“OK Gill, je suis prête.”

Gill souriait. Trois années avaient données d’excellent résultats, très loin de ce qu’il aurait pu imaginer. Diane était un génie de la transmutation, elle avait ça en elle comme une évidence. Il répondit:

“Oh oui, tu l’es.”

Des flammes.

Un chemin tracé devant eux deux, et le silence. Une foule n’était pas là, mais ils savaient exactement ce qu’ils étaient en train de faire. Leur dos était marqué de sillons gravés avec une lame: le nombre de transmutations partielles qui avaient été nécessaires à cette oeuvre dépassait l’entendement. Les symboles cicatrisés étaient recouverts d’une glue bleutée, elle-même recouverte d’une poudre argentée hautement inflammable.

“Gill, dis-moi que c’est la bonne décision.

- C’est la seule décision.”

Elle ferma les yeux. Pris une grande inspiration.

Leur pied droit frappa le sol à la même vitesse, avec la même posture, la même énergie, la même température, le même esprit. Leur corps était tout entier soumis à l’énorme quantité de dimensions psychiques brassées en cet instant. Mais ni le temps ni la réalité de leur matière ne pouvait arrêter ce mouvement, qui avait été répété des milliers de fois. C’était trop tard: le destin avait déjà pris la route de son accomplissement. Leur peau n’était plus qu’une brûlure, la souffrance était un catalyseur. Le saut dans la mer ne serait pas la fin. La souffrance pouvait continuer éternellement, et elle le ferait probablement.

Diane senti le muscle de son mollet faillir et manquer de la faire chuter, Gill fit un léger mouvement semblable mais le décalage pu être résorbé deux foulées plus loin. Ils ne se mouvaient que par la volonté, la volonté ne faisant pas tout, il fallait brûler pendant encore une bonne dizaine de mètres. Diane envoya un signal:

“Je ne sens plus rien, je ne sais plus ce que je fais.

- Tu n’as pas besoin de sentir, répondit Gill. Ton corps sait déjà exactement ce qu’il a à faire. La seule différence ici ce sont les flammes. Continue de faire, l’action se fera sans ton intervention.

- Mais je…

- Plonge !”

Le corps de Diane tendit ses bras avant même qu’elle ai pu réaliser quoi que ce soit dans son esprit. En un instant, la glaciale enveloppe recouvrait les deux personnes, dans un choc thermique nécessaire.

Une seule réalité avait été requise pour l’ensemble de la procédure. Le spectacle n’avais pas été dérangé par des milliers d’esprits qui se connectent à l’espoir de devenir un agent. En cet instant, des larmes coulaient sur le visage de Gill et se mêlaient aux flots impitoyables. Les poumons de Diane se vidaient encore plus au fur et à mesure qu’elle permettait à l’air de s’échapper, et personne ne viendrait la sauver cette fois. Elle savait que Gill ne la rattraperait pas, il n’y aurait aucune erreur possible, aucune équipe de secours, personne pour la récupérer en sortant de l’eau, elle allait devoir tout faire toute seule. Elle avait hautement conscience du moment d’après, et choisit d’y faire son deuil. Il n’existerait probablement pas de moment d’après. Cette folie avait été accomplie dans le plus parfait déni de sa propre existence. Elle avait été consommée et pas écrite. Les brûlures continuaient de grignoter la chair de leur dos et le froid permettait seulement de les empirer.

C’est là, au fin fond des ténèbres abyssales, qu’il fallait opérer.

“Gill… Je le sens dans ma cage thoracique. C’est une bulle qui s’expand.

- Je le sens dans ma colonne vertébrale.

- Adieu, mon ami.

- Libère-toi.”

Quand la tête de Gill bascula vers avant, fondue dans le point zéro, sa colonne voulait presque se retirer de sa prison de chair. Elle emmena avec elle ce qui restait de cet esprit. Les données transitèrent alors, entièrement, dans le corps de Diane. La mâchoire de Diane se bloqua. Le coeur de Gill se figea pour ne plus battre. Ils dérivèrent ainsi pendant un moment, délicatement déposés au fond des océans comme une plume touche son sol. L’espace d’un instant ils furent entremêlés l’un à l’autre, leur corps ne fit plus qu’un. Mais ce n’était pas une forme de vie enviable.

Ils se séparèrent à nouveau.

La glue bleue badigeonnée sur le dos fût absorbée par les symboles: à l’intérieur de l’organisme, cette substance libéra de l’oxygène.

Les poumons se remplirent à nouveau et le corps fût amené à la surface. Les vagues le charrièrent jusqu’à la plage.

Le sel piqua les yeux de Diane lorsqu’elle reprit connaissance. Elle cracha et se retourna pour se tenir sur ses mains et se relever: difficilement.

Des frissons d’excitation la parcoururent de part en part tandis qu’elle sentait les séquelles physiques de ce qui venait de se produire.

Gill était étendu sur le dos. Le soleil brûlait sa rétine malgré ses paupières fermées. Son premier réflexe fût d’attraper la bille accroché à son collier: elle était bien là ! Comprenant qu’il était arrivé dans le reverse, une énorme boule de soulagement remplit sa gorge. Il serra d’une main son pendentif et pleura de toute son âme en se recroquevillant.

Diane hurla. Elle plonga ses mains dans le sable humide et froid et serra ses doigts crispés pour en sentir les grains. Gill se releva. Ils marchèrent.

Diane attrapa la serviette qui l’attendait posée sur une pierre, et Gill enfila les vêtement que Diane avait prévu pour lui. Dans la poche de Diane se trouvaient les papiers d’identité que Gill avait fait pour elle: Mina Virankowski.

La bille de Gill indiquait elle aussi un nouveau propriétaire: Asor Lerion.