Chapitre 11- Une journée sur la glace

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Les moines de l’Abbaye de Lacroix avaient tant attendu ce moment : que le lac du Doubs gèle pour aller patiner. Ils s’étaient tous précipités au grenier pour aller chercher, chacun leur tour, leurs paires de patins à glace. Ils vagabondèrent dans l’escalier, pour mettre des bottes de neiges et se rendirent, quelques-uns, dehors. Le nouveau prieur, qui mettait plus de temps à se préparer, mit une écharpe autour de son cou et un bonnet, en repensant à la mission des deux jeunes filles qu'il avait confié hier soir. Il espérait que tout allait bien se passer. Un moine le poussa et s’excusa en se précipitant sous les flocons de neiges qui tombèrent du haut du ciel. Le père Philémon, à peine sorti, claqua des dents et se réchauffa en mettant des gants. Il tenait ses vieux patins à glace et vit ses petits frères patiner en entonnant tous ensemble « Je vous ai choisis », un chant de communion qu’ils venaient de chanter à la messe. Le frère Philémon qui leva humblement les yeux au ciel, s’assit sur un banc pour contempler les cristaux qui se déposèrent délicatement sur le manteau en statue, de la Sainte-Vierge. Il sourit quand il l’a vit recouverte de neige. Tout le paysage était poudré de blanc, des oiseaux sortirent de leur cachette pour enlever la neige qui s'était posée sur leurs beaux plumages. Le père supérieur rit quand il vit les vieux moines s’entraider, pour se battre contre les moins jeunes qui leurs lancèrent des boules de neige. Le jeune moine savourait ce bon moment qu’il passait avec ses frères. Un moine s’arrêta devant lui, sortit du lac et se mit à côté de lui. Il s’agissait du frère François.

— Venez avec nous, on va bien s’amuser !

— C’est bien gentil à toi, François, mais je ne pense pas que ça soit une bonne idée… Je vais vous ralentir…

— Allons mon père ! Venez patiner, s’il vous plaît !

D’autres frères le supplièrent de venir patiner. En se rappelant des mauvais souvenirs qu’il avait vécu lors de sa compétition, il refusa en tout honnêteté, mais deux moines le saisirent par le bras et l’emmenèrent jusqu’à la patinoire.

— Non, arrêtez, lâchez-moi, ria-t-il en se trouvant sur le Doubs.

— D’accord, on vous lâche, ricana un autre moine en le laissant seul.

Philémon ressentit des frissons lorsqu’il commença à patiner de travers. Il essaya de trouver le bon équilibre jusqu’à ce qu’il se mit à glisser, doucement. Les moines l’encouragèrent à faire des pas de danse. Il fit un petit saut pour les impressionner et ils le félicitèrent. Il se dirigea tout au bout du lac pour reprendre son souffle. Il grimaça en sentant la douleur lui lancer à la jambe. Il ne le montra pas à ses frères et continua de patiner, comme au bon vieux temps. Les images avec Coline défilèrent dans son petit cœur. Il se souvînt d'elle sur la patinoire de Besançon, en train de rire, car lorsqu'il devait la porter, elle répliquait toujours : « Tu me chatouilles ! Arrête ! ». Il ressentit son cœur battre la chamade et rougissait, quand il devait l’enlacer à la fin de la chorégraphie. Au moment où la musique du lac des cygnes s’arrêta, il entendit les spectateurs se lever des gradins pour les féliciter. « On a réussi Phil, on a réussi ! » entendait-il dans son cœur. Toujours, était-il dans sa bulle, il rejoignit ses frères jusqu’à ce que son patin se coinça dans un trou, et lui fit perdre l’équilibre. Au moment de sa chute, il revit, monstrueusement, les scènes de son concours avec Coline.

Les photographes flashèrent sur les deux jeunes qui patinaient, les gens étaient tous émerveillés de les voir danser sur la glace, la musique vibrait dans tout le gymnase de Besançon. À la veille de la compétition, Philémon avait raconté que sa jambe marchait fabuleusement bien. Or, il commençait à avoir une déchirure musculaire. Il avait menti à ses professeurs pour ne pas louper sa seule et unique chance de patiner avec Coline. Au milieu de la chorégraphie, au ralenti, il souleva la jeune patineuse et la projeta dans les airs, en tournant sûre elle-même. Au moment de la récupérer, il entendit violemment un craquement dans sa jambe. Il garda la douleur et continua de patiner avec elle. Il l’avait repris dans ses bras et au moment du lancer, sa jambe craqua à plusieurs reprises. Plié en deux, il vit la jeune patineuse redescendre. Pris de panique, il se releva pour la prendre et au moment où elle posa son poids contre lui, sa jambe se plia en deux et s’effondra au sol, en gardant Coline saine et sauf. Les spectateurs, interdits de voir cette scène, chuchotèrent entre eux pendant que Philémon se tordait de douleur. Coline quitta la scène pour appeler les secours et le rassura en lui disant que tout allait bien se passer. À partir de ce jour, il n’avait plus jamais remis les pieds sur la glace.

En revenant à la réalité, son visage s’écrasa contre le Doubs et il demeura quelques instants, allongé. Puis, une nouvelle image apparut dans son âme.

Avant l’accident, Philémon s’était rendu chez Coline. Il l’avait invité à patiner au Doubs. Heureux d’annoncer sa main, il s’imagina plusieurs scénarios en chantonnant. Il avait acheté un bouquet de mimosa et de fleurs de lys, c’était ses fleurs préférées.

Écoute Coline… tu sais que toi et moi, on se connaît depuis qu’on est tout petit, on est d’accord ? Mais oui qu’on est d’accord triple andouille ! Argh, ce n’est pas possible d’être stupide à ce point ! Bon, reprenons.

Il s’arrêta sur le trottoir pour réfléchir à la suite de sa phrase et se massa la nuque, embarrassé.

Il, il y a quelque chose que je dois t’avouer, depuis longtemps. Je n’ai jamais osé te le dire parce que j’avais peur… Mais maintenant que je me suis lancé, je suis prêt à tout t’avouer… Je, je… Je t’aime ! C’est ça Philémon, tu l’as ton discours ! Maintenant, affrontons la réalité.

En bondissant de joie, il sifflota en posant ses patins à glaces sur son épaule gauche et attendit quelques instants, derrière la grande porte noire. Les véhicules circulèrent derrière lui sur de hauts pavillons, des hommes à chapeaux marchèrent sur la route, un petit garçon distribua le journal en criant dans toutes les rues de Besançon. Philémon se ressaisit et toqua une bonne fois pour toute. Il remit son béret droitement et resserra ses lacets rapidement. En voyant la porte s’ouvrir, il se mit à avoir le visage tout rouge et trembla. Une jeune femme rousse avait le dos tourné et remit ses boucles d’oreilles convenablement. Surpris de son comportement, elle parla avec une personne en riant et remarqua enfin la présence de Philémon. Il cacha discrètement, le bouquet, derrière son dos.

Oh Philémon ! Te voilà ! On va se préparer !

Qui ça on ? C’était-il demandé soudainement. Surpris, elle l’invita à entrer et nettoya ses chaussures sur le tapis de sol. Philémon l’imita et enleva ses bottes pleines de neiges. Il entendit de nouveau des éclats de rire qui provenaient de l’étage du dessus. Coline était remontée à l'étage et redescendit à fond la caisse, étourdit, et attendit la personne. Interdit, Philémon recula de quelques pas et remarqua que la personne qu’il entendait rire avec Coline, était Joseph. Il perdit son souffle et fit tomber le bouquet. Il résista pour ne pas pleurer mais son cœur le faisait déjà. Son visage se décomposa lorsqu’il le vit demander à Coline s’il pouvait se mettre près du feu. Maladroitement, elle se cogna contre un meuble et nous demanda d’attendre encore quelques minutes pour remonter à l’étage. Joseph se réchauffa les mains et attendit qu’elle ferma la porte pour lui parler.

Je, je ne savais pas qu’elle t’avait proposé de venir patiner…

Oh, je, je suis désolé, je, je pensais que tu étais au courant.

Oh non ne t’inquiète, il y a du y avoir une erreur.

Étonné, Joseph vit que Philémon lui donna ses patins à glace et remit ses chaussures.

Mais je pensais qu’on allait patiner tous les trois.

J’ai demandé à Coline de venir ici pour te prêter mes patins à glace, ne t’inquiète pas, elle est au courant. De toute façon j’ai eu une journée longue, je vais rentrer chez moi pour me reposer… Je vais vous laisser tranquille.

Tu en es sûr ?

Mais oui Joseph ! Amusez-vous bien !

Philémon referma doucement la poignée et fit son indiscret en regardant par la vitre, floutée, de la porte d’entrer. Coline était en bas et demanda à Joseph où était passé Philémon. Il lui avait répondu qu’il était fatigué et qu’il était parti se reposer. Ils rirent quand Coline essaya de récupérer le mouchoir qu’il lui avait volé et tournèrent tous les deux, dans la pièce.

Philémon se retourna pour s’appuyer contre la porte d’entrer et s’écroula en regardant le ciel, d’une tristesse absolue. Ses joues étaient remplies de larmes, il n’avait pas les mots pour exprimer cette souffrance et se blottit, sous un temps glacial, où des petits flocons de neiges se posèrent délicatement sur son beau manteau.

En se ressouvenant de cette horrible scène, il tapa son poing contre la glace brisée, avec rage. Une petite fente venait d’apparaître à côté de lui. Il se releva avec difficulté en remarquant ses frères qui faisaient des gestes alarmants, de l’autre côté du lac. Il regarda derrière lui et remarqua que la glace allait se craquer. En ayant du mal à se relever à cause de sa fêlure, le temps se figea pendant quelques instants et les flocons de neiges cessèrent de tomber. Il se releva et entendit soudainement « va Philémon, tu es guéri ». Soudainement, une force le propulsa à appuyer sur son patin droit pour se préparer à partir. Il posa ses deux jambes en parfaites équilibres, sur le Doubs et s’élança. Il partit comme une flèche vers les moines qui l’encouragèrent à gagner la rive. Le vent fouetta brutalement son visage. Il était en train de patiner très rapidement en ne remarquant même pas que sa jambe fut guérie. Il était bien trop concentré à l’idée de sortir de cette glace qui tombait à l’eau. En arrivant vers les moines qui l’attendirent, ils le réquisitionnèrent en le tirant par les bras avec justesse. Le frère Philémon reprit son souffle pendant qu’un moine lui tapota le dos en lui disant qu’il était guéri. Ébranlé, il ne sentit plus aucune douleur vis à vis de sa jambe. Le cœur remplit d’allégresse, il se mit à pleurer et à serrer ses frères dans ses bras. Puis, en élevant les yeux au ciel, il remercia la voix qu'il lui avait parlé. Il était persuadé que c'était le père Théophane qui l’avait guéri.

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