Ch.2 - 4 | Cartographie du contrôle et du chaos

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La bâtisse ressortait des montagnes par le flanc droit d’une cascade. Les métaux vitrés qui lui servaient de murs laissaient paraître un rendu très organique vu de l’extérieur -couleurs de roche- tandis que l’on pouvait admirer la cascade s’écouler devant nos yeux depuis le salon principal. Insonorisé, isolé mais aussi totalement hermétique aux fréquences universelles passants normalement dans les billes, le Chalet était, dans sa conception, un petit bijou d’ingéniosité. Propriété de la famille Virankowski depuis plusieurs générations, c’était aujourd’hui Jayli Virankowski, l’ainé, qui en avait hérité. Les Virankowski avaient un long passé de proximité avec les familles d’intégrés au Point Zéro. Le Chalet était en quelque sorte la mine d’or devenue maison, devenue forteresse dans la montagne, gracieusement mise à disposition du gouvernement en l’échange de quelques faveurs évidentes: Jayli ne savait plus comment être pris au sérieux dans l’exercice de ses fonctions. Il avait pourtant travaillé dur pour en arriver là, mais ses compétences ne pourraient jamais être prises au sérieux et il savait pourquoi. Dans son monde, le luxe était de faire le strict minimum. C’est assez simple: vous ne pouviez pas tolérer d’échouer.

Jacob Grant, son assistant, l’interrompit dans ses pensées:

“Monsieur, nous avons sous les yeux le premier envoi d’instructions de Madame Prieto. Nous prévoyons une réunion dans l’arrière-salon d’ici une quinzaine de minutes, si vous voulez bien vous joindre à nous…”

Les bras croisés derrière le dos, les flots de la cascade se reflétant dans ses yeux absents, Jayli ferma doucement les paupières en prenant une ample -mais discrète- inspiration. Il tourna légèrement la tête et fit un bref signe du menton, pour signaler qu’il avait entendu. Grant sorti de la pièce. Deux employés traversèrent le salon en discutant, dans l’intention d’emprunter l’ascenseur central qui ne pouvait que descendre aux étages moins élevés. Ils se firent silencieux en apercevant M. Virankowski depuis l’autre bout de la pièce, avant de disparaître derrière les portes coulissantes.

Virankowski adorait le Chalet. Non pas parce qu’il était un bastion stratégique de première main, mais parce que ses poutres en bois massif lui rappelaient ces doux étés qu’il passait ici, en compagnie de sa soeur Mina. Évidemment, si l’on voulait mettre les enfants en sécurité, on les envoyait passer quelques vacances au Chalet. Quitte à n’avoir aucune perspective d’avenir, Jayli avait choisit de se terrer en compagnie de ces dédales qu’il aimait tant. Il avait sauté sur l’occasion lorsque Prieto avait annoncé à sa soeur -le Capitaine Virankowki- le souhait du ministre d’ouvrir à nouveau un suivit des agents perdus au cours de la seconde vague. Étant donné l’impopularité de la démarche -il aurait fallu admettre qu’on les avait, eux aussi, perdus- cette section devait s’ouvrir sans diffusion sur les Fréquences Universelles des Nations (F.U.N.) c’est-à-dire, en tout points, rester confidentielle. La section Codex était née. Il savait qu’il devrait partager la demeure avec quelques agents et autres employés de bureau mais, au fond, il restait dans sa forteresse de solitude -et cette perspective ne lui était pas désagréable.

Lorsqu’il poussa les portes de l’arrière-salon les discussions cessèrent, quelques membres se redressèrent sur leur chaise. Tous les regards étaient tournés vers lui et Sylvio Klaric -le secrétaire- lui adressa un sourire chaleureux. Jayli s’assit en bout de table et dit avec simplicité:

“Commençons.”

Le brouhaha repris. Grace Ganim-chargée de communication- sorti un papier translucide tandis qu’Amy Moran s’avachit sur sa chaise en croisant les pieds sur un coin du plateau central.

“Alors, qu’est-ce qu’on a là… dit Jacob en se saisissant de la feuille translucide -qui était aussi affichée en pluri-dimensions au-dessus de la table, comme un plafond sous le plafond.

- Elle nous a fait une liste des agents par ordre chronologique de transfert, répondit Jayli. Comme c’est généreux de sa part, étant donné que tous les créneaux temporels ont été mélangés lors des premiers processus d’initiation…”

On entendit quelques personnes pouffer de rire, Jayli reprit:

“Elle veut que nous les retrouvions. Lieu, famille, époque, tout ce que nous pourront rassembler.

- Je ne vois pas comment on pourrait faire ça sans aller sur le terrain, lança Ganim.

- On le savait dès le départ, affirma Moran en souriant, nous ne sommes pas ici pour faire du bon travail. Nous sommes ici pour faire bonne figure lorsque les scandales éclateront, et qu’il ne restera que nous pour faire croire aux gens que les intégrés en ont quelque chose à faire…

- On s’en fiche, coupa Jayli. Peu importe les opinions des intégrés, vous et moi on en a quelque chose à faire. C’est évident, non ? Sinon vous ne seriez pas là. Nous allons devoir passer par des manifestations indirectes.

- On pourrait…”

Grace réfléchissait à voix haute.

“On pourrait commencer par questionner leurs examinateurs ?”

Jacob Grant laissa échapper un léger sifflement avant de commenter:

“Ouais ! Qui veut se mettre à dos la Guilde ?

- Moi ils me détestent déjà, répliqua Moran en souriant, ça ne changerait pas grand chose que j’y aille !

- Tu es sûre ? demanda Ganim.

- Tout ce qui me permettra de sortir de ce tombeau des neiges.

- On aura besoin d’un rapport quotidien, rappela Jacob.

- Ouais, répondit Moran, du tac-au-tac.

- Heu… Excusez-moi, mais…”

La subtile présence de Marco n’avait échappé à personne, cependant tout le monde préférait penser qu’il était là pour préparer le café. Néanmoins, Amy Moran se tourna vers lui lorsqu’il commença à parler et l’écouta avec attention.

“Quand on les aura retrouvé, je veux dire… Parce qu’on va les retrouver, n’est-ce pas ? Quand on les aura retrouvé, on fera quoi ? Je veux dire… On les ramène ? Enfin je veux dire… Vous voyez quoi, on va pas… Enfin je ne sais pas.

- Ouais Marco je me suis posé la question aussi, répondit Klaric.

- Les instructions ne mentionnent rien à ce sujet, ajouta Ganim.

- Vous voulez dire… Enfin vous voulez dire que c’est comme on veut ?

- Ça m’étonnerait beaucoup, répondit Jayli. Je vais demander à la secrétaire générale. D’ici là, vous pouvez déjà commencer les recherches.

- Je le sens pas, cette histoire… souffla Jacob.”

Grace Ganim regarda Jayli avec insistance, le message était alors clair malgré l’absence de communication de bille à bille -tout le monde avait une formation en psychologie de base, dans le reverse. Elle voulait faire part d’une intuition dont elle ne voulait pas contaminer l’esprit des autres. Il fronça les sourcils. Qu’est-ce qui méritait une telle précaution ?

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