Chapitre XXII

6 minutes de lecture

« L'amour est une brume qui disparaît à la première lueur de réalité. »

Charles Bukowski

Quelques semaines plus tard, tu finis par me dire que je pouvais enfin venir te retrouver en toute quiétude. Nous avions repris nos longues discussions téléphoniques depuis quelque temps déjà et tu continuais à faire preuve d'un amour plein et indéfectible, ce qui me rassurait et dissipait les doutes que je pouvais avoir ressenti pendant cette période de séparation forcée. Nos sentiments l'un pour l'autre restaient vigoureusement ancrés en nous comme aux premiers jours de notre rencontre.

J'avais lu et relu les dialogues de Camus et Maria Casares, ce livre que tu m'avais offert, et m'en étais souvent inspiré pour t'envoyer un mot, une phrase, une expression, qui me ramenait à l'indestructible passion qui nous unissait. Tu aimais recevoir cette petite note magique que je dégotais dans ce fouilli sentimental de deux amants à jamais séparés.

Tu fus extrêmement attachante à cette époque-là. J'avais le sentiment de te voir enfin revivre comme si toute ta vie de couple n'avait été qu'une longue et pénible torture qui se terminait enfin. Je pense qu'à plusieurs moments de cette vie passée aus côtés de cet indocile compagnon, tu avais probablement flirté avec le bonheur, mais tu ne me l'avais jamais exprimé. Libérée du joug de la vie de couple, tu étais heureuse et celà se sentait. Je crois que ma présence, même lointaine, participait à ce bonheur. L'insousciance juvénile de nos premiers instants d'amour entrouvrait néanmoins la porte de la mâturité et j'en avais un peu peur. Le secret de notre liaison dangereuse disparu, resterions-nous drappé de la même passion amoureuse ? Je me le demandais parfois !

Naturellement, la séparation entrainait de nombreux petits soucis au nombre duquel comptait la certitude qu'en aucun cas ta fille ne devait connaître mon existence. Elle avait entendu mon prénom à plusieurs reprises et aurait vite fait le rapprochement entre cette séparation brutale et ma présence soudaine à tes côtés. Tu redoutais aussi que ton ex-compagnon ne lui explique clairement la raison de son départ, ce qu'il ne fit jamais du reste, et le mieux pour toi était de vivre comme si tu étais seule.

D'ailleurs, en réalité, j'ai toujours détesté me trouver en présence des enfants des autres et j'avoue que ne pas avoir à sourire au faux sourire angélique d'une tête blonde hypocrite me convenait parfaitement bien. N'avez-vous jamais remarqué que l'exaspération vient vite quand on entend brailler ou gémir les rejetons d'une mère ou d'un père sourd et aveugle ? Pour moi, c'est un peu comme manger dans l'assiette des autres, ou pire, mordre dans un sandwich contaminé par la salive d'une bouche étrangère. Du reste, tu m'avais parlé d'elle à plusieurs reprises et celà ne me donnait pas trop envie de passer un moment près de toi quand ton rôle de mère reprenait ses droits. Tu la décrivais vive et intelligente et te vantais de la voir utiliser un vocabulaire emprunté aux conversations de juriste qui parfois alimentaient vos échanges avec ton compagnon.

Quand tu évoquais Manon, j'écoutais silencieusement, un peu abasourdi, le panégyrique fait du petit personnage. Pourrie gâtée par les nombreux cadeaux dont tu la comblais presque chaque week-end, exigente et capricieuse, tu affublais cette fille unique d'une ressemblance frappante avec telle ou telle actrice de cinéma. Les seules photos de ce le lutin blond qu'il m'ait été donné de voir ne m'inspiraient guère les mêmes conclusions. Mais après tout, n'avais-je pas moi même étrangement confondu la pétillance splendide d'une Julia Roberts avec ton sourire un peu figé. Bref, je m'accomodais parfaitement d'une situation d'ombre de ton ombre.

Il était évident que nous pourrions, une semaine sur deux, nous retrouver, et pour ma part c'était toi que je souhaitais voir. Mon fils, plus grand, n'avait aucune raison d'être mis à l'écart de ma vie sentimentale et d'ailleurs, tu le connaissais déjà un peu. Tu l'avais déjà croisé lors de la célébration du Premier de l'an de l'année précédente. Je ne voulais pas non plus me retrouver à partager avec lui ce qu'un enfant ne peut comprendre. L'amour des adultes est exclusif.

Tu étais toujours angoissée à l'idée d'avoir, sans vergogne, fait cocu le père de ta fille, mais c'était surtout et avant tout ton esprit de juriste que cette tromperie travaillait, non tes remords de femme. Assez curieusement, tu croyais que l'adultère était encore une faute punie par la loi et que par conséquent tu risquais d'en subir les conséquences dans le débat juridique qui allait suivre pour déterminer de la garde du rejeton.

C'est donc le dossier avocat qui commença à omnubiler tes penséees. L'une des choses que tu redoutais le plus était de voir surgir les photos de nos ébats dans le dossier adverse. Tu continuais à penser que nous avions été suivis par des détectives privés et qu'une multitude de clichés faisant état de ta relation adultère viendraient étayer le dossier adverse. Je connais les avocats et les magistrats, plus particulièrement en affaires familiales. J'avais été confronté plusieurs fois à la vindicte de cette race de fonctionnaire venue imposer à notre société, tels les grands prêtres d'une nouvelle religion d'état, des principes dénués de tout fondement moraux : le droit.

Mais je sais bien que depuis de longues décennies déjà, faire cocu son conjoint n'est plus une cause de mise à l'écart de l'un ou l'autre dans la tâche d'éducation des enfants. Ce qui m'étonnait particulièrement était de voir la juriste affolée par des considérations un peu loufoques à cet égard. Il t'arrivait de penser que cette adultère aurait pu te coûter la garde de ta fille et même mes propos rassurants n'arrivaient pas à te sortir de la tête ces peurs un peu puériles. D'autant que c'est lui qui était parti, et pour une profession féminisée à outrance - Peut être la robe et plus surement la puissance de la tranquilité du fonctionnariat - l'ogre masculin en ces circonstances aurait été coupable. Comme toujours dans le cadre des séparation, tu te mis à constituer un épais dossier de témoignagees glanés ici ou là, de certificats médicaux, de lettres élogieuses sur tes qualités de mère. Je dois avouer ne m'être que très peu imiscé dans tes affaires de séparation. Premièrement parce que le sentiment de culpabilité continuait à m'habiter, deuxièmement parce que j'ai horreur de tout ce qui touche de plus ou moins près à la justice. Les juges et les avocats engoncés dans leut pseudo-science me dégoûtent presque. On pourrait parler de science exacte mais il n'y a rien d'exact dans le droit. On pourrait alors parler de sciences humaines, mais il n'y a rien d'humain non plus dans le droit.

Une nouvelle vie commençait pour toi et je n’en faisais pas encore partie complètement. Chaque week-end ou presque, pourtant, je prenais ma voiture et parcourais le chemin me séparant de Nantes à Niort pour venir te rejoindre. La plupart du temps, nous restions chez toi. La maison que tu louais avait besoin d’entretien, il restait de nombreux détails à régler ici et là, je m’employais donc à t’y aider. Une lampe à remettre, quelques lauriers à tailler, des meubles à monter ou à consolider. Tout cela entrecoupé de longs moments d’amour.

J'ai adoré cette féminité que tu ne dévoilais que dans l'intimité la plus parfaite. Quand j’arrivais chez toi, tu t’étais paré de ta plus belle jupe, de ta plus belle robe. Quand je t’appelais pour t’annoncer mon départ de Nantes, ta préoccupation première était de m’avertir que tu ne t’étais pas épilé ou encore que tu n’avais pas eu le temps de te maquiller, de te faire belle et désirable. Cette obsession à penser que tu devais impéritavement trouver cette perfection de séduction me plaisait. Mais en même temps elle me gênait. Je voyais là les souvenirs qui ressurgissaient de ton passé amoureux liés à une de tes premières histoires.

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Le temps a passé. Nous apprenions à nous aimer dans l'éloignement. De ton côté, tu réapprenais à vivre dans la solitude, du mien je continuais à lutter contre mes démons, cherchant désespérément à donner un sens à ma vie. Tous ces moments que j'ai vécu près de toi à cette époque n'étaient en réalité qu'un cache misère à la vacuité de tout ce que je pouvais entreprendre.

L'amour n'est pas une quête. Ce n'est juste qu'un besoin venu de notre état animal. Notre conscience, notre intelligence peut être, nous induisent en erreur et nous font croire tout autre chose. Et de ce quiproquo, naissent les romans comme le mien.

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