjeuner sain. Moi, je n'aime pas les fruits, ils m'agacent les dents.

Tu me parles de ta nouvelle maison. Du déménagement qu'il te faut organiser prochainement et de ceux qui viendront t'aider à le faire. Cette fois-ci, tu as besoin de moi. Il faudra redémonter la bibliothèque, déconstruire les armoires, le trempoline du jardin, le lit de la petite, vider les cartons du garage. Soudainement je me remets à exister dans ton monde matériel. Moi qui n'avais pas pu t'aider pour réaménager cette maison, tu me fais entrer dans ta réalité pour en sortir.

*

* *

Finalement, nous sommes allés à la Rochelle. Bien sûr, tu as voulu faire quelques magasins de décoration avant d'aller déjeuner sur le port. J'ai toujours aimé ces choses inutiles qui envahissent les maisons comme si on avait besoin d'insuffler la vie par la présence symbolique d'un vase, d'une lampe, d'un animal figé. Tu regardes les girafes, les zèbres, les lions et me demandes si je les aime, si ils me plaisent. Il y a des petits singes qui tiennent une ampoule et je vois à travers l'éclat de tes yeux qu'ils te séduisent beaucoup. Ils valent très chers et je te conseille simplement d'attendre d'être installée dans ta nouvelle demeure, t'expliquant que le moment n'est plus à la décoration de cette maison déjà ancrée dans le passé. Tu virevoltes d'un endroit à l'autre, t'extasies, cherches mon regard approbateur, trouves mon sourire enchanté. Tu sembles heureuse. Une fois à la Rochelle, à mon grand soulagement, les restaurants ne servent plus. Nous devons nous replier sur une petit échoppe au bord de l'eau qui distribue des sardines grillées, quelques moules accompagnées de frites, des huitres. C'est celà que je préfère, et dans l'air glacé de l'hiver, nous passons un bon moment, loin des cartes hypocrites des restaurateurs étoilées aux saveurs douteuses. Ces cartes que tu connais bien, dont tu me dis dans un mensonge souriant qu'elles ne te manquent pas. Car bien sûr, sans le savoir, tu me mens. Je lis dans tes yeux l'expression de ces femmes de Maupassant, qu'accompagnent des maris blasés dans les trains de banlieu sordides, qui viennent dégueuler leur vanité d'un jour sur un Paris ensoleillé.

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