Chapitre 32- Élie

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12/07/1943

Mon bien-aimé,

Le réveil a été très brutal, je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais très mal à la tête ce jour-là. Les scènes avec Siméon se répétaient sans cesse en boucle dans mon âme. Je le revoyais avec Marguerite… J’avais murmuré plusieurs fois son nom, en la voyant crier plusieurs fois « Barthélémy ! Barthélémy ! ». J’avais eu une petite douleur à ce moment-là à mon cœur, lorsque je m’étais levé brutalement de mon lit. J’avais encore la tête qui tournait. Je commençais à voir les objets autour de moi, jusqu’à ce que je vis mieux. Je vous avais demandé ce jour-là si j’avais rejoint mes frères au paradis. J’avais tourné ma tête à ma gauche en voyant un magnifique bouquet de fleurs de lys sur une table de chevet. La fenêtre qui était derrière moi était grandement ouverte, un grand éclat de lumière m’avait ébloui les yeux. J’avais posé ma main devant mes paupières, avant de me rendre compte que j’étais dans un hôpital. J’avais eu du mal à me redresser, en me demandant pour quelle raison… C’était sûrement à cause des courbatures que j’avais eu… Puis, petit à petit, je vis d’autres soldats qui étaient allongés et qui dormaient, tous, avec des bandages à plusieurs endroits. Le lit à ma droite était encore vide. Je vous avais rendu grâce en vous demandant qui m’avait aidé lorsque Siméon m’avait poussé dans l’eau. Brutalement, les images de l’explosion m’avaient fait trembler tout mon corps. En ayant pris peur, j’étais tombé de mon lit. Des infirmières étaient venues à mon aide en m’aidant à me relever lorsque subitement, je fus sous le choc en poussant un cri. J’avais hurlé « Mes jambes ! Elles sont où ?! ». J’étais agrippé à elles lorsqu’elles me remirent dans le lit, complètement tétanisé. J’avais les yeux écarquillés lorsque j’avais aperçu que je n’avais plus de jambe, cela me fit tout drôle. J’avais le cœur en détresse et n’arrêtais pas de demander ce qui m’étais arrivé. Une des deux sœurs avait confirmé que j’étais bien réveillé et dirent que quelqu’un d’autre allait me répondre à toutes mes questions, lorsque je vis, les larmes aux yeux, Vincent, Joseph, Jérémy et les moines se précipitaient vers moi. Je n’arrivais pas à calmer ma joie, les larmes coulaient sans cesse sur mes joues. Mon père supérieur fut plus rapide que les autres en m'enlaçant dans ses bras, les yeux pétillants de larmes. Il n’arrêtait pas de me caresser la tête en me berçant contre lui en disant « Merci Seigneur, merci d’avoir sauvé mon fils ». Tout le monde fut ému de ces retrouvailles, lorsque j’avais serré, un à un, tous mes frères. Jusqu’à ce que fit le tour de Philémon qui avait pleuré toutes les larmes de son corps. Je l’avais rassuré en lui caressant ses cheveux. Ce fut un bonheur éternel de les revoir, après deux ans… Cela avait été une rude épreuve de ne plus les revoir… Philémon s’était assis sur mon lit lorsque Vincent avait posé son front contre le mien pour me dire que le Seigneur m'avait sauvé. Joseph et Jérémy m’avaient fait un petit signe avec leur casque et prirent tous une chaise. J’avais demandé à Vincent et à Joseph ce qu’il s’était passé. Vincent m’avait expliqué qu’il m’avait sauvé de la noyade après la terrible explosion et qu’il avait vu Siméon filait avec une jeune dame. Jérémy nous avait raconté que par la suite, ils avaient réussi à remettre le détonateur en place pour faire exploser la base et étaient repartis pour me déposer dans un hôpital au Japon. Des bons frères de France m’avaient fait la chirurgie et leurs avaient conseillés de me ramener en France en avion. Ils racontaient qu’une ancienne troupe Française avait laissé un vieil avion dans leur grenier. Et ils avaient pris l’envol tandis que moi, j’étais toujours dans les vapes. Vincent m’avait fait un clin d’œil pour me dire « c’est à mon tour de t’avoir sauvé » et j’en fus tout enchanté. Par la suite, ils avaient pu contacter les moines lorsque nous étions arrivés en France et étaient venus jusqu’à Toulon pour me voir. Par la suite des événements, j’avais raconté que c’était Siméon qu’il nous avait tous trompé et qu’il était pour l’Allemagne. Mais je ne leur ai pas dit la raison pour laquelle il voulait s’en prendre à moi… Vincent était entré dans une grosse colère, mais mon père supérieur l’avait calmé. Puis, je m’étais retourné vers Jérémy en lui disant que j’avais bien peur qu’il ait donné la feuille qui contenait tous les noms des juifs, à un Allemand, y compris sa famille… Jérémy avait la petite larme aux yeux en me remerciant…

Je fus très heureux de tous les voir, ils étaient tous souriant et rirent à quelques blagues avec mes nouveaux amis. Vincent et Philémon s’étaient regardés pendant un court instant, lorsque le père avait détourné la tête vers lui, gêné… Philémon désirait le serrer contre lui, mais il s’était relevé en disant qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps et que la guerre était loin d'être fini… Je leur souhaitais bon courage et les revis partirent, les larmes aux yeux. Pendant ce temps, les moines m’avaient chouchouté en me racontant qu’il y avait eu beaucoup de changement au monastère et qu’ils avaient très hâte de me revoir. Pour l’instant, ils disaient que les infirmières allaient me garder encore deux trois ans ici, le temps de refaire une rééducation. Puis, quand le moment sera venu, ils m’accueilleront avec plaisir. Nous avons tous fait une prière pour mes amis qui venaient de repartir et nous avions rendu grâce aux survivants qui restaient encore. Ils disaient qu’ils allaient encore rester ici pendant deux-trois jours. Mon père supérieur avait frappé sur mes jambes du haut en disant « Ah ! Dieu t’as épargné le pire ! » et nous avions tous rit. Mais quand ils étaient repartis, mon visage s’était décomposé de tristesse. J’avais regardé mes jambes amputés, d’un visage très blanc. J’avais soupiré en reposant la couverture. Au début, je pensais qu’il s’agissait d’un rêve, mais en ne sentant plus plier mes doigts de pieds, j’avais compris à ce moment-là, que je ne pourrais plus marcher… Comme le vieux paralytique dans les bassins de Jérusalem… Et qu’il avait attendu 40 ans pour marcher sur ses deux pieds. J’avais cette lueur d’espoir que vous alliez me faire repousser les jambes, j’en croyais parfaitement !

C’est ainsi que le soir même, le médecin généraliste, qui s'appelait monseigneur Maximilien et avec qui j'ai noué une grande amitié, m’avait expliqué que lors de l’explosion, ma colonne vertébrale s’était complètement décalée, mais qu’avec un peu d’exercice, on allait la remettre droite ! Encore heureux d’avoir un dos ! Lorsque ce fut la première nuit, j’en fis des cauchemars. Des scènes de guerre n’arrêtaient pas de revenir dans ma tête avec tous ces cadavres et ce sang qui coulait entre mes larmes… J’étais au milieu d’eux, en train de pleurer… Puis, au beau milieu de la nuit, j’avais entendu un avion passer au-dessus de nous en lâchant une bombe. J’avais hurlé dans tout l’hôpital et était sorti de mon lit, en rampant au sol en criant « Une bombe ! Il y a une bombe ! ». Pendant que j’étais dans mon sommeil très agité, un moine avait allumé la lumière et avait couru vers moi en me prenant par les bras. J’étais complètement effrayé lorsque je vis un soldat Allemand à sa place. J’en avais eu tellement peur, que j’avais sursauté en me cognant très fortement contre un mur en béton. Ce fut tellement un gros choc, que je m’étais évanouis… Toutes les nuits c’étaient pareils… Je revoyais mon pire cauchemar se répétait en boucle… Pour la peine, Philémon m’avait donné un crucifix en me disant que je devais le serrer la nuit lorsque je faisais une crise d’angoisse. J’avais hoché la tête et les nuits suivantes n’ont été que des petites secousses dans mon lit…

Je priais chaque jour pour que mes jambes repoussent. Je tenais parfaitement le chapelet entre mes mains pour vous dire sans cesse « Seigneur, faites que mes jambes reviennent, faites que je remarche comme avant ». J’avais foi et espérance, et j’y croyais très fermement aux miracles. La bonne odeur de l’été me faisait souvenir lorsque nous étions dans les champs en train de cultiver. Je me revoyais marcher comme avant, sur mes deux jambes. Je ressentais encore la douleur des courbatures lorsque nous sortions des champs, qu’est ce que ça me manquait…

Un jour, un groupe d'infirmiers s'était précipité pour faire le lit qui était à côté de moi en nous prévenant qu’ils n’avaient pas d’autres choix que de faire l’opération ici car il n’y avait plus de place dans le bloc. Un nouveau soldat était apparu sur une table roulante. Les sœurs et les moines couraient après lui en le déposant juste à côté de moi. Ils avaient mis des rideaux, mais je vis tout de même les ombres. J’avais noté quelques informations, concernant la chirurgie. J’étais vraiment très intéressé. À la fin de l’opération, ils s’étaient dit entre eux que le soldat n’allait pas tarder à se réveiller et enlevèrent les rideaux. J’avais vu par ma plus grande surprise qu’il lui manquait une jambe. Je fus rassuré en remarquant que je n’étais pas le seul à ne plus avoir de jambes. Lorsque le groupe d’aide soignant était parti, le jeune soldat s’était réveillé. Un autre avait crié dans la salle « bienvenu parmi nous p'tit gars » et eu la même réaction que moi en voyant sa jambe en moins.

— Qu’est-ce qu'il m'est arrivé ?!

— Rassurez-vous jeune soldat, vous êtes entre de bonnes mains.

Il s’était retourné vers moi, le visage luisant de peur. Il avait déglutit, tandis que moi, j’avais essayé de le rassurer en lui conseillant de poser sa tête contre l’oreiller. Il m’avait obéi et regardais toujours sa jambe amputée.

— Vous allez vite vous habituer, l’avais-je rassuré.

Il m’avait sourit maladroitement en regardant tous les autres.

— Nous sommes où ?

— À Toulon.

Il avait lâché un petit « oh » et s’était remis confortablement sur son lit avec difficulté.

— Si vous avez trop mal aux bras, ce que je vous conseille de faire, c’est de vous hissez sur les deux barres du lit pour vous remettre droit.

En écoutant mon conseil, il s’était hissé et m’avait remercié.

— Merci beaucoup mon père, dit-il en ayant vu ma croix.

J’avais incliné ma tête vers le bas et poursuivis la Bible lorsqu’il continua de me poser des questions :

— Vous vous appelez comment ?

J’avais refermé la Bible et l'avait posée à côté de la croix de Jésus.

— Père Théophane, et vous ?

— Moi c’est Élie !

Il m’avait raconté qu’il était dans la zone de Marseille lorsque sa tranchée fut soudainement bombardée. Aucun d’eux n’avait survécu, sauf lui, c’était un signe de Dieu. Je lui avais demandé s’il était croyant, et il m’avait répondu « nous étions tous croyant dans ma famille ». Je l’avais demandé à quel degré il aimait le Seigneur et m’avait répondu en me faisant rire « autant qu’il le souhaite ». Merci mon Doux Jésus pour cette belle âme qui avait un peu d’humour malgré les blessures qu’elle avait dû engendrer… Aussitôt, j’avais eu une vilaine migraine qui m’avait empêché de poursuivre la conversation avec ce jeune homme et m’étais endormi…

Je n’avais pas trop eu l’occasion de lui parler, car les jours qui sont venus, j’avais fait beaucoup de rééducation en commençant par mon dos. C’était la première fois de ma vie que je m’étais servi d’un fauteuil roulant. Au début, je n’arrêtais pas de me cogner contre les meubles, jusqu’à ce que ça devienne une habitude. Monseigneur Maximilien et les sœurs ont pu nous célébrer quelques offices dans nos chambres et je vous avais rendu grâce de vous recevoir chaque jour, cela m’avait tellement manqué.

Les jours qui sont devenus des mois, et les mois qui sont devenus des années, étaient passées à une vitesse folle ! Le médecin m’avait dit que j’avais fait d'excellents progrès et que bientôt, je pourrais utiliser les prothèses, ce qui m’avait réjoui ! Je vous l’avais bien dit que j’allais récupérer mes jambes mon bel Amour ! Mais j’en connaissais un qui n'était pas très emballé… Le médecin m’avait dit qu'Élie ne faisait aucun effort et qu’il avait perdu tout espoir… Son cas était en train de s’aggraver et que s’il ne faisait pas les exercices, jamais il ne pourrait retrouver une bonne santé. Je lui avais demandé si je pouvais me servir maintenant des prothèses pour marcher avec lui, ce à quoi, il m’avait répondu « bon d’accord, mais juste pour cette fois ». Alors, pour la première fois de ma vie, des infirmières étaient venues me les poser sur mon lit et me les avaient attachées. Je fus tout excité à l’idée de pouvoir marcher de nouveau. Lorsque je fus le premier pas, je tombais aussitôt par terre et éclatais de rire. Les sœurs avaient rit, mais je vis sur le visage de Élie qu’il fut profondément peiné. En essayant de trouver l’équilibre, j’avais demandé à Élie s’il voulait sortir avec moi. Il avait pris ses béquilles et étions sorti sous les pétales de fleurs que dégageaient les arbres. Élie s’assurait que je marche bien, mais je me débrouillais pas mal, même si je trouvais les prothèses assez lourdes. J’avais dû me tenir deux-trois fois dans les bras de Élie, qui avait retrouvé de la joie lorsque je m’étais mis à rire.

— Vous êtes toujours souriant mon père malgré le fait que vous avez vécu une lourde épreuve, comment faites-vous ?

— C’est le Seigneur qui me comble de joie ! C’est lui qui m’a donné cette grâce de pouvoir marcher ! C’est avec joie, que nous pouvons avancer dans les dures épreuves.

— Je trouve ça difficile… Moi qui était avant heureux, jamais je ne pourrais le retrouver dans ce monde qui est tétanisé dans la peur…

— Mon Fils, ne dites jamais ça, car au contraire, c’est en ayant confiance et en étant heureux, que le Seigneur nous trace une nouvelle vie. Ne croyez-vous pas à la nouvelle vie qu’il vous offre ?

— Oh non mon père, je tombe dans le ravin sans arrêt… Jamais je ne pourrais voir la lumière du jour…

— Si mon Fils, si vous croyez en vous.

Il avait rougit pendant que nous marchions sous une grande allée de platane. J’avais salué quelques soldats que j’avais eu l'occasion de leurs parler à l’hôpital et qui m’avaient répondu de même. Élie avait rit en disant « bientôt vous allez connaître toute la Terre entière » et je lui avais répondu « il n’est pas bon à l’homme d’être seul » et il fut parfaitement d’accord. En sentant les prothèses très lourdes, je lui avais demandé si nous pouvions nous asseoir sur un banc. Nous nous étions reposés pendant quelques instants en respirant la bonne odeur du printemps.

— J’avais une femme et des enfants avant que les Nazis viennent la tuer… Depuis ce jour, je n’ai pas arrêté de me sacrifier au Seigneur en lui demandant de les bénir. Est-ce qu’il est bon d’avoir une rage contre les Nazis mon père ?

Sa question était très pertinente. J’avais mis du temps à répondre avec qu’un rouge gorge chante son chant.

— Je dirais non car ils ont tous aussi été conçus à l’image de Dieu. Il faut plutôt leur dire « Seigneur pardonne-leur, parce qu'ils ne savent pas ce qu’ils font ». Bien sûr que je puisse comprendre ta colère, mais si elle est intermittente, cela n’arrangera jamais ta vie. Il faut l’accepter et demander au Seigneur de les bénir car un jour, tu les verras dans les royaume des Cieux et peut-être qu’un des deux te demandera pardon pour ce qu’il a fait. C’est comme ça que le Seigneur veut tous nous voir, tous, unis dans son amour éternel.

Élie ne croyait pas du tout mes paroles, mais il en fut bouleversé.

— Redites-moi votre âge ?

— J’ai 25 ans.

— 25 ans… Vous êtes très jeune dis-donc !

— On me l’a souvent dit…

Nous avions sourit sous le beau soleil qui illuminait les platanes.

— Vous savez mon père, depuis la mort de mes enfants et de mon épouse, je pense souvent à devenir moine pour lui rendre grâce de veiller sur eux. J’aimerais m’offrir tout à lui, mais j’ai encore de gros doute…

J’avais frappé son dos en lui disant « avant de vous consacrez à lui, il faudrait d’abord que vous fassiez des efforts ». Et était parti pour le laisser réfléchir.

Le lendemain, le médecin fut heureux de voir Élie plus épanoui. Il avait fait d'excellents progrès et pourrait bientôt partir de l’hôpital. C’est ce qu’il s’était passé. Il était passé devant mon lit en me disant « un jour, je viendrais vous voir mon père à Besançon c’est promis ». Je l' avais salué comme un soldat et il avait répondu de même en me disant « bon rétablissement ». Il avait pris ses béquilles et partit avec une sœur qui l’avait raccompagnée. Avant de partir, il m’avait raconté qu’il allait faire une retraite pas très loin de chez lui pour être sûr de sa vocation. Vous m’aviez confirmé que ce jeune homme allait devenir plus tard un excellent prêtre, et j’en avais eu le cœur net.

Signé, le père Théophane qui a très hâte de rentrer à la maison !!

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