Ch.2 - 5 | Cartographie du contrôle et du chaos

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Diane descendait l’infinie volée d’escaliers en pierre qui longeaient le mur du Kern. Elle espérait bien trouver quelques visages familiers à l’intérieur du pub chaleureux, en cette fin d’après-midi brumeuse. Les volutes orangées du coucher du soleil balayaient les dernières marches, tout en bas. Sur sa droite, des percées de lumière dorée en provenance des fenêtres. Avec un regard attentif, on pouvait voir derrière les rideaux cristallins du pub: ses lustres aux bougies sur-flammables ainsi que ses tables en marbre étaient inspirés des thermes légendaires. On racontait qu’il y avait des arrière-salle aquatiques dans les sous-terrains, mais le gérant avait toujours nié avec un sourire ces “histoires qui ne servent qu’à alimenter le mythe”. Il était néanmoins le premier à raconter aux voyageurs comment il avait sorti de la ruine son “repère de pirates”.

“Ne laisse pas tomber ton poids de corps, tu dois le retenir et plier ta jambes vers l’arrière.”

Gill sirotait son verre en terrasse avec un livre de circonstance -l’équivalent du portable cassé, indiquant qu’il était mentalement absorbé dans un univers différent de celui sous ses yeux.

“Ok, Gill, je… Je vais vraiment devoir changer ma démarche ? Je veux dire… à ce point ?

- Tu n’as pas pu acquérir les réflexes moteurs nécessaires à la première leçon. Ce sont des choses qui se travaillent dès l’âge de trois ans normalement, mais…

- Humpf !

- …mais tu n’as pas à t’inquiéter, reprit-il. J’ai accès à tes panneaux rachidiens, je vais faire les changements. Mais bon les muscles adéquats, tu vas devoir les développer toi-même. On se les fait pas via une pratique mais avec une façon d’être, tu me suis ? Ça fait partie intégrante de ce qui va donner tes micro-mouvements.”

Diane vida son esprit. Elle avait cru remarquer qu’aucune des indications de Gill ne devait être réfléchie. Son corps ferait tout seul ce que son alter-égo d’un autre monde avait programmé, dans le point zéro. Il tourna une page de son bouquin avec une délectation que seuls ceux qui ne lisent absolument pas ce qu’ils ont sous les yeux peuvent connaître.

“T’as tout compris, baie !

- Qu’est-ce que tu racontes Gill, je me concentre.

- J’ai entendu tes amis dire ça, répondit-il en rigolant. Prends ton temps par contre, place-toi bien.

- Je crois que ça t’amuse un peu trop, répliqua Diane

- Prétends que ça ne t’amuse pas !

- J’t’écoute pas, j’ai la tête ailleurs, ‘paraît que mes mollets font pas c’qui faut pour passer entre les dimensions, j’sais pas quoi.”

Les pans du long manteau de Diane s’envolaient légèrement derrière elle quand elle posa enfin le pied sur la dernière marche. Lassée mais fière d’apprendre autant de choses, elle poussa de ses deux mains les lourdes portes vitrées du Kern. Une vive sensation de brûlure à la base du crâne lui indiqua que les mouvements avaient été imprimés dans son système rachidien -merci Gill. Elle était maintenant habituée à ces petites pointes de douleur qui lui faisaient parfois relever le menton d’un mouvement vif, en réaction.

La pièce principale du Kern avait un très haut plafond, surmonté d’une coupole en verre. À cette heure, on y voyait déjà les étoiles dans le ciel clair. De larges piliers sculptés soutenaient ses arcades, qui abritaient les tables hautes ainsi que de gros fauteuils en velour ouvragé.

“Heeeey Di-ane !”

C’était son amie Erika, assise au fond de la première salle avec trois autres personnes. À en juger par la petite danse qu’elle esquissait maintenant, Rika n’en était pas à son premier verre de Vantage-de-Lousse.

“Salut vous, répondit Diane en s’asseyant sur une des chaises hautes, le sourire aux lèvres.

- T’as entendu parler des mises à jour du Chambellan, après son discours ? demanda un des amis d’Erika.

- Pas encore, non ? Il se passe quoi ?”

Il se recula sur sa chaise en plissant les lèvres afin de collecter ses pensées:

- Oui enfin pour te résumer le truc: on peut dire que la création d’un nouveau Codex est en cours.

- Ils se moquent de moi quand je dis que je ne sais pas ce qu’est un Codex, aide-moi Diane je n’en peux plus de ces deux-là, plaisanta Rika en replaçant une mèche de ses cheveux blancs derrière son oreille.

- C’est un livre symbolique, quoi !

- Mais comment ça un livre ? Qu’est-ce que c’est ?”

Ses amis pouffèrent d’un rire sans méchanceté. Diane envoya un regard interrogateur et amusé à l’attention d’Erika:

- De quelle temporalité tu viens, toi ? Tu n’as pas fait ta formation classique ?

- J’avoue tout: oui tu as deviné. Mais c’est une longue histoire ! Par pitié les gars me la faite pas raconter ce soir, ce sera pour une autre fois.

- OK, je vais te montrer, décida Diane.”

Elle se saisit des dessous de verre de toutes les personnes de la table et les redistribua à chacun en leur demandant de graver leur prénom ainsi que la fréquence de leur bille au dos des cartes.

“Eh, c’est pas un peu rapide ? répliqua l’un d’entre eux.

- …Je mets la mienne aussi, répondit Diane.

- Pour ça il te faut un verre, dit le second.

- Une Vantage pour la future agente ici présente s’iouplait !”

Le barman fit un signe de main amical et saisit un verre avant de l’apporter à la table.

“Comment tu as su ? questionna Diane.

- C’est évident, non ? Tu te tiens comme les agents de la seconde Vague mais tu n’as aucun point dans la nuque. Tu as forcément suivit l’entraînement de naissance dans l’espoir d’accéder aux quatrième départs.

Elle passa la main dans son cou à l’endroit des douleurs et songea à se laisser pousser les cheveux, pour le couvrir.

“Trop fort ! Bon, est-ce c’est fait ? Vous avez gravé vos noms ?

- Ouais, tiens.”

Ils lui tendirent leurs dessous de verre. Diane les perça avec un cure-dent métallique et détacha de son cou le collier qui portait sa bille, qu’elle plaça dans sa poche. Elle passa la chaîne dans les trous pour former une reliure et donna le résultat à son amie Rika:

“Imagine que chacun d’entre nous est un représentant de nation, et que nous soyons amenés à graver nos coordonnées les plus privées sur un objet matériel. Lier les pages ensemble, ce serait…

- …Le symbole montrant que ces nations travaillent ensemble, réagit Erika.

- Exactement.

- Je vois. Donc le Chambellan prévoit une nouvelle alliance. L’actuelle ne fonctionne plus ?

- À la bonne heure, Erika ! s’exclama un de ces amis en souriant. Elle nous a enfin rejoint !”

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