Chapitre XXVI

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« Le bonheur suprême de la vie est la conviction d'être aimé pour soi-même,
ou plus exactement, d'être aimé en dépit de soi-même. »

Victor Hugo

Quelques roses posées sur un pare-brise nous ont jeté dans les bras l'un de l'autre. De simples fleurs déposées sur une voiture, quelques pétales rouges venus boulverser ma vie. La tienne aussi.

Je savais qu'un jour ou l'autre, je t'enverrais un autre bouquet, un bouquet d'adieu, un bouquet de roses bien sûr. Je suis passé près de chez toi l'année dernière et j'y ai laissé le rose délavé d'un souvenir déja fané. Pauvre vase inutile dénué de mystère.

Nous n’avons jamais fait l’amour dans les toilettes du Nid, ce bar perché en haut de la plus haute tour de Nantes, comme tu le souhaitais chaque fois que nous y mettions les pieds. Nous n’avons jamais parcouru les rues de ta ville natale, les chemins de ton Périgord chéri, main dans la main. Nous ne nous sommes jamais baignés ensemble sur les rives d’une plage entachée de soleil. Nous n’avons pas voyagé ensemble, perdus dans les nuages, collés l’un contre l’autre, à peine gênés par le regard des autres. Le regard de ta fille ne s’est jamais posé sur le coupable que j’étais devenu. Nous n’avons jamais rêvé ensemble.

Le présent a brûlé et s’est consumé doucement. Je suis resté dans les cendres encore chaudes de ton passé.

*

* *

Il est inutile aujourd’hui de poursuivre cette histoire. Un jour, peut-être, je la reprendrai. Chaque recoin de ma mémoire fourmille de mille et un détails de tendresse pure, de moments d’amour insoutenables. Des mots maladroits, si souvent changés, si souvent modifiés, composent un récit devenu le seul témoin d’une éternité déchue.

J’ai été l’instrument d’un changement bouleversant ta vie et il n’y aura jamais rien pour remplacer cette aventure unique qui nous lie à jamais. Je le sais. Tu le sais. Tout cela résume tellement bien ma vie.

Au moins aurai-je permis involontairement de te mettre sur la piste d’un bonheur que je te souhaite de trouver. C’est mon destin décidément que de servir de vecteur aux autres pour les orienter sur ce même bonheur qui me fuit depuis si longtemps !

L’évanescence, ce mot mystérieux, dont peu finalement saisissent le sens, ce mot que personne ne prononce jamais, mais que beaucoup écrivent, ce mot qui porte la souffrance dans des syllabes tellement belles à entendre, l’évanescence de nos vies, de nos amours, de notre jeunesse, c'est lui qui surgit quand parfois je pense à ces moments juste incroyables passés près de toi. Tu étais l'évanescence.

Il y a quelque temps, j’ai découvert plusieurs textes que m’avait inspirés cette séparation douloureuse et en les parcourant, j’y retrouve les mots qu’au plus fort de la souffrance j’avais écrits. J’ai juste envie de les livrer ici sans y retoucher.

*

* *

22 Août 2019 - Noirmoutier

J’ai parcouru la plage que nous avions arpenté main dans la main il y a quelques temps.

Il n’y a rien de pire que le bord de mer, le soir, une fois le soleil éteint, pour que les angoisses les plus folles s’agglutinent à l’esprit .

Les infatigables langues d’eau lèchent le rivage en un incessant chao et plongent le promeneur dans un infini sombre et vertigineux. Les grains de sables dessinent des chemins invisibles, défiant la mer pour quelques heures, inertes, sourds, et indifférents aux pensées angoissantes qui surgissent de l'abîme de la mémoire.

Le ciel étoilé, plus impitoyable encore, pose sa chappe d’absurdité sur un paysage sans conscience, ignorant du funeste destin qui l’attend, dévoré par ce temps qui déforme, aspire tout, insatiable tourbillon impitoyable et vorace.

Pourtant, ce soir là, c’était dans l’éternité du présent que ta robe ondulait dissipant la demi-obscurité du crépuscule de ce jour de printemps encore un peu frais.

Ce soir là, la plage était belle.

Ce soir là, la lune accrochée au barreaux de nos soupirs amoureux ne devait sa beauté qu’à nos yeux bienveillants posés sur elle.

Ce soir là, les grains de sables n’étaient plus que la douce sensation de notre amour dessinant un chemin de vie sur leur méprisante inconsistance.

Ce soir là, les gouttes d’eau, blanches de colère, échouaient désespérément à s’unir pour s’imposer en maître à notre allure rebelle.

Ce soir là, les étoiles n’étaient plus que la trace immobile d’une lente agonie.

Il n’y avait plus que nos esprits humains, victorieux de cette misérable myriade d'astres déjà morts, pour leur rappeler qu’il nous appartenait de les trouver beaux juste parce que nous nous aimions ; et que pour nous deux, vivants, heureux, rieurs, toutes n’étaient que des témoins asservis à notre bonheur humain. Notre éternité d'homme et de femme.

Ce soir là, il n’y avait plus de passé. Plus de futur; Il n’y avait plus que notre présent englobant l’univers tout entier dans un défi conquérant.

Ce soir-là, perdus, nous cherchions désespérément à retrouver ces ballerines colorées que tu aimais tant, dans l’obscurité de cette plage déserte.

La lumière des étoiles percent le ciel comme les lueurs de nos souvenirs, instants disparus depuis longtemps, et éclaire notre monde d'un mensonge rassurant.

*

* *

Février 2020 - Nantes

J’ai écrit ces quelques mots pour retrouver cette douceur des moments passés ensemble.

Si le paradis supposait juste un choix, celui d’inscrire une période de notre vie dans l’éternité, un moment heureux, une période chaude et ensoleillée, revivre ces instants près de toi le serait. Oui, je demanderais à être condamné à cet éternel recommencement des jours heureux qui nous ont réunis. Mais pour moi, hélas, Dieu choisirait plutôt un purgatoire, ou plus sûrement un enfer.

Et il saurait bien ou le trouver.

Dans ces derniers moments de tes silences. Dans cette rue sombre de ma vie ou je tendais une sébile implorant ton pardon vêtus des haillons de la douleur. Dans ces appels condescendants ou ta pitié remplaçait une tendresse disparue, détruite par un raisonnement social impitoyable. Dans cette longue agonie de tes pensées me quittant ; peut être déjà happées par des roses cueillies dans un autre jardin, ou encore captivées par des yeux pris au piège de ton regard emmailloté d’une fausse pudeur.

Mais qui étais-je, moi, instable, révolté, indécis, non croyant fasciné par ceux qui croient, anarchiste libertaire méprisant ceux qui pensent gérer, contrôler, organiser, albatros malhabile sur le pont d’un navire. Aimant une humanité qui ne demande qu’à respirer au rythme des saisons. Aux rythmes des amours. Au rythme des cerises qui surgissent si vite sous nos regards blasés. Au rythme des soleils qui s’allument dans les vies pour s’éteindre sans raison.

Moi le faux poète. Moi l’artiste sans talent. Moi qui ne comprends rien à rien de ce bourbier sociétal ou, seules des âmes sans vie se rangent dans l’ombre des lois et des règlements. Moi qui aime tellement les autres et les déteste autant davantage. Moi si démuni devant tant de choses pourtant si simples comme gagner sa vie normalement. Qui étais-je pour croire que ce bonheur durerait ?

Quand mes rêves traînaient sur le plancher de cette mutuelle qui dort sans doute encore, tu cherchais la lueur de mes yeux. Et ton regard, comme les cerises dévorées par les oiseaux, a disparu avec cette unique saison du bonheur. Les cerises reviennent avec le printemps, elles ; se gonflent à nouveau de leur juteuse saveur. Toi, tes yeux ne s’accrocheront plus à la branche de mon désir, de mon sourire qui pourtant trouve encore une sève nourricière pour se tendre vers toi dans un obscur passé.

Qui étais-je, qui suis-je pour croire que tu n’irais pas là ou tous les autres dirigent leurs pas. Que peut être tu suivrais les miens dans l’inconnu de rêves incensés. J’ai écrit ces quelques mots pour te raccrocher à moi. Pour continuer à entendre le son d’une voix. Pour voir ton visage se dessiner dans la magie des mots.

J’ai cherché une poésie que je ne trouve pas. Des mots qui s’enlisent dans le fumier d’un coeur qui empeste la décompostion lente des souvenirs arrachés à une prairie verdoyante, à un jardin sauvage, à des fossés luxuriants couverts de baies sauvages, des paysages finalement impitoyablement balayés par des machines humaines destructrices.

Les mots. Un chemin pavé de douleur, de souffrances, serpentant perdu au milieu d'une forêt de souvenirs, les mots devenus amis, compagnons d'infortune, ces mots qui ont partagé ma secrète infortune. Les mots qui m'ont parfois rassurés.

*

* *

Mars 2020 - passage dans le marais poitevin

Je t’avais demandé un jour de garder le contact, mais c’est dans le silence de l’oubli que ta vie doit maintenant se poursuivre. Car tu ne m’appelles plus jamais. Peut-être que les tableaux que j’ai peints pour toi sont dorénavant relégués dans le garage. Ou encore dans le local à piscine. Ou détruits. Les mots doux sont cachés, déchirés ou brûlés. Les bracelets n’ornent plus jamais tes poignets blancs et lisses.

Parfois, je t’imagine traversant le hall de cette Mutuelle ou tu travailles encore probablement. Peut-être t’arrive-t-il de croiser nos fantômes qui se cherchent dans la pénombre de cette salle de pause. L’improbable scène de cette pièce de théâtre tendre et romantique, parfois drôle, que nous avons jouée.

Tu m’avais dit à l’heure du crépuscule de notre histoire que la bibliothèque s’était transformée en tout autre chose. Une salle de réunion, je crois. Là aussi, tout n’est plus que poussière de passé. Peut-être que les rosiers de la cour intérieure donnent encore naissance à des fleurs effrontées qui ornent parfois ton pare-brise. Peut-être !

J’imagine que l’hôtesse d’accueil qui nous avait suspectés de nous livrer l’un à l’autre dans les toilettes, à juste titre d’ailleurs, est revenue à la torpeur de ses tâches quotidiennes, dorénavant indifférente à la mécanique de ta silhouette anonyme qui se faufile matin et soir.

L’immense rond-point qui fait face à la mutuelle reste gelé dans l’imperturbable immobilisme du mouvement des voitures qui se croisent. Dans le fond, en y repensant bien, j’aimais bien les rayons lumineux de Niort. Mais l’univers est peuplé d’une myriade d’étoiles qui diffusent leur chaleur chaude sur des mondes nouveaux. Je suis un voyageur malgré moi. Au revoir soleil de Niort.

*

* *

Souvent, le soir, me revient à l’esprit ce poème espagnol. C’est peut-être ce Dieu que j’ai abandonné si vite qui me les susurre à l’oreille, comme pour me rassurer et m’apaiser, me dire que le sillage laissé par le frêle esquif de notre histoire n’est plus.

« Caminante, son tus huellas
El camino y nada más
Caminante, no hay camino
Se hace camino al andar

Al andar se hace camino
Y al volver la vista atrás
Se ve la senda que nunca
Se ha de volver a pisar

Caminante no hay camino
Sino estelas en la mar "

*

* *

Je me suis réveillé ce matin sans penser à toi. Mathilde m’a fait un peu oublier. Ses cheveux bruns s’embrouillent sur l’oreiller et je tente de ne pas les tirer en me levant, pour ne pas la réveiller. Je n’ai qu’une hâte. Rentrer chez moi. J’ai envie d’un bain chaud. J’ai envie de me retrouver seul.

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