Ch.2 - 2 | Cartographie du contrôle et du chaos

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Les échos traversaient les plaines de sable tandis que la voix du grand Chambellan résonnait dans les oreilles de la petite foule qui s’amassait, en contrebas. Diane s’avança quelque peu avant de s’asseoir. Elle restait en marge mais n’en perdait pas une miette -elle ne pouvait pas, quand bien même elle aurait voulu ignorer ce discours : il était diffusé en direct à l’intérieur même de chaque bille. Où que vous soyiez, qui que vous soyiez, en cet instant vous aviez dans vos pensées la voix rocailleuse d’Anan Quey, qui vous présentait la vie de Lachlan comme la plus imperméable des évidences. Nous savions que c’était une façon de donner la température psychologique de la planète. Les intégrés n’avaient pas d’autre choix que de vivre ainsi, reclus dans la plus parfaite exposition mondiale. Évidemment vous pouviez ignorer ce que disait le flux: il y avait des entraînements pour ça. Assez chers, d’ailleurs. Des firmes indépendantes proposaient parfois des possibilités de formater votre bille mais c’était à vos risques et périls: si elle déconnait ensuite, vous pouviez vous retrouver assez rapidement bloqués pour tout ce qui était administrations, transports, santé -même faire les courses pouvait devenir compliqué si votre bille commençait à crachoter.

“Mais il est merveilleux, ce type !”

Gill était complètement absorbé par ce qui se passait. Tandis qu’il finissait de passer une planche de plexi à la scie sauteuse, il enfila sa veste en jean et ouvrit son portable à clapet.

“Qui, Layer ? Tu trouves ? demanda Diane.

- Nan…”

Il fit un signe de la main à son pote Luis qui partait faire sa pause clope.

“Eh Gill t’as pas froid ? s’écria Luis en s’éloignant. Qu’esstu fou avec une petite veste en hiver, tu te les joues guerrier sous les cascades ou quoi ?”

Gill sourit sans répondre. Luis continuait:

“Tu vas tomber malade, hein !

- Ouais comme ça c’est toi qui fera la scie sauteuse et moi les papiers bien au chaud dans le bureau, ha !

- Bien répondu gamin, tss…”

Le Chambellan prenait des airs de chanteur d’opéra, sa bille montée au centre de l’armature qui entourait son front scintillait d’un bleu-rose iridescent. Diane s’en fichait :

“Ouais, écoute Luis, tu vas tomber malade si tu continues comme ça.

- Oh eh, tu vas pas t’y mettre aussi, je te dis que mon corps sait comment supporter les dissonances thermiques.

- Ouais.

- C’est un des premiers trucs qu’on apprend à faire en allant sur le terrain. D’ailleurs, si c’était faux, tu serais frigorifiée à l’heure qu’il est.

- Je ne crois pas, non, répliqua Diane, regarde où je me trouve…

- Wow !

- Ouais c’est joli. Un peu… Vide…

- Comment ça ? C’est blindé de monde !

- Ah tu parles des gens ? Regarde cette… Absence de végétation…

- Diane, tu veux voir ce que ça fait quand je ne maintiens pas mon corps en-dehors des dissonances ?

- Vas-y, le discours du Chambellan m’assomme.”

L’esprit de Gill pénétra au centre même de la non-dimension, afin d’y trouver ses thermo-régulateurs. Il posa son attention sur l’un d’entre eux afin de le désactiver. Il retira sa veste ainsi que son t-shirt et souriait maintenant en direction du ruisseau qui longeait la face ouest du bâtiment.

“M’ouais… C’est plutôt confortable, menti Diane.”

Il éclata de rire en se rhabillant. Elle frissonna d’un air grognon avant de se concentrer sur les nouvelles du jour.

Le Chambellan figeait ses épaules vers l’arrière mais ne bombait pas le torse. Son long costume d’un pourpre intense faisait paraître un reflets rougeoyant sur le sable, quelque chose de vaporeux semblait émaner de lui mais ce n’était que les illusions d’optiques, dues à la chaleur:

“Aujourd’hui j’ai vu beaucoup de jeunes gens, et dans ces jeunes gens il y avait de l’espoir.

L’espoir qu’un jour, dans la continuité de leur histoire, se trouve l’opportunité de rentrer dans le reverse. Aujourd’hui j’ai vu, dans la continuité de notre histoire, les brillants esprits de demain venir en terrain connu de nouveau, transformés. Enrichis. Enrichis non seulement physiquement mais aussi spirituellement, comme seule une expérience dénuée de tout flux peut le permettre, à celles et ceux qui se portent volontaires pour cette lourde, mais si précieuse tâche. L’opportunité ne dépend pas d’eux, elle dépend de nous. Elle ne vient pas de ce qu’ils font mais de ce que nous sommes, ensemble.

L’opportunité, le moment choisit, de permettre à nos brillants esprits de revenir vers nous… Cette opportunité dépend de notre témérité, de notre détermination à comprendre, apprendre, décrypter les informations en provenance de cette première vague.”

Anan Quey baissa légèrement le menton et regarda dans une innocence complètement naturelle ces dunes qui grouillaient face à lui :

“Alors qu’apprenons-nous ? Qu’apprenons-nous de ces vies séparées en deux, de ces foyers qui deviennent la lueur d’espoir de nos flux ? Qu’apprenons-nous si ce n’est…”

Diane sentait qu’un frisson parcourait Gill.

“Bah alors ? Je t’avais dit que tu faisais trop le malin ! sermonna-t-elle.

- Non, c’est… Ce n’est pas le froid.

- Ah ?

- Il est magnifique… admit-il avec le regard fixé sur le Chambellan, sans la moindre hésitation, comme une vérité trop évidente pour être évitée.”

Diane écarquilla les yeux de surprise pendant un bref instant, avant de tourner la tête vers son épaule, par réflexe, pour cacher sa réaction:

“Je vois…”

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