(CV) La requête

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Nous étions entrés sans aucune difficulté dans l'antre du monstre. J'ignorai si le fait que le ciel s'était obscurci nous avait été bénéfique, parce que la plupart des créatures possédait une vision nocturne très développée. Cependant, nous n'avions rencontré aucun de ces monstres depuis le début de notre périple. Nous ressentions presque déjà ce que la récompense promise nous permettrait de réaliser à condition d'oublier l'endroit où nous nous trouvions.

Nous avions été informés la veille de l'aventure à laquelle nous devions prendre part dès le lendemain. Nous étions alors dans une taverne où nous fêtions dignement la réussite de notre quête précédente. La musique nous entrainait à chanter, l'alcool coulait à flot et des femmes dansaient. Nous venions de libérer un village de la menace d'un Changelin, un grand loup gris aux yeux orangés. À la fin de la soirée, notre butin de quête serait dilapidé.

Un curieux individu caché sous une cape sombre à capuche était alors entré dans la taverne. Dans l'euphorie de la victoire, ni mes compagnons ni moi-même, n'avions remarqué son arrivée. Œil de Saphir aurait dû s'en apercevoir car il avait développé son sens de la vision pour compenser sa surdité. Malheureusement, l'alcool aidant, l'individu ne fut pas repéré.

Alors que j'allais déguster mon énième verre d'absinthe, je fus violemment soulevé et plaqué contre un mur de la taverne avant de sentir la pointe effilée d'une dague se coller à la base de mon cou. Mes compagnons, trop alcoolisés, n'eurent pas le temps de réagir. Les yeux de la créature me happèrent et un froid glacial m'envahit rapidement. Ils étaient marron presque orangés et leur singularité venait de leur pupille allongée. Des yeux de chasseurs nocturnes, de reptiles, de félins ou pire... de vampire.

Narquoise, mon agresseuse me demanda si elle avait enfin l'attention du Grand Chef. Je pus constater que ses lèvres enjôleuses cachaient des armes blanches, fines et aiguisées. Sa force exceptionnelle et le froid glacial émanant de ses mains furent d'autres arguments qu'utilisa mon cerveau pour l'identifier comme une chasseuse de race vampirique. Je déglutis et elle lâcha prise alors que je ne m'y attendais pas. Je perdis l'équilibre en touchant terre et m'affalais au sol lourdement. Un silence de mort planait sur la salle et tout le monde baissait le regard, terrifié à l'idée d'une mort presque inéluctable.

Jamais les monstres ne s'approchaient des villages de peur d'être chassés. Tout le monde espérait qu'une sorte de pouvoir divin nous protégeait et qu'ainsi, nous y étions à l'abri. Mes compagnons et moi avions compris depuis longtemps que ça n'étaient que des croyances car, quand les villages étaient pris pour cible par des monstres, ses habitants composaient un réel buffet à volonté. Heureusement que personne n'y survivait, car la terreur se propageait très rapidement et faisait naître des comportements irrationnels chez nos semblables. Les humains se réfugieraient chez eux ou sacrifieraient les plus faibles et les monstres n'auraient plus qu'à se servir.

Eux avaient compris que pour survivre, il ne fallait pas s'installer définitivement à un endroit. Cela excluait les plus puissants d'entre eux, qui n'étaient pas l'objet de quêtes, ou ceux qui se fondaient dans la nature.

D'un bond félin, la vampire atterrit sur une table ronde. Je me relevais péniblement, mes idées étaient de nouveaux claires. En scrutant la salle, je vis la terreur dans les yeux des villageois. Tout le monde exécuta un pas plus ou moins grand pour s'éloigner du monstre. Cela parut la ravir. Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire et j'espérai secrètement qu'elle ne se délectait pas de l'idée de son prochain repas.

  • N'ayez aucune crainte à ce propos, je ne consomme pas d'ivrognes ! S'exclama-t-elle répondant à mes craintes silencieuses tout en me regardant avec mépris. Si j'ai pris la peine de venir jusqu'ici c'est parce que j'ai appris qu'une troupe de chasseurs de monstres festoyait dans les environs. Elle marqua une pause, scrutant l'assemblée pour se délecter des réactions. Je souhaiterais m'entretenir avec les têtes pensantes. Nouvelle pause... à condition qu'il y en ait, et leur proposer un marché.

L'air navré et résigné, le tavernier ouvrit une porte que je n'avais jamais remarquée. Je compris qu'il souhaitait que nous concluions le plus rapidement possible avec le monstre. Je laissais la vampire passer la première et me glissais dans la pièce la peur au ventre. Elle s'installa seule dans le coin le plus sombre, laissant une table basse entre mon groupe et elle. La pièce était exiguë et peu éclairée. Seul un plafonnier poussiéreux pendait lamentablement en émettant le peu de lumière dont il était capable. La seule fenêtre dans la pièce ne servait pas beaucoup puisque la nuit était tombée depuis longtemps sur le village. Le mobilier était rudimentaire, presque uniquement composé de vieilles étagères poussiéreuses où somnolaient quelques anciens ouvrages.

La vampire exigea notre attention. Elle ne comptait pas perdre plus de temps qu'il n'en fallait avec nous. Le silence était pesant et nous étions tous dans l'attente de ce qu'elle attendait de nous. Elle se décida enfin à expliquer le but de sa présence. Elle nous annonça, qu'avant la prochaine lune, elle devait à tout prix posséder un objet qui lui échappait et que, pour des raisons qu'elle refusait d'expliquer, elle ne pouvait le récupérer elle-même. Je regardais mes compagnons. Tous avaient un regard entendu. Malgré le flou de cette demande, elle était pressée, elle paierait donc cher.

Je regardais Œil de Saphir qui comprenait tout malgré sa surdité. Il était le plus sage d'entre nous et il possédait aussi une sorte de don pour sentir les pièges et les tromperies. Il m'était souvent d'une grande aide lorsque j'élaborais des plans. Il me regardait, confiant. Je regardais alors mes autres compagnons.

Notre épéiste, Lastasia, qui était une grande et magnifique femme, brune aux yeux tellement clairs qu'ils en étaient presque blancs, se moquait de l'argent. Elle se battait pour se venger. Je la voyais serrer le poing sur la poignée de son épée. Elle contenait avec difficulté sa colère. Dommage pour une femme aussi belle que cette émotion soit la seule qu'elle s'autorise à ressentir. Je devais avouer que ses formes et ses lèvres voluptueuses m'avaient séduit sans effort.

Mais c'est en regardant notre espion et guide, mesquin et roublard, aventurier invétéré, Nogui, que je me décidais. Il me souriait avec insistance, de l'or dans les yeux et, du haut de son mètre quarante, il était celui qui avait le plus de mal à se contenir. Je pouvais aisément deviner ses pensées. Si la vampire ne pouvait récupérer elle-même ce qu'elle cherchait c'était que l'entreprise était dangereuse mais extrêmement lucrative. Du fait du délai très court, nous allions gagner un gros pactole.

Après ces rapides observations, je me retournais vers le monstre et lui demandais ce qu'elle voulait vraiment de nous. Elle chercha alors dans sa cape, sortit un parchemin noué et me le lança. Je l'ouvris et pus admirer la beauté et la richesse de l'objet qu'elle souhaitait récupérer. C'était un diadème en argent finement ouvragé, orné de pierres qui semblaient toutes plus précieuses les unes que les autres. Je regardais de nouveau la vampire et lui demanda ce que nous gagnerions à accéder à sa requête. Elle chercha une nouvelle fois dans sa cape et en sortit une bourse, l'entrouvrit, puis la jeta sur la table basse. De gros diamants de toutes les couleurs s'en échappèrent. Je les regardais les yeux étincelants de désir et j'imaginais que c'était le cas de la majorité de mon groupe. Cela n'échappa pas à la vampire qui précisa avec un sourire hautain :

  • Ceci n'est qu'un maigre aperçu de ce que vous gagnerez si vous venez à bout de cette mission.

L'appât du gain étant plus fort que la raison, j'acceptais immédiatement sa requête. Je vis mes compagnons hocher la tête et je compris que, pour cette somme, ils me suivraient jusqu'aux enfers.

Nous écoutâmes la créature nous indiquer exactement le chemin à emprunter pour trouver ce qu'elle convoitait. Il se trouvait dans une vallée à quelques lieux de notre village, dans un vieux château que nous connaissions tous de réputation et dont les légendes effrayaient même les plus courageux d'entre-nous. Beaucoup auraient renoncés à y pénétrer, et même simplement à l'approcher, mais nous étions beaucoup trop avides pour refuser. Je me rassurais en me disant que nous serions les premiers à en revenir.

La vampire ramassa sa bourse. Elle se dirigea d'un pas léger vers la sortie de la pièce. Avant de disparaître, elle nous glissa d'une voix froide et pleine de menaces :

  • Si vous veniez à échouer je vous retrouverais, et vous n'imaginez pas, même dans vos cauchemars les plus sombres, de quelle façon abominable vous finiriez vos tristes existences.

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