L'absence d'épices-1

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C’était étonnant tout ce qu’on pouvait apprendre d’une personne rien qu’en passant une nuit chez elle. Alors qu’elle paraissait marcher au-dessus du monde, Océane se débattait en réalité dans des eaux troubles que Léa n’avait jamais explorées.

Le bol de riz avait été satisfaisant mais plutôt fade. Sans s'accorder la même politesse, Océane avait généreusement servi Léa. Son hôtesse avait sorti le grand jeu en ajoutant tout un tas de légumes, ceux qui avaient la meilleure tête, mais en l'absence d'épices, leur effet avait été limité.

Pour trouver de quoi saler, Océane avait dû fouiller en profondeur, révélant en partie le bazar qu’elle stockait sous son lit. Des piles de vêtements chauds qui avaient connu trop d’hivers, du matériel informatique d’un autre âge, beaucoup de livres et de cours. Ce qu’elle avait révélé par-dessus tout, c’était qu’elle n’épiçait pas sa nourriture. Océan ne vivait pas, elle se remplissait l’estomac en attendant des jours meilleurs.

Autre découverte : elle n’avait pratiquement pas de vaisselle, très peu d’ustensiles et une seule casserole qui lui servait aussi de poêle. Ce n’était plus rudimentaire, c’était embarassant. Alors qu’Océane lui tournait le dos pour faire la vaisselle, Léa l’observait en silence.

— Tu manges toujours aussi peu ? finit-elle par demander.

— Oh non-non, répondit Océane sans se démonter, je suis un peu au régime en ce moment.

Pour perdre quoi ?

Léa prit le temps de mieux observer le corps de son hôtesse. Certes, elle était sculpturale, mais le souvenir de ses côtes saillantes sous le teeshirt lui restait en mémoire. Avec un pincement au cœur, elle se rendit compte que ce que les gens qui la prenaient pour une nature mince ou le résultat d’un travail sur soi était en réalité une situation imposée par la nécessité. Léa prit le temps de bien choisir ses mots :

— La prochaine fois, si on faisait ça chez moi ?

— Ça… ça ?

— Mais non, espèce d’obsédée ! Je parle de ta séance de travail avec Hugo.

— Ah, ça. Tu habites loin du campus, non ?

— Un peu, mais ce serait sympa de… changer de temps en temps.

Océane ralentit le rythme de ses mouvements. Avait-elle compris ou Léa voulait en venir ? Cette dernière grimaça avant de revenir à la charge pour tenter de rattraper sa maladresse :

— Je n’ai pas l’habitude de m’imposer chez les autres. C’est… enfin ça me gêne quoi.

— Et que je m’impose chez toi, tu crois que ça ne me gênera pas ? demanda Océane.

— Si, je suppose. C’est pour ça qu’on devrait alterner ?

— OK, va pour chez toi la prochaine fois alors. Je me demande ce que Hugo va trouver comme excuse pour nous fausser compagnie.

— J’ai hâte, oui, ricana Léa avec amertume.

— Et je rêve de découvrir ton petit intérieur.

— Ah oui ?

— Et de voir si tu seras plus… détendue, une fois qu’on sera chez toi, termina Océane avec un grand sourire.

Léa préféra ne rien répondre. Parfois, le silence était un bouclier.

Océane n’avait pas de brosse à dent de rechange. Même si elle lui avait proposé d’utiliser la sienne, Léa se contenta d’un lavage au doigt. Pour ce qui était du pyjama, c’était plus compliqué.

— Je dors nue, annonça Océane avant d’exploser de rire. Tu verrais ta tête.

— Bah… moi je ne dors pas nue.

— Par respect pour tes traditions ancestrales, je vais garder mon teeshirt et ma culotte, ça te va ?

— Impec.

Heureusement, le lit était un modèle classique de type Ikéa, largement assez grand pour deux personnes qui souhaitaient maintenir un espace au centre.

Louée soit la Suède. Pourquoi j’ai accepté de dormir ici, au fait ?

La soirée avait été l’occasion de parler de tout et de rien, mais dans l’obscurité et sous le couvert des draps, les langues se déliaient plus aisément. Étrangement, Léa avait toujours cru que c’était un effet du sexe, comme si libérer la tension sexuelle poussait à s’ouvrir à l’autre. Océane et elles ne s’étaient même pas embrassées, mais elles avaient plus que flirté. La tension entre elles était si épaisse qu’elle aurait pu stopper net un semi-remorque lancé à pleine vitesse.

Léa jouait avec le coin de son oreiller, malaxant le pauvre morceau de tissu pour se rassurer pendant qu’Océane lui racontait ce qui s’était passé de son côté du téléphone, après qu’elle lui avait envoyé ses vidéos.

— Comme tu ne répondais pas, je me suis dit que tu allais tout mettre sur internet ! avoua-t-elle.

— On ne voit pas bien ton visage, la plupart du temps.

— Mais on me reconnait, si on sait que c’est moi.

— Oui…

— J’étais anxieuse, mais en même temps super excitée. Et toi ?

Léa ne sut quoi répondre. Elle se mordit la lèvre supérieure en cherchant quoi répondre.

— Tu as mis un certain temps à me répondre, insista Océane.

— Tu sais bien pourquoi.

— Peut-être, disons que j’aimerais l’entendre.

Après un long soupir, Léa céda. L’obscurité et la chaleur réconfortante de la couette avait eu raison d’elle.

— Je me caressais.

Océane se redressa, tirant sur la protection de Léa contre le froid, contre son désir et surtout contre la réalité.

— J’en étais sûr ! Tu as tout regardé ?

— Non. Pas hier soir.

— Pourquoi tu t’es arrêtée ? Oh… nonnnn ! Tu as joui ?

Océane laissa échapper un rire nerveux en retournant sous la couette. Le retour de la chaleur n’offrit que peu de soulagement à Léa.

— Arrête, c’est déjà super gênant comme ça.

— C’était bien ? insista Océane.

— Mouais…

— C’est tout ?

— C’était bien. Plus que bien.

— Et par rapport à Hugo ? gloussa Océane.

Le silence pouvait aussi être une très mauvaise défense.

— Léa ?

— On dort maintenant ?

— OK, si tu veux...

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