Chapitre XIII

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« La vérité, comme la lumière, aveugle.
Le mensonge,au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur. »

Albert Camus

Mon anniversaire est en Octobre. Et en cette fin de mois de Septembre, je fêtais, si tant est que cela puisse se fêter, ma première année à Niort. K. était toujours à l’appartement et sa présence ne m’était pas pénible, bien au contraire. Il avait été mon confident tout au long des premiers jours de cette aventure amoureuse.

Avant même avoir échangé quelques mots avec toi, je lui avais déjà fait part de cette languissante sensation qui s’insinuait dans ma vie au fil des jours. Je me souviens même du soir d’été ou je lui fis part des premiers regards échangés avec toi dans le secret des rencontres du matin.

Il avait cette facheuse habitude de fumer de l’herbe et il ne fallait pas beaucoup me pousser pour que je me laisse aller à la douce sensation des volutes pleines de promesses d’exarcerbation de mes sens, de ces notes de musiques qui s’égrennent plus belles, plus claires, des mots qui dévoilent l’immensité de leurs mystères. J’aimais cela. Surtout baignée dans cette nouvelle mélopée étrange de l'amour bourgeonnant.

C’était au mois de Juin. Je lui parlai pour la première fois de toi. Nous étions sur le balcon de mon appartement qui donnait sur l’une des voies principales donnant accès au centre ville de Nantes. L’endroit n’était pas des plus agréables. La rumeur des moteurs et le bruit récurrent du tramway couvraient parfois nos échanges mais il était difficile de résister à la chaleur de l’été naissant. J’aime la caresse du soleil sur ma peau. C’est là que mon coeur s’ouvrit pour la première fois dévoilant les prémisses de ce qui me semblait alors pourtant encore tellement irréel.

« Je ne sais pas trop. Je crois qu’il se passe quelque chose avec une fille que je croise régulièrement au travail. Nos regards s’accrochent. C’est juste une sensation. Je ne sais pas comment te dire. Tu vois ? »

J’ai toujours connu K. enthousiaste aux joies ou au bonheur des autres.

« C’est magnifique ! Je suis tellement content pour toi, me répondit-il avec cet air enjoué tellement agréable chez lui.

— Et tu ne lui as pas encore parlé ?

— Non. . Elle est vraiment jolie. Jeune aussi. Mais je m’emballe pas. Elle m’attire depuis un moment . Un petit manège de regards qui se croisent entre nous. Je la croise à la machine à café. Mais je ne suis sûr de rien. Tu vois ?

— Bah lance-toi ! Engage une conversation ! Tu sais.

— Je n’ai pas cette assurance que d’autres ont. Tu le sais bien. Le doute est toujours plus fort que tout chez moi. Elle est vraiment ravissante. Elle a un côté Julia Roberts. C’est peut être juste un hasard. Tout simplement sa nature d’être souriante et avenante avec les gens qu’elle croise. Pas plus que ça. Je me fais peut être un film. J’en sais rien !

— Bah raison de plus, me répondit-il, rien à perdre.

— Ouais ! Mes collègues de travail m’ont lancé un défi. Lui parler avant la fin du mois et décrocher un rendez-vous. Sinon tournée générale de bière. Bref. Mais ça je m’en fous.»

Il se mit à rire.

« Ca veut dire qu’ils ont remarqué ? Il ya forcément quelque chose. Lâche-toi. Hésites pas !

— Oui. Oui. Bon ce n’est pas si simple que ça. Bon on verra. »

J’avais besoin d’en parler comme pour me donner du courage. Ou tout simplement pour exorcicer mes craintes de n’être que dans une illusion sans fondement, dans un rêve puéril et stupide. L’entendre raisonner m’aidait à structurer mes sentiments, si confus et indécis.

Comme je l’ai dit, nous étions au mois de juin quand pour la première fois j’avais confessé mes impressions à K. À partir de ce moment, le soir, quand j’arrivais, il me regardait d’un air amusé, mais surtout interrogateur.... essayait de savoir si je t’avais croisé, parlé. Il riait à chacune de mes négations ; m’encourageait à nouveau à faire ce premier pas que je redoutais tant à diriger vers la séduisante inconnue.

Une soir pourtant, c’est imbibée de la magie de notre première conversation furtive, tenue sur le canapé de cette salle de café, que je franchis la porte de mon domicile. Il eût à peine le temps de me regarder pour comprendre. Le livre de mon esprit couvert des phrases de joie, de bonheur, de bien être immense, s’ouvrait à lui. Mon visage radieux lui en tournait les pages victorieusement. Ce jour là, je fûs intarrissable sur chaque instant que j'avais passé à discuter découvrant ta voix empreinte de l’accent du sud-ouest.

Mon bonheur contrastait étrangement avec la dureté sentimentale que lui vivait à ce moment là. Une jeune femme qu’il cotoyait depuis quelques mois absorbait son énergie dans un désespérant et vain espoir. Je l’avais croisée à plusieurs reprises et j’aimais beaucoup cette fille délurée, au demeurant particulièrement belle. Très jeune, elle aimait sa compagnie sincèrement. Pourtant je savais qu’elle n’exprimait qu’une sympathie justifiée. Lui y voyait un amour certain.

Bien sûr, il suivit toutes notre parcours

Il existait le secret que je t’avais caché et naturellement, assez rapidement, je parlai de ma bévue à mon K. Tu ne connaissais pas l’existence de mes filles et qui plus est, j'avais ouvertement menti.

« T’as pas fait ça ? me dit-il aussitôt, il faut impérativement que tu lui dises. C’est stupide !

— Je sais. Mais comment veux-tu que rattrape cette connerie ? j’y pense tous les jours ! je ne sais pas comment lui dire. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Elle est si jeune !

— D’accord, ça je comprends ! Mais tu ne peux pas laisser ça comme ça, il faut lui dire maintenant !»

*

* *

Un vendredi soir avant de partir du bureau, je t’envoyai un texto te disant la vérité. Ce fût un coup de massu qui brisa la douce harmonie amoureuse qui s’était mise en place entre nous.Tu m'appelas aussitôt, me demandant de descendre pour une explication plus claire. J'étais honteux ! Furieux après moi ! Comme tous ces moments passés ensemble avaient été bons et j'avais tout gaché ! Une immense tendresse amoureuse s'était mise en place entre nous telle que je n'en avais jamais connue. Est-ce que le secret de ce contexte y était pour quelque chose ? Est-ce qu'il ne s'agissait tout simplement qu'une de ces coincidences magiques que la magie de la vie sait si distiller parfois ? Et pourquoi avais-je agi ainsi ? Dire que la peur de te perdre avant même d'avoir conquis ton coeur en était la seule raison ne pourrait en aucun être une raison valable, je le savais, car c'était un mensonge, tout simplement un mensonge proféré au coeur même d'un paysage de vérité. Une dissimulation abjecte et impardonnable !

Le pas lourd, je descendais chaque marche, l'esprit torturé par les remords et les regrets. Te faire souffrir ! Au coeur même de ces moments d'euphorie tellement merveilleux pour l'un et l'autre. Toi qui prenais tous ces risques pour m'aimer !

Dans la pénombre de la salle de café, juste avant mon départ, nous nous fîmes face. J’avais à expliquer mon mensonge dans la douleur de la honte de t’avoir trahi. Tu avais ce visage allongé déserté par l’habituel sourire pétillant. Tu étais au bord des larmes. Comme je me souviens bien de ce jour-là ! Comme j’aimerais encore aujourd’hui que tu me dises « Je te pardonne ! ».

Je savais que l’épreuve allait être difficile et qu’un long week-end de silence viendrait s’ensuivre. Mon retour à Nantes fut si long. Aucun message me disant « bon courage » ou encore « je t’aime et tu me manques ». Les bourdonnements des téléphones qui brisaient le silence ne m’étaient pas destinés ; c’est d'ailleurs à peine si je regardais le mien, lui ne sonnerait pas, j’en étais sûr.

*

* *

Souvent à Nantes, les jours où je n'ai pas ma voiture, je prends le tramway pour rentrer chez moi. A peine suis-je dans une des rames que j'entends le son de ta voix me dire un petit mot d'encouragement ou s'encquérir de savoir comment mon voyage retour s'est déroulé. Ce soir, rien. Arrivé chez moi, je m'allonge et me mets à pleurer. Prostré, anéanti, je sais que je t'ai perdu et je sanglote, les larmes ne cessent de couler comme dans les moments sombres. K. n'est pas là, sorti sans doute, et l'oreiller sur lequel nos deux visages se sont joints est mon seul compagnon. Je sens mon coeur battre comme si un roulement de tambour funeste envahissait la chambre. J'essaye d'imaginer tes pensées. C'est presque comme si je te voyais allongée dans la pénombre de ta chambre, impuissant à te parler, à te rassurer. La douleur est intense.

*

* *

Il m'a menti. Il me ment tout le temps. Peut être a-t-il une autre femme aussi, loin de moi. Je me sens soudainement terriblement seule. Pourquoi me suis-je laissé aller à cette relation tellement difficile à vivre ? Pourquoi ? Je ne cesse de pleurer, Edouard est venu me voir il y a quelques instants et sa présence, curieux paradoxe, m'est encore plus insoutenable, il voit bien que je suis terriblement triste. Lui ne doit se rendre compte de rien ! Je n'ai pas encore appelé maman. Elle ne comprendra rien et me dira encore une fois de tout arrêter. Et encore une fois, elle a raison. Je vais laisser Manon avec son père ce soir et me préparer à passer une nuit terrible en expliquant que je ne me sens pas bien. Pour une fois, je prendrai un de ces petits cachets qui sont censés m'aider à dormir mais je sais que c'est l'épuisement de la tristesse qui finalement m'emportera. Il a essayé de m'envoyer plusieurs messages mais je n'ai pas le coeur à y répondre. Je vais éteindre mon téléphone.

*

* *

C'est pire que la gueule de bois. J'ai du réussir à trouver le sommeil quelques instants, au petit matin, des moments de léthargie inutiles, plus fatiguants encore que si j'étais resté les yeux ouverts, à attendre la cruauté de chaque minute à venir. Je repense à tous ces moments passés ensemble, heureux, à ces midis passés chez toi où je t'ai menti, ouvertement, cachant ce faux secret. Car ce n'est pas la nature de mon mensonge qui me tourmente le plus, mais je t'ai menti, menti de la façon la plus stupide qui soit. Tu dois me rejoindre dans ces souvenirs car je sais que nous parcourons les mêmes chemins de ces premiers souvenirs qui nous unissent.

Je me réveille en monstre ! Comme dans la métamorphose de kafka, mais ce n'est pas mon corps qui se transforme, et ce ne sont pas mes yeux qui découvrent l'horreur d'une visqueuse abjection, mais les tiens qui, en s'ouvrant, découvrent l'impitoyable réalité.

Je sais que K est réveillé, et même si je n'ai pas envie de le croiser ce matin, il me faudra faire bonne figure. Je suis comme ça, j'ai besoin de cacher en moi ce qui me tourmente. Je me lève, le croise, lui dis bonjour. Son éternelle bonne humeur est bien là et pourtant, elle peine à me réchauffer le coeur. Nous passons un moment ensemble, à discuter de choses et d'autres et il m'explique qu'il a rendez-vous place Graslin, à midi, que je pourrai le rejoindre un peu plus tard. Perdu, je ne sais trop quoi lui répondre. Je dis que peut-être, j'irai. Que j'ai très mal dormi et que pour le moment je vais retourner me coucher.

*

* *

J'ai réussi à dormir un peu. Je n'ose pas rallumer mon téléphone, sans doute regorge-t-il de ses messages et je sais que les lire va me replonger dans ce cauchemar. Il faut, ce matin que je reprenne le dessus mais la tristesse et la douleur sont encore plus vives qu'hier soir. Manon n'est pas encore réveillée, elle a dû se coucher tard hier soir, son père ne fait jamais attention à ça. Pour une fois, ça m'arrange mais j'ai hâte de la voir. Elle ne devrait pas tarder à faire irruption dans la chambre et envahir l'espace de son innocence enfantine. Celà va me faire du bien, beaucoup de bien. Arriverai-je à lui cacher ma tristesse ? oui, Il le faut! Soudainement, je me dis que c'est fini. Je ne veux plus le voir et cette décision me rend plus heureuse, je n'ai plus envie de pleurer. J'entends du bruit dans la maison, il doit être réveillé. La petite ne tardera pas non plus, mais j'ai encore un peu de temps.

*

* *

Je me lève enfin. Il va falloir continuer à vivre sans toi. K. m'attend au café place Graslin et je pense que je vais le rejoindre pour penser à autre chose. Je reste longtemps sous la douche, à laisser couler l'eau brulante sur ma peau et cette sensation de chaleur me va bien. Il fait très beau aujourd'hui, presque un temps d'été, et pourtant l'automne approche à grand pas.

*

* *

Je m'assieds près de K.. J'explique. Je lui dis que tout est probablement terminé. Les mots qu'il tente vainement de trouver pour me rassurer sont inutiles. Je me sens comme un soldat mortellement blessé sur le champ de bataille face à l'impuissance de l'infirmier qui l'accompagne dans la mort.

J'ai cessé d'essayer de t'appeler. Tu ne réponds pas et de surcroît, j'ai peur d'éveiller l'attention de ton concubin. Même dans ce moment je reste prudent. Je ne peux rester assis plus longtemps sur à cette terrasse de café où quelques amis, indifférents à mon désaroi, sont réunis. Seul K. jette un oeil sur moi de temps à autres et continue à me rassurer, un peu inutilement. Je me lève. Je pars déambuler au gré des rues, le téléphone à la main. Le vide se fait peu à peu en moi. Je descends la rue Jean-Jacques, je bifurque, me retrouve près du passage Pommeraye.

Et là, soudainement, le téléphone sonne. C'est toi !

On se parle longuement. Je ne décrirai pas le long dialogue qui s'est instauré entre nous, inutile ! Lecteur, tu sauras peut être deviner ce qu'un homme et une femme qui s'aiment se disent dans ces moments la. Et sans doute sauras-tu trouver dans ta mémoire trace de moments où l'on se sent tellement minable !

Moi, ce dont je me souviens, c'est de ta douleur, de ton chagrin. Dans tes mots, dans la sonorité de chaque phrase, de chaque silence, je percevais la cruauté de ma trahison. Chaque tremblement de ta voix venait me transpercer, car elle n'exprimait rien dans la colère ou le reproche, mais uniquement dans la douleur. La douleur d'être trahie, trompée. Tu n'étais que douleur ! Et je me sentais tellement impuissant à venir la soulager.

Des explications. Oui, j'en ai donné ! Des raisons? oui, j'en ai trouvé. Mais c'était inutile. Tu as été tellement merveilleuse à ce moment là. Toute l'intelligence de la femme brillante que tu es s'est déployée et peu à peu, au fil de notre échange, tes mots sont devenus plus clairs, le timbre de ta voix a repris un son crystallin, et c'est presque avec amusement que tu as fini par me dire.

« Tu es vraiment stupide ! Présente-les moi vite ! »

Une jolie petite boutique nantaise du centre ville, ou deux ou trois charmantes vendeuses accompagnent les challans dans leur choix, vend de très jolis bijoux ; simples, sans prétention. J'y suis allé et j'ai choisi un ravissant petit bracelet, très coloré, dont les motifs me rappelaient les tableaux de Toffolis, ceux qui ornaient chaque salle de mon juvénat.

Peut être un hommage à ce Dieu que j'ai fini par trahir, je l'ai acheté !

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