La fin du désir-1

7 minutes de lecture

C’était assez dingue, à bien y penser. On croyait connaître les gens, en avoir fait le tour plus d’une fois jusqu’à pouvoir citer leurs qualités et leurs défauts sur le bout des ongles, et pourtant on ne savait jamais rien jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on n’avait rien compris et qu’on était passé à côté de l’essentiel. Nourrir des certitudes, c’était l’assurance de se planter en beauté. Hugo avait été l’une de ces certitudes.

Maintenant qu’elle avait découvert l'autre facette de son futur-ex-petit ami, Léa se questionnait sur la façon la plus cruelle de larguer un mec qui n’en avait déjà plus rien à faire d’elle.

Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai.

Il avait joué le jeu d’Océane en se montrant bien sage lorsqu’il avait été forcé de laisser Léa les accompagner. Aujourd'hui encore, il était venu au rendez-vous chez elle et se dandinait comme s’il avait des vers sur son canapé. Il préparait le résultat de ses recherches en attendant l’arrivée de sa binôme, apparemment incapable de se comporter normalement en présence de Léa.

S’il n’en avait vraiment rien à faire de moi, il ne subirait pas ça. Si ?

Ou alors, c’était sa réputation qu’il protégeait. On n’était plus dans les années quatre-vingt-dix, les playboys coureurs de jupons ne faisaient plus rêver personne passé le Lycée. Tromper sa petite amie, c’était se montrer non fiable, faible d'une certaine façon. Les réseaux sociaux avaient également participé à calmer certaines ardeurs, de peur de se faire cancel par la gent féminine et de faire une croix sur toute vie sexuelle au sein de la fac, a minima. C’était Hugo que Hugo protégeait, pas le petit cœur fragile de Léa.

Égoïste jusqu’au bout…

Sentant qu’il était en train de passer en jugement, ou peut-être parce qu’Océane se faisait attendre, Hugo trépignait en regarder sa montre, ses notes, puis son téléphone à tour de rôle.

— Elle est en retard, s’agaça-t-il, d'habitude elle est toujours à l'heure.

— Elle doit chercher, ce n’est pas vraiment son quartier ici.

— Tu lui as bien donnée l’adresse ?

— Absolument.

Le ton froid que Léa laissait percer le renvoya au fond du canapé avec un soupir. Hugo était perdu et ça se voyait. Ces derniers semaines, elle lui avait couru après en sentant qu’il lui échappait. Ce revirement de situation depuis quelques jours le mettait mal à l’aise sans pour autant lui donner une bonne excuse de rompre. Et encore, était-il seulement conscient d’en avoir envie ? Avait-il eu l'intention de coucher avec Océane dans son dos, puis de revenir vers elle une fois calmé ?

— Elle ne t’a pas envoyé de message ? insista-t-il.

— Si, elle aura vingt minutes de retard, répond Léa en jetant un œil à son smartphone.

— Bah pourquoi tu me le dis pas ?

— Ça changerait quoi ? On doit l’attendre de toute façon. Tu n'as qu'à commencer seul.

De plus en plus confus, il reprit ses notes et entreprit de suivre son conseil. Bon toutou. Plus elle le regardait et plus la colère de Léa s’amplifiait.

Comment j’ai pu être amoureuse ? C’est un naze. Beau, mais naze quand même.

Une fois de plus, cela la renvoya à ce qu’était l’amour. Elle avait secrètement reproché à Hugo de le confondre avec une soif purement charnelle qui avait commencé à s’évanouir dès qu’il s’était abreuvé d’elle, mais n’avait-elle pas fait le même genre d’erreur en confondant ce sentiment avec un banal attachement teinté de désir ?

Au final, j’étais surtout excitée à l’idée d’être amoureuse. Est-ce que ça existe seulement ce truc ou bien c’est juste pour vendre des chocolats ?

Lorsqu’Océane débarqua à bout de souffle, Léa était en train d’imaginer la tête d’Hugo éclater sous un coup de poêle à frire. Elle n’irait jamais jusqu’à mettre son projet à exécution, mais se le représenter lui faisait un bien fou.

— Ouf ! s'exclama la jeune brune. Désolée, mais les transports de ton côté de la ville sont délirants. J’ai fini par lâcher l’affaire et courir plutôt que d’attendre le dernier bus de correspondance. Comment tu fais pour venir à la fac tous les jours, tu pars aux aurores ?

— J’ai un scooter, avoua Léa.

Elle avait honte de tous les avantages dont elle jouissait à présent qu’elle avait découvert la situation d’Océane. En regardant de plus près le teeshirt imbibé de sueur, un doute lui vint.

Elle n’a pas pris de bus du tout. À tous les coups, elle est venue directement de chez elle à pied et en voyant l'heure, elle a fini en courant.

L’idée frappa Léa comme un coup au ventre : vu l'emplacement de son studio, Océane n’avait probablement pas de carte de transport. Venir jusque chez elle lui coûterait donc plus cher que de les recevoir.

J’aurais dû y penser, quelle cruche.

Durant leur échange, Hugo avait oublié ses bonnes résolutions. La bouche entrouverte, il était hypnotisé par le corps d’Océane. Léa essaya de capter son regard sans réussite avant de le déranger ouvertement.

— Hugo, comme tu as commencé seul, tu devrais peut-être résumer ce que tu as fait ?

Comme réveillé par un aiguillon électrique, le jeune homme sursauta et attrapa plusieurs feuilles qu’il classa avant de les proposer à sa partenaire de classe. Avec un sourire vers Léa, Océane s’assit sur le canapé et entreprit d’écouter sagement.

Sans comprendre pourquoi, ou plutôt sans vouloir comprendre pourquoi, Léa avait été profondément irritée de le voir la dévorer des yeux. Mais ce n’était pas de la jalousie, pas envers lui. Son regard glissa sur le teeshirt trempé, ses yeux irrésistiblement attirés par la poitrine comprimée.

Elle ne porte pas de soutien-gorge.

Quel spectacle ça avait dû être de la voir courir. La poitrine menue était bien trop révélée à travers le coton mouillé. Les tétons avaient durci contre le tissu, faisant écho à ceux de Léa pendant qu'elle en faisait la découverte. Une sensation agréable l’envahit dans le bas-ventre.

Mais qu’est-ce que je fais ?!

Sortant de sa léthargie lascive, elle s’activa pour redevenir une hôtesse convenable et se rendit dans sa petite cuisine pour chercher à boire. À son retour, elle retrouva Hugo le regard perdu sur les cheveux noués d’Océane. Quelques mèches s’étaient collées contre sa nuque, formant des méandres sensuels. Léa sentit l’irritation remonter, sans parvenir à déterminer si c’était le comportement d’Hugo qui en était la cause ou le fait de réaliser qu’ils avaient les mêmes goûts en matière de femmes.

C’est dit. Putain, j’aime les femmes. Non, j’aime cette femme. Non ! Je l’apprécie. J’ai… envie d’elle ?

Plus elle ressassait ses pensées et moins elle se sentait sûre de ses sentiments, si c’en étaient bien. Hugo ne se posait pas ce genre de question. Pour lui, Océane était un objet de désir vers lequel il tendait la main comme un bébé en criant « Je veux ! ». Lamentable.

La séance de travail dura longtemps, bien plus que la dernière fois. À deux ou trois reprises, Hugo regarda sa montre, ouvrit la bouche, puis la referma sans avoir trouvé quoi dire. Apparemment ils avançaient bien, mieux que bien même, et Océane le poussait pour qu’ils terminent le soir-même. Léa ne comprenait toujours rien. C’était bien trop obscur, contrairement au droit, si carré et si clair dans sa forme.

Finalement, ce fut Océane qui bailla, puis lança un :

— Je crois qu’on est au bout.

Hugo ne cacha pas son soulagement et se jeta en arrière en massant ses yeux avec ses paumes.

— La vache, j’en voyais plus la fin…

— Maintenant qu’on a croisé nos recherches et établi le raisonnement central, je finaliserai seule ma partie et j’attends la tienne pour valider le tout.

— Ouais.

— Après-demain ?

— Si tôt ?

— Pourquoi, tu as des projets ? intervint Léa.

Le regard de sa petite amie le foudroya, glacial et meurtrier.

— Non, pas trop.

Vaincu, il décida de se retirer au plus vite. Océane allait partir elle aussi quand Léa la retint :

— Attends, il fait froid à cette heure et avec ton teeshirt encore humide, tu risques de choper la crève. Je vais te filer un sweat au moins.

Hugo se figea lui aussi. Lorsque Léa revint avec le vêtement promis, il était toujours là.

— Tu voulais me dire un truc ? supposa-t-elle en le voyant hésiter sur le pas de la porte.

— Non-non, mais je pensais raccompagner Océane, vu qu’il est tard.

L’esprit de Léa s’enflamma, passant de zéro à cent en moins d’une seconde.

Évidemment que tu veux la raccompagner, petite enflure.

— C’est vrai que vu l’heure… admit-elle. Mais elle habite de l’autre côté de la ville et toi juste à côté, tu vas aller jusque chez elle en bus et revenir après ?

— Bah…

Hugo était sur le grill et semblait le savoir. Il se tourna vers Océane comme un noyé qui attendait une bouée. Elle resta muette, son visage parfaitement neutre tourné vers Léa.

Elle devrait jouer au Poker.

— Ce n’est pas raisonnable, reprit Léa. Et traverser seule la ville non plus. Le mieux, c’est qu’elle reste ici cette nuit.

Hugo ouvrit de grands yeux. L’angoisse se lisait sur ses traits.

Tu as raison d’avoir peur, mais pas pour ce que tu crois.

Ne trouvant aucune bonne raison de la contredire, il finit par hocher la tête. Léa acheva pratiquement de le mettre dehors et il se laissa faire sans même tenter de l’embrasser.

Pas devant elle, évidemment.

Dans son petit salon, Océane enfilait le sweat. Lorsque Léa redécouvrit son visage au moment où il émergea du col, un sourire provocateur l’animait déjà. La jeune blonde avait fait entrer la tentation en sa demeure, il allait maintenant falloir assumer les conséquences de ses actes.

Annotations

Vous aimez lire Alice Dubois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0