Ch.1 - 2 | Gill & Diane

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Diane aimait bien le sport, en particulier le basket. C’était toujours elle qui faisait les meilleures passes, en plus elle était rapide. Plus tard, elle ferait peut-être basketteuse professionnelle ou conseiller d’orientation. Cela faisait rire son père, qui lui disait: “Pour l’instant, tu es haute comme trois pommes, mais bientôt, tu seras haute comme cinq! Et ça c’est très bien pour marquer les paniers. De fruits.” Elle aimait bien jouer avec lui, car il ne la laissait pas gagner. Son père, il disait pas n’importe quoi. Il savait ce qui était vrai et il lui racontait des secrets. Sa maman travaillait beaucoup, mais elle lui ramenait toujours des kipik, pour qu’elle puisse les partager avec les autres. C’était sa maman qui lui avait offert son carnet à spirales qu’elle baladait partout. Elle collait des autocollants dedans. Elle les trouvait dans des magazines.

Sa maman venait de lui faire un bisou et d’éteindre la lumière.

“Gill…”

Yatt entendait la petite voix de Diane, ce qui signifiait qu’elle était proche du sommeil parce qu’elle n’était pas vraiment du genre à mâcher ses mots. Il était étendu dans la douce lueur de l’aube et fixait le plafond. Il attendait ce moment.

“Gill, tu peux me raconter une histoire, avant de dormir?

- Il était une fois un poney à deux têtes, qui…

- Non, pas ce genre d’histoire… Je connais par coeur.

- Quel genre d’histoire ?

- Une histoire avec un héros qui sauve le monde.

- Que dirais-tu d’une histoire avec une héroïne ?

- Non, je sais où tu veux en venir… Je veux que tu me racontes l’histoire dont tu es le héros.”

Il pouffa d’un rire sarcastique en levant un sourcil:

“Mais c’est pas intéressant, ça !

- Si tu le fais pas je vais pas dormir, et demain je vais te faire tomber sans faire exprès.”

Il savait qu’elle mentait. Elle sombrait dans le sommeil plus vite qu’une vache à la retraite.

Elle espérait secrètement qu’un jour quelqu’un lui donne l’occasion de sauver le monde. Elle savait qu’elle en était capable, et elle savait que le monde en avait besoin. Parce qu’elle connaissait Gill, et Gill en avait besoin. Il lui racontait toujours des histoires extraordinaires. Il donnait des défis, et il la faisait rire. Gill était unique en son genre, et c’est précisément pour toutes ces raisons que c’était son meilleur des amis. C’était ce qu’elle disait et c’était gênant.

Maintenant elle voulait forcer Gill à le dire aussi, parce qu’elle voulait prouver qu’elle avait raison. Mais elle n’avait pas raison. Donc il le dirait pas.

La mère de Gill hurlait à plein poumons.

Gill n’aimait pas beaucoup vivre. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi il était obligé de le faire. Vivre demandait beaucoup d’efforts, et il ne parvenait jamais à savoir s’il s’y prenait correctement ou pas. La plupart du temps, il avait plutôt l’impression de rater. Il se demandait assez souvent s’il avait envie de continuer ou non, cependant, la curiosité était plus forte.

D’ailleurs aujourd’hui il hésitait particulièrement, étouffant ses sanglots. La mère de Gill hurlait à plein poumons, il l’entendit monter les escaliers en vociférant. Il n’avait pas plié le torchon de vaisselle avant de le glisser sur la barre du four. Ça ne devait plus se reproduire.

Mais cela ne se reproduirait probablement plus, parce qu’il allait mettre fin à ces souffrances qu’il provoquait en existant. La seule inconnue dans son équation était la façon de s’y prendre. Par chance, il savait qu’il pouvait compter sur Diane pour trouver une réponse. Diane avait toujours de bonnes idées. La paralysie que lui provoquait sa peur l’aida à se désinvestir de ses sens, et il se rendit au point zéro.

“Diane ! Diane, t’es toujours là? J’ai pas beaucoup de temps!

- Oui?

- Comment je dois m’y prendre, tu sais, pour mourir?

- Oh non, encore ça!

- Allez… Diane, aide-moi s’il te plait.

- Je refuse de faire ça.

- Mais s’il te plait!

- Non, je te promets que ce n’est pas la mort, que tu veux.

- Et moi je te dis que si.”

Elle soupira en levant les yeux au ciel.

“Bon. Si tu veux, tu peux planter ces ciseaux dans ton ventre.”

Il attrapa les ciseaux qui trônaient sur le rebord du bureau. Il les ouvrit, et plaça une des pointes sur son ventre. Ça n’allait pas, car il y avait trop de couches de vêtements. Il passa donc les ciseaux sous son pull qui gratte et sous son sous-pull qui serre, puis souleva son t-shirt et senti enfin le contact froid et le bord tranchant, contre sa peau. Il hésita un instant.

“Ça a l’air super douloureux, ton truc.

- J’entends ta mère. Elle arrive.

- Pas moi, et ça m’arrange bien. Trouve-moi un autre plan.

- Non. Si tu veux vraiment le faire, t’as qu’à le faire comme ça.

- Pff! Bon!”

D’une main, il gardait ses vêtements soulevés, et de l’autre, il brandit les ciseaux. Il prit une grande inspiration, appuya son dos contre le mur derrière lui, la tête penchée en avant pour ne pas se prendre dans les fils de la multiprise qui pendait, et il serra très fort ses doigts pour ne pas trembler.

A cet instant précis, le grincement de la poignée de la porte de la chambre fut couvert par un cri.

“NON!”

C’était Diane.

Une main translucide était sortie du corps de Gill, était allée à la rencontre de la lame pour stopper la main du garçon. Des gouttes de sang voulaient perler mais ne sortaient pas. La voix de sa mère encore tonitruante résonnait lorsqu’elle entra dans la pièce:

“Gill Yatt tu vas me faire le plaisir de…”

Mais il n’écoutait plus. Il se concentra pour ne pas tomber dans les escaliers qui menaient à la cuisine, car ses jambes étaient comme du coton. Il craignait de chuter par inadvertance et de ne pas mourir sur le coup. La mort était quelque chose qui ne s’improvisait pas, et il avait peur de se louper. Il avait une fâcheuse tendance à survivre à tout.

Tandis qu’il prenait soin de saisir les assiettes sans les faire claquer les unes contre les autres, il tenta un furtif contact avec Diane.

“Hé! Pourquoi t’as fait ça?

- Gill, je suis désolée…

- Diane, pourquoi t’as fait ça? Ce n’est pas juste!

- Je ne veux pas mourir…

- Mais tu ne vas PAS mourir, je t’ai déjà expliqué!

- Ou naître, peu importe… Je veux continuer ici, j’ai des amis, je m’amuse bien… Tu ne seras pas le seul pour qui tout va changer si tu meurs, tout le monde chez moi sera triste si je disparais, tu comprends ?

- Bien sûr… Je comprends… Je suis désolé de t’avoir fait peur. Je n’ai pas le droit de te faire prendre le risque.”

Diane, si bruyante habituellement, ne pensait rien. Gill exposa clairement:

“Tu es ma meilleure amie. Ce n’est pas de ta faute. Mes histoires n’ont pas de héros. Tu es le héros de la mienne, si tu veux.”

Elle hésita avant de répondre:

“Non… Maintenant, c’est moi qui raconterai les histoires. Toi, tu vas vivre.”

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