(CV) L'affrontement

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L'ambiance était lugubre. Nous avions marché seulement quelques heures dans la bonne humeur, parlant de nos rêves et de ce que nous ferions avec le pactole. Œil de Saphir souhaitait se retirer et prendre femme pour s'assurer une descendance et vivre paisiblement jusqu'à sa mort. Nogui avait des rêves de grandeur. Il souhaitait acheter un château et ne jamais se poser. Avoir femmes et serviteurs à ses pieds. Lastasia quant à elle ne souhaitait pas s'arrêter. Ce qu'elle avait vécu dans son enfance l'avait trop marquée pour qu'elle accepte de laisser à d'autres la chasse. Elle voulait devenir plus forte encore pour pouvoir vaincre les monstres qui l'avaient laissée orpheline.

Nous avions ensuite aperçu le château. Il était impressionnant mais sombre. Il surplombait la vallée du haut de sa colline. J'eus un espoir : il semblait abandonné. Certains murs étaient effondrés. Mais je ne voulais pas penser trop longtemps que ce serait facile : beaucoup de monstres se suffiraient de ruines.

Le hurlement de Lastasia me sortit brusquement de mes pensées, je n'avais pas vu la fissure avant que mon pied gauche ne s'enfonce dedans. Je tombais en criant de surprise et de peur. Mes compagnons s'arrêtèrent puis m'aidèrent à m'extraire du gouffre qui s'était ouvert à mes pieds. J'entendais maintenant les dalles de pierre se fracasser sur le sol de la pièce du dessous. Le silence pesa sur nous le temps de vérifier qu'aucun monstre n'était apparu par cette faille. Heureusement, seules les ombres cauchemardesques de la vermine qui grouillait dans le château se montraient à nous. Je frémis. J'avais peur. La lumière du jour ne passait pas dans le couloir où nous étions et seules quelques torches nous éclairaient.

Lorsque je fus assuré que nous étions seuls, je fis signe à mes compagnons que nous repartions, tentant tant bien que mal de masquer la douleur émanant de ma cheville. À un moment, je ne pus plus l'ignorer et je stoppais de nouveaux mes partenaires qui comprirent que je ne pouvais plus courir. Lastasia me permit de m'appuyer contre elle et me porta presque pour m'aider à avancer. Elle était magnifique, forte et déterminée. Rien ne semblait l'effrayer ou la détourner de son chemin. Je profitais de cette occasion pour tenter une nouvelle approche, qui s'arrêta dès je compris que ce que je sentais s'appuyer contre ma jambe était l'une de ses dagues. Ceci me rappela à quel point cette femme était dangereuse, ce qui ajoutait immanquablement à son charme.

Au loin, nous aperçûmes la lumière du jour par une ouverture qui semblait mener vers une autre pièce. Mes amis en semblèrent plus enthousiastes et je vis à nouveau dans le regard des deux hommes la lueur des diamants. Mon ventre se nouait. Je sentais que tout allait se décider dans cette salle. Si nous menions à terme cette quête nous pourrions vivre tranquillement tout en arrêtant de pourchasser les monstres. Je perdrais de vue mes frères d'armes et surtout « ma » Lastasia qui s'allierait à un autre pour se battre. Et qui sait ? Peut-être plus ? Cette idée me donnait envie de vomir.

À mesure que nous approchions, une forme humanoïde se précisait devant l'entrée. Je savais que de nombreux monstres se cachaient sous de tels traits pour pouvoir se mélanger à nous. Il s'agissait soit des plus faibles, qui y trouvaient un moyen de survivre, soit des plus puissants qui en profitaient pour nous duper, endormir notre vigilance pour mieux nous tuer.

Mes compagnons s'arrêtèrent à dix pas du monstre. Il se tenait à contre-jour et nous ne vîmes rien d'autre que ses yeux qui étincelaient dans le noir. Les pupilles étaient allongées comme celles de la vampire et l'iris était d'un bleu si profond qu'on avait l'envie irrésistible de plonger dedans. Une grande majesté émanait de cet être puissant qui me faisait suffoquer.

Cependant je gardais espoir, j’espérais que nous le tuerions sans grandes difficultés. Nous avions déjà affronté ce genre de monstre et nous savions que cette forme représentait souvent leur plus grand désavantage. Elle entravait leur puissance et drainait leur pouvoir, surtout s'ils étaient victimes d'une malédiction, ce qui était souvent le cas. Malgré tout, le monstre ne bougeait pas. Il fallait le tuer avant qu'il ne retrouve sa forme initiale. Lastasia arrêta de me soutenir puis sortit son épée.

Elle chargea avec de grands cris et le monstre l'évita avec souplesse. Elle continua à charger, avec la grâce d'une danseuse furieuse. Toutefois, le monstre esquivait sans cesse, jusqu'au moment où Lastasia le surprit en lui assénant un coup de poing magistral dans le ventre. Le monstre se fit expulser de l'entrée pour atterrir dans la pièce que nous n'avions pas encore pu voir. Cependant, le bruit de pièces qui dévalent lorsqu'il toucha terre me fit craindre le pire. Nous pûmes passer l'entrée de la salle et toutes mes craintes devinrent réalité. Nous avions foulé le territoire d'un couple de dragons.

Je fus pris de vertiges, dus au désespoir, mais m’interdis de le montrer. Mes compagnons n'avaient peut-être pas encore compris, et je comptais à tout prix épargner ma compagne en particulier que ces créatures avaient déjà assez fait souffrir.

En contrebas, se tenait une montagne d'or, de diamants et autres pierres précieuses. Au-dessus de nos têtes, le soleil venait d’apparaître à travers le toit de verre. Il éclairait magnifiquement la pièce. L'aspect ironique du moment aurait prêté à sourire si nous n'avions pas été certains de mourir. La scène était fabuleuse. Les rayons du soleil faisaient étinceler les diamants qui se répercutaient sur les murs leur donnant de superbes couleurs.

Le monstre que Lastasia avait frappé fut pris de soubresauts tout comme sa femelle, qui reposait sur l'or à quelques pas de nous. Leurs os s'allongèrent et leur peau changea de texture, ils devinrent rapidement gigantesques. J'ignorais s'ils avaient atteint leurs tailles adultes car personne n'était jamais revenu de l'antre d'un dragon. Je vis ensuite le nid, il contenait trois œufs. Nous étions condamnés. Les dragons n'attaquaient jamais les humains sans raison, même si certaines restaient obscures, et se battaient principalement pour se défendre. Or, ils avaient la réputation de ne pouvoir se lier qu'une fois à un autre être et de défendre leur compagnon et leur couvée au péril de leur vie.

La femelle, immobile, ouvrit un œil, nous fixa puis chercha son compagnon du regard. Lorsqu'elle le vit elle se leva brusquement, s'avança vers ce dernier et le renifla. Son regard perçant ne cessait de nous fixer.

Je sentis un mouvement dans mon dos. Je n'eus pas le temps de regarder ce qu'il s'était passé avant de voir la crête située à la base du cou de la femelle se dresser et de l'entendre rugir dans ma direction. Je me bouchais les oreilles et me tournais. Nogui avait détalé suivi d'Œil de Saphir. Je murmurais que je les retrouverai et qu'ils regretteraient amèrement d'avoir fui. Je me tournais vers Lastasia qui était tétanisée. Sans doute revivait-elle l'attaque dont elle avait été témoin alors qu'elle n'avait que seize hivers et qui l'avait laissée orpheline. J'allais la secouer mais je ne fus pas assez rapide. La femelle, qui s'était approchée de nous, ouvrait la gueule et ma lenteur m'empêcha de protéger la femme que j'aimais alors que la dragonne la décapitait. Je restais sans voix mais ma peine fut courte. Je me pliais en deux de douleur alors qu'une gerbe de feu m'atteignait. J'entendis un hurlement, peut-être émanait-il de moi ?

Je fus étonné de revenir à moi-même et de ne voir à la place de mon corps qu'un sol noircis par les flammes. Je vis les dragons se faire la toilette, se renifler puis se serrer l'un contre l'autre, en se protégeant mutuellement. La pensée que le fait qu'ils ne soient pas mort était une bonne chose m'effleura l'esprit mais je la rejetais immédiatement.

L'idée que ma propre mort ne changerait rien au monde me laissa nostalgique. Je ne laissais ni veuve ni orphelin, je n'avais même jamais rien fait de bien ou de généreux pendant mon existence et partais donc l'esprit léger malgré les regrets. Je regardais à mes côtés, une femme pleurait, elle était brune, musclée et magnifique. Je posais ma main sur son épaule et lui sourit. Lastasia me serra dans ses bras, et je refermais les miens sur ce corps dont j'avais tant rêvé. Je la laissais pleurer aussi longtemps qu'elle en avait besoin.

Nous quittâmes ensuite le lieu de nos morts et sortîmes du château. Nos anciens comparses venaient d'arriver. Je notais que maintenant que nous étions des fantômes, nous allions plus vite.

Le soleil était haut dans le ciel. Œil de Saphir était essoufflé, Nogui inspectait les environs, aux aguets. Ils étaient livides. Malheureusement pour eux, notre commanditaire venait de l'autre côté. Je la vis renifler l'air, puis sa bouche s'ouvrit laissant étinceler ses crocs. Je sentis Lastasia trembler dans mes bras et je passais ma main dans son dos d'un geste qui se voulait rassurant.

La vampire se déplaça à une vitesse telle que nous ne pûmes la suivre des yeux, mais nous comprîmes où elle était passée lorsque nos anciens camarades s'affalèrent à terre devant nous. Elle ne les avait pas tués et ne semblait pas vouloir boire leur sang. Son sourire glacial me fit comprendre qu'elle souhaitait plus les voir souffrir que mourir.

J'eus l'impression qu'elle me fixait lorsqu'elle s'exclama :

  • Je vous avais dit que je vous regretteriez d'échouer. Pour votre plus grand malheur, mon compagnon a trépassé de vos mains il y a quelques nuits. Je suis sûre que vous vous souvenez de lui, tout comme je sais que vous êtes maintenant en mesure d'imaginer ce que je ressens à votre encontre.
  • Nous ne pouvions mener à terme cette quête, concluais-je.
  • Chaque mauvaise action se paie tôt ou tard, par le biais de rencontres ou de hasardeux rendez-vous, conclut-elle en confirmant mes pensées.

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