Chapitre VI

9 minutes de lecture

« La vie est un mystère qu'il faut vivre, et non un problème à résoudre. »

Gandhi

L’après-midi a été longue. Très longue. J’attends ton premier texto mais un peu avant cinq heures, je ne peux m’empêcher de t’écrire. Je suis tellement heureux.

« Tu es prête ?

J'ai un peu peur.

Moi aussi.

On se rejoint à ta voiture. OK ?

Ça marche. »

Nous sommes le vingt-deux août. Il fait beau. Nous allons partir du bureau plus tôt que d’habitude, en toute discrétion. J’arrive à la voiture. Tu y es déjà. Je monte. Le matin même, comme convenu, j’avais annulé mon covoiturage de retour et pour m’assurer la plus grande [discrétion], déclaré ne pas rentrer ce soir-là. Ma voiture était restée sur l’aire de stationnement à Nantes. Il faudrait aller la chercher, mais au moment de me glisser pour la première fois près de toi, passager clandestin, c’était véritablement la dernière de mes préoccupations.

Nous avons peu parlé au départ. Un de tes premiers voyages vers Nantes. Que ressentais-tu à cet instant précis ? Tu partais avec un presque inconnu vers une ville que tu ne connaissais pas mieux. Deux déjeuners avaient suffi pour que cet improbable voyage s’organise. Depuis notre première rencontre, tout allait très vite ! Si vite !

Tu allais passer un mercredi sans ta fille. Et pour cela, tu avais menti. Menti à Manon, lui indiquant que pour une fois, ce n’était pas maman qui allait la garder. Menti à Édouard, ton compagnon, affirmant que tu partais le mardi pour un rendez-vous avec un de tes contacts professionnels de la Mutuelle. Et puis que tu passerais la journée à faire quelques courses dans divers magasins que tu souhaitais visiter. Pour des besoins que tu avais soigneusement listés : un pull pour maman, un cadeau pour ta sœur, un jouet pour Manon. Tout paraissait si naturel dans chacune des paroles que tu déversais sur ce tissu de mensonges fraîchement inventés que ceux-ci se paraient d’une forme de vérité qui moi-même me trompait. Je n’osais même pas te demander si un hôtel avait été réservé. Peut-être t’étais-tu rangée à la décision de venir chez moi, comme je te l’avais proposé. J’étais juste heureux d’être assis à tes côtés et je bénissais les roses posées sur le pare-brise de cette voiture. Tu ne m’en parlais plus, du reste, et bien évidemment, j’évitais aussi le sujet.

Je me souviens bien de ce premier voyage. Tu conduisais avec prudence. Il était tôt et sortir de Niort ne fut pas un problème. Tu m’as laissé prendre le volant pour terminer le voyage. L’arrivée à Nantes t’effrayait un peu. Je me suis efforcé de rester dans le même rythme de conduite que le tien et cette lenteur m’allait bien. Je détournais parfois le regard de la route pour lire dans tes yeux une expression ; un reflet des pensées qui pouvaient t’habiter. Mais ton sourire figé et les éclats rieurs de ton œil pétillant cachaient tout.

Je crois que nous avons longuement flâné dans les rues avant de décider d’aller dîner. Je connais bien tous les restaurants de Nantes ou presque et pourtant j’hésitais. Je ne voulais pas te décevoir.

Je décidai d'aller là ou nous trouverions le plus d'intimité. Un endroit caché que seuls les nantais connaissent. Une cour recroquevillée au milieu des tortueux immeubles d’un quartier perclu d’histoire. Déjà ton angoisse de croiser quelqu'un dans ton adultère à venir était si présent à ton esprit et je le voyais bien.

Nous nous sommes installés sous la chaleur de l’été dans le patio. Je me souviens exactement du recoin caché des regards que nous avons choisi. Tu étais vêtue d’une élégante robe noire. Il y avait encore entre nous ma tentative de baiser volé. Dès que ce souvenir surgissait, un frisson de honte et de remords me parcourait le corps entier et cette douloureuse expérience me rendait plus prudent que jamais face à toi. Tu devais encore penser que les roses, c’était moi !

Nous nous sommes parlé longuement, à voix basse, laissant la douceur de la chaleur estivale nous envelopper comme pour empêcher les mots de s’échapper. L’intimité feutrée des amoureux était déjà là. Les premières mailles d’une bulle protectrice et rassurante se tissaient. J’ai découvert tes goûts. Ce plaisir que tu prenais à la vue d’une assiette pleine de promesses. Cette gourmandise permanente. Cette soif de plaisir. Tout dans tes gestes, tes regards, le mouvement de tes mains, transpirait le plaisir sensuel. Je t’aimais déjà tellement à te regarder. Ce visage encadré d’une jungle blonde et fleurie, un entrelacement de torsades dorées que tu ramenais de temps à autre dans un mouvement de fermeté autoritaire, la tête basculée en arrière, pour finalement les abandonner à leur sort, penchant légèrement la tête sur la droite, me regardant souriante, amoureuse peut-être, ingénue sûrement.

Ton passé de jeune fille privilégiée m'est apparu petit à petit. Me parlant de tes origines, de tes parents, de tes études. L’accent du sud-ouest parfumait chacun de tes mots. Je ne connais pas le Périgord. Une certaine jeunesse dorée, aristocratique souvent, fût celle que j’ai cotoyée pendant mes années d'études. L’élégance de milieux très éloignés de la simplicité de mes origines me séduisait, curieusement, et j'avais peu à peu appris à connaître les conventions d'une classe qui pourtant m'était étrangère. Mais ce n'est pas cet univers que je découvrais chez toi. Un étrange mélange de simplicité mêlée à des principes d'une aritocratie-paysanne

Nous sommes rentrés. La voiture était restée dans l'un des parking de Nantes et je pris le volant : il fallait l'extirper des des tortueuses et étroites allées et tu ne te sentais pas à l'aise à cet exercice. Je ne savais pas encore ce que tu allais faire, hôtel ou pas hôtel. Ce n'est pas sans un certain amusement que j'observais ton hésitation à venir dormir chez moi. Déchirée entre des craintes un peu fantasques et une curiosité dévorante, tu me regardais en souriant, indécise. Finalement, plus par envie de me voir dévoiler mon univers que rassurée, tu acceptas de déposer ta petite valise chez moi.

*

* *

Tu découvris mon appartement, soigneusement rangé et nettoyé. Moi, un peu gêné, je te fis visiter les quelques pièces du logement, comme cela se fait généralement, terminant par la chambre où je te proposais de dormir. Tout respirait la propreté. J’avais mis tout mon cœur à rendre l’endroit agréable et je crois que tu en fus surprise. Une fois tes premières impressions passées, tes premiers mots polis murmurés, nous nous sommes retrouvés l’un face à l’autre. Nos yeux se croisaient, comme chaque jour, mais, cette fois-ci, ni le regard des autres ni l’ambiance stérile de notre entreprise ne venait nous gêner. Tu te trouvais face à moi presque immobile. Toutes tes craintes venaient d’être balayées par la maladresse de mes gestes, par mon embarras à me dévoiler, par une pudeur que tu n’avais pas perçue chez moi. Je me souviens avoir regardé longuement ce petit portrait de « Matisse » qui trônait au-dessus de mon canapé, quelques traits posés sur le papier dévoilant le talent immense de l’artiste, un visage de femme presque parfait, quelques coups de crayon qui faisaient écho à ton visage, teinté d’un tendre amusement, me fixant ardemment.

Je crois que ni l'un ni l'autre ne pourrons jamais nous souvenir de comment nos lèvres se sont rapprochés dans la chaleur de cette nuit d'été.

*

* *

Ce fut une explosion de tendresse et d’amour. Ébranlé par tant d’épreuves, à peine debout, sonné encore par les coups d’une vie agressive, vacillant, fragile, je redécouvrais certes le plaisir charnel, mais surtout la joie d’une explosion de désir enracinée dans l’immensité d’un amour implacable. Tu n’avais plus aucune retenue. Tu n’avais plus de doute. Tout contrastait avec ce baiser refusé quelques jours auparavant. Je me délectais du contact de tes lèvres, de celui de ta peau et de ton corps encore ferme et empli de jeunesse. Tu te laissais aller dans l’abandon et me regardais avec un certain étonnement. Je découvrais ta peau blanche parsemée de mille étoiles noires. La jeunesse de tes seins gonflés par le désir. Chacun de mes gestes pour ôter tes vêtements était rapide et sans doute un peu maladroit. Pourtant instinctivement je retenais mon impatience pour laisser mes baisers glisser longuement sur ton ventre blanc et plat. Je sentais le frémissement de tes sens qui déployaient leurs pétales, comme une rose qui se livre au désir des rayons du soleil.

Je donnerais le restant de mes jours pour revenir contre toi cette nuit la. Pour que mes mains, étau de velours, serrent à nouveau ton crâne avec fermeté, mais délicatesse, laissant flotter ta chevelure folle sur les draps, ces cheveux blonds et bouclés, rebelles, affolés encore plus par mon étreinte masculine.

Tout a duré la nuit entière. Je ne me souviens pas avoir dormi ou à peine. Le temps d’une somnolence bienfaisante vite interrompue par un renouveau de pulsion amoureuse. Ta bouche gourmande vint aspirer tous les désirs de mon corps. Et l’éternité s’installait entre nos deux regards déjà liés par une longue et patiente histoire d’amour secrète. Ces mois d’échanges secrets avaient alimenté un réservoir de désirs et d’envies qui se se déversait subitement sur nous.

Je revois ton visage torturé de plaisir, les yeux fermés ; l’écho du passé retentit encore de tes cris qui semblaient supplier les étoiles de cesser de bouger, la terre d’arrêter de tourner, et j’essayais en vain d’immobiliser mon corps pour me fondre à ce cosmos qui n’obéissait qu’à ton désir. Essoufflés, en sueur, haletants, nous finissions vaincus et immobiles, tétanisés ; et pourtant, dès que nos muscles reprenaient vie, nous repartions à l’assaut de cette montagne de plaisir dont nous n’apercevions pas le sommet. Ce fut ainsi la première fois. Ce fut ainsi presque à chaque fois.

Tu devais rentrer tôt et pourtant, emportée par la vague de tendresse qui nous unissait, ce n’est qu’en fin d’après-midi que tu te décidas à prendre le départ. Nous n’avions fait ni magasin ni visite ; pas même déjeuné. Ta fille t’attendait et la rejoindre, la rassurer, et surtout clarifier ce retard inexplicable à ton compagnon étaient autant de défis qui t’attendaient, prêts à donner naissance à de nouveaux mensonges. Il paraissait s’alarmer de ton silence, d’ailleurs. Les vibrations énervantes de ton téléphone en attestaient. C’est moi qui ai conduit jusqu’à l’endroit où ma voiture était restée stationnée, affronter l’infernal trafic du centre-ville de Nantes t’effrayait un peu, mais j’avais oublié un détail.

Mes habituels covoituriers se retrouvaient aussi là chaque soir à la même heure et je risquais de les croiser. Et bien sûr, au moment où je me penchais une dernière fois sur tes lèvres usées par les fougueuses embrassades de la nuit, leur voiture passa devant moi. Je ne pus que lire l’étonnement dans leurs yeux, mais cela n’était pas grave, après tout, il était légitime que je revienne chercher mon véhicule ! En revanche, la chevelure blonde bouclée de la femme qui s’apprêtait à partir ne leur était pas inconnue.

Je ne t’ai rien dit. Pour moi, cela n’avait pas d’importance.

La séparation ne fut pas douloureuse : nous savions que tout n’était que promesse et que devant nous s’étendait un chemin, une ligne droite, un long parcours d’amour et de passion. L’autoroute conduisant à Niort n’était pas très loin et je te montrai le chemin de retour au volant de ma voiture. Tu me suivais. Dans le rétroviseur, j’apercevais ton visage appliqué à guetter mon signal te demandant de bifurquer. Je mis mon clignotant t’indiquant l’endroit ou tu devais tourner. Levant le pied, je laissai ton véhicule me rattraper pour qu’une dernière fois nos regards se croisent dans la complicité de deux destins qui, eux, venaient de converger.

*

* *

J’ai vite regagné l’appartement qui suintait encore de l’érotisme de ton corps blanc et onctueux. C’est étrange. Quelque chose de nouveau pour moi embrasait mon âme tout entière. Aucune femme, pas même les mères de mes enfants, n’était par le passé venue bouleverser mon cœur avec une telle violence. Il ne fallut que quelques instants, revenu au sein de l’antre qui nous avait réunis si ardemment, pour à nouveau ressentir ce désir de t’avoir dans mes bras.

Allongé sur le lit, recroquevillé sur moi même, je laissai ce doux bien être m'envahir complètement. Mon esprit se mit à survoler ces souvenirs immédiats comme un ange planant sur un paradis enfin retrouvé.

Avant de m'endormir ce soir là, je me suis aperçu que de toute la journée, tu ne m'avais pas parlé des roses.

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