Chapitre 30- La grande pénurie

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Le frère Philémon était à genoux, devant le grand crucifix. Il contemplait le Christ, seul, dans la petite chapelle. Puis, il avait incliné la tête vers le bas en demandant pardon pour tout ce qu’il avait fait ces derniers temps….

Seigneur, je vous demande pardon… Parce-que mon amour que j’éprouvais pour Coline m’envahissait jour et nuit et me faisait oublier le votre… Lorsque Humbeline est intervenue pour me demander si c’était vous que je choisissais ou elle, je vous répondrais aujourd’hui que c’est vous qui m’avez libéré de cet amour qui m’empêchait d’avancer… J’ai envie de pleurer tellement que j’en ai honte… Mais votre amour est tellement miséricordieux et plus contemplative… Jamais je n’aurais pensé vous dire ça un jour, mais oui Seigneur, je vous aime, je vous aime d’un amour grand et fort. Partagez-le pour le père Théophane qui est en train de sombrir… Par pitié je vous en conjure, mais libérez le de cet endroit ténébreux ! Il ne mérite pas d’aller en enfer, sauvez mon père, je vous en conjure, sauvez mon père…

Les larmes aux yeux, il s’était relevé pour sortir de la chapelle et se rendit dans la petite boutique, en mettant un tablier et regardait les baguettes se vider dans l’étage du haut. Hier, il avait dû demander aux retraitants de partir d’ici… Et maintenant, il y avait une pancarte devant les portes de l'Abbaye qui s'adressait à tout le monde en disant qu’ils ne pouvaient plus recueillir de retraitants… Il en fut si attristé lorsqu’il leva le papier transparent pour regarder si la pâte avait bien levé. Il avait apporté le plat près du plan de travail et se rendit compte que les doses baissaient chaque jour. Les autres moines étaient aussi en silence, et préparaient les autres commandes. Le frère Paul-André qui avait mis son tablier, l’avait salué et tous les deux, pétrirent la pâte en aspergeant le plan de travail de farine. Quand le père Philémon regarda le petit moine saupoudrer la farine, il en eut soudainement les larmes aux yeux de le perdre… Et s’il devait les disperser dans un autre monastère ? Ils seraient peut-être plus heureux au lieu de ne plus rien manger le soir et de se priver de tout… Le frère Paul-André avait remarqué quelque chose d’anormal chez Philémon et voulait lui demander s’il allait bien, mais il se contenta de pétrir la pâte. Philémon avait jeté brièvement un coup d’œil et aperçut tous ses moines disparaître un à un. Puis, il se vit soudainement vendre le monastère. Le bol à farine qu’il devait tamiser, tomba au sol. Le frère Paul-André qui avait remarqué ce petit accident, osa dire un « tout va bien mon père ? » et le moine avait repris ses esprits en ramassant les dégâts. Les autres moines qui avaient remarqué que leur père supérieur semblait toute chose, continuèrent de tamiser ou de mettre du pain au four, dans un silence total. Philémon, qui trembla lorsqu’il nettoya le sol, revit soudainement l’identité de la reine des angoisses. Pris de panique, il s’était relevé pour reprendre l’air et s’était appuyé contre une table roulante. Le petit moine lui avait conseillé de s’asseoir quelques instants. C’est ce qu’il fit en demandant au Seigneur d’épargner cette jeune femme de sa tête. Il désirait tant en parler quelqu’un pour en être libéré, mais il n’y arrivait pas. Il se contenta de ne pas en avoir peur, mais plus il était angoissé, plus il sentait qu’elle s’emparait de son âme.

— Maintenant ça suffit ! Tu sors de cette pièce ! avait-il hurlé de colère.

Les autres s’étaient arrêtés dans leur travail. Des moines chuchotèrent entre eux, tandis que d’autres, le prenaient pour un fou. L’observant qui avait la main dans la pâte, avait nettoyé ses mains contre le tablier et aida le père Philémon à le calmer, mais le jeune prieur n’arrêtait pas de dire « sors de cette pièce Satan ! » ou « ça suffit et libère le père Théophane ! ». Hors de l’atelier, le père supérieur s’était mis en boule contre le mur, pendant qu' Élie essaya de le rassurer.

— Mon père, tout va bien, elle n’est plus là….

— Vous ne comprenez pas mon cher Élie, mais cette femme ronge dans mon âme… Pourquoi est-ce que Dieu se laisse-t-il aller alors qu’elle est en train de manipuler un milliard d’âmes ?

Il commençait à pleurer, lorsqu’il s'aperçut que le nouveau avait tendu la main pour le relever.

— Dieu trouve toujours des plans et il arrivera à nous aider, à tous nous aider.

— Soupire Élie… Mais ne le dites pas aux autres, mais j’ai bien peur de vendre le monastère… Nous n’avons presque plus de pain à la boulangerie, les gens râlent parce qu’ils n’ont pas ce qu’ils veulent… Nous sommes fichus….

Élie qui comprenait ses angoisses, l’avait serré dans ses bras en lui disant que tout allait bien se passer et que Dieu allait les secourir. Il lui fit rappeler l’ancien testament lorsque le peuple mourait de faim et qu’ils n’avaient plus rien manger pratiquement plus de 40 jours. Dieu avait permis à son peuple de pouvoir le nourrir grâce à du pain et à de l’eau. Il disait qu’il le ferait aussi pour eux. Le père Philémon avait pris confiance en lui, mais la reine des angoisses l’empêcha d’avancer facilement… Il sentait beaucoup trop cette peur… Et cela l’inquiétait pour le père Théophane, car cela faisait pratiquement deux mois qu’il n’était pas revenu et qu’en plus de cela, l’avenir du monastère était en jeu…

* * *

— Non madame Desjardin, nous n’avons plus de banette.. Je m' excuse profondément, avait soupiré le frère Bernard.

— Mais quel drôle de monastère vous êtes ! Vous dites que vous en vendez et au final, on se fait prendre pour des poissons rouges ! râla-t-elle.

Les autres qui étaient derrière la file disaient les mêmes injures.

— En plus, vous avez commencé à augmenter les prix ! Vous pensez qu’on a les moyens pour vous les payer ?!

Puis, ils avaient commencé à lancer des objets contre le petit moine qui tenait la caisse. Il avait essayé de les calmer, mais un parapluie avait percuté son œil. Quand Philémon était retourné dans la cuisine, il avait entendu ce gros vacarme. Pris de panique, il avait enlevé son tablier et s’était rendu à la boulangerie, en voyant tous ses paroissiens qui criaient « vous n’êtes que des voleurs ! ».

— Mais enfin, qu’est-ce-qui vous prend de vous comportez de la sorte ?! avait crié Philémon en aidant Bernard à se relever.

Ils s’étaient tût en continuant de rouspéter.

— Le problème mon ami, c’est que vous étiez la seule boulangerie qui nous faisait payer moins cher ! Voilà le problème !

— Nous nous excusons madame Desjardin… Mais…

— Et c’est quoi ces panneaux qui disent qu’on ne peut même plus faire de retraite ici ? On ne comprend plus rien vous les moines qui vivaient dans le luxe !

— Ouais, on trouve ça injuste, alors que nous sommes plus pauvres que vous !

En voyant toutes ces crises de colère, le père Philémon, attristé, s'était avancé vers eux en présentant ses excuses.

— Non monsieur Julien, nous ne croulons pas sous un tapis d’or… Ici, nous avons toujours fait le vœux de pauvreté et jamais, on a réclamé un seul sous à notre archevêque… Nous vivons aussi comme vous mes chers amis… Et nous avions eu une très mauvaise récolte ce mois-ci, j’en suis désolé…

— Alors pourquoi vous ne demandez pas à votre ami archevêque de vous aider puisque vous n’avez plus les moyens ?! Nous on veut notre pain !

Ils continuèrent de se mettre en colère contre le moine qui était tout confus.

— Je sais, je sais, j’ai déjà pensé… Mais je ne pense pas qu’ils puissent faire grand-chose… Mais là n’est pas le problème, le problème c’est notre blé… Je suis sincèrement désolé si vous êtes en colère… Mais dès que le blé aura repoussé, nous pourrions faire notre récolte…

— Ah oui ?! Et comment allez-vous faire pour vivre jusqu’à la prochaine récolte ?

— On veut notre pain !

— Je sais je sais… Mais nous n’aurions pas d’autres choix que de vendre nos biens…

Le frère Philémon hésita à faire l’aumône devant ses gens agaçaient, mais il ne le fit pas, car il savait qu’eux aussi, n’avaient pas assez d’argent pour les aider…

— Je vais commencer par revendre notre boutique…

Ce fut la goutte de trop, les gens avaient commencé à râler contre le père Philémon en lui lançant des tomates sur le visage. Le moine qui ne comprit pas cet agacement, vit l’émeute s’approchait de lui, en commençant à dérober tout le magasin. Il essaya de les calmer, mais aussitôt, il vit madame Desjardin prendre son pain et partir sans payer.

— Non attendez ! On a pas assez de pain !

— Nous on en a besoin ! On a des enfants à nourrir, avait craché monsieur Julien en repartant avec plusieurs baguettes.

Le frère Philémon qui était complètement déboussolé, avait demandé à ces gens de revenir, mais ils étaient tous partis, en laissant les grandes portes du monastère ouvertes. Complètement fauché, le frère Philémon avait enlevé la tomate sur sa joue et avait commencé à se mettre à genoux. Les frères qui avaient tout entendu, avaient demandé à Philémon si c’était vrai qu’il allait revendre le monastère… Il ne répondit rien, en leur disant qu’ils allaient continuer de diminuer la farine, mais un petit moine le fit rappeler qu’il ne restait plus que dix sacs de farine et que le printemps était encore dans un mois… Ils n’allaient pas tenir jusque là… Mais le frère Philémon n’avait pas perdu courage. Il s’était ressaisit en demandant à ses frères de continuer de faire du pain et était retourné à ses affaires, en n'ayant pas le choix, que de demander à leur archevêque, de pouvoir les aider…. Lorsqu’il écrivit sa lettre, il fut pris de plusieurs maux de têtes, en voyant la reine des angoisses faire du mal aux âmes. Pris de colère, il avait frappé son poing contre le bureau, ce qui fit sauter son encrier. Au moment de se mettre dans des états pas possible, il était sorti de son bureau et quand il ouvrit la porte, il vit soudainement sœur Humbeline qui allait frapper.

— Oh ma sœur, je voulais justement vous voir.

Elle entra dans le bureau et s’était assise en voulant rassurer le moine qui était très inquiet.

— Je suis fichu de chez fichu… Tout est en train de s’écrouler et en plus de cela, je dois payer les factures que je n’ai pas remboursé depuis trois mois… Notre archevêque insiste pour que je les paye et j’ai le culot de lui demander s’il peut nous en prêter… Je ne sais pas ce que je dois faire… Et, et je ne veux pas perdre mes frères… Et et…

— Doucement Philémon, vous devez faire confiance au Seigneur.

Il avait soupiré en se caressant le visage. Il avait murmuré « c’est ce qu’on arrête pas de me dire… »

— Peut-être que vous ne lui faites pas assez confiance ?

— Mais si ma sœur ! Justement ! Je mets tout dans les mains du Seigneur ! Je lui ai même prouvé que je n’aimais plus Coline !

— Ce n’est pas comme ça que ça marche mon père, avait-elle rit doucement, Pour faire confiance au Seigneur, il faut que vous vous abandonniez tout entier. Faire confiance c’est de dire au Seigneur, humblement : « voilà, Seigneur, ça ne va pas et j’ai besoin de votre aide… J’ai confiance en vous Seigneur, j’ai confiance en vous ». Répétez après moi :

— J’ai confiance en vous Seigneur, avaient-ils répété en même temps.

Le prêtre s’était calmé en répétant plusieurs fois le même mot. Sœur Humbeline avait remarqué qu’il y avait autre chose qui l’inquiétait et voulait lui demander ce qu’il n’allait pas. Il avait mis du temps à trouver ces mots, avant de prendre la parole.

— Vous n’avez pas eu d’autres visites du père Théophane ?

— Non, pas encore mon père… Mais je sais qu’il va s’en sortir, il est fort.

Le frère Philémon était d’accord avec elle, en titillant du pied.

— Je… Vous n’allez pas me croire, mais je sais qui est la reine des angoisses…

La sœur en fut toute bouleversée et triste qu’il n’ait pu rien lui dire.

— Je sais ma sœur, mais il m’a demandé de ne pas le dire… Mais c’est très dur… Je, je n’ai pas les mots…

— Allons mon père, dites moi, comme ça vous êtes débarrassé de cette angoisse qui vous ronge tant l’âme.

— Vous n’êtes pas prête à entendre ma sœur… Au début, j’ai crû que c’était une blague, mais en y repensant, je me suis dit que c’était vrai et que jamais je n’aurais pensé à elle…

Il avait pris une grande respiration avant de dévoiler son identité.

— C’est Marguerite la reine des angoisses…

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