L'appel-1

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Les yeux dans le vague, Hugo ne l’écoutait pas. C’était la seconde fois que Léa lui demandait ce qu’il voulait faire le weekend prochain et il répondait chaque fois un vague « oui-oui ». Sachant que le vacarme de la cafétéria éviterait que les autres tables ne l’entendent, Léa risqua un :

— Au fait, je suis enceinte. Tu es d’accord pour garder le bébé ?

— Mmmh ? Oui-oui.

Enfin, l’information parut atteindre son cerveau et Hugo toussa violemment jusqu’à recracher sa bouchée dans son assiette.

Dégueu.

— Attends, qu’est-ce que tu viens de dire ?

— Qu’est-ce que je viens de dire, en voilà une excellente question ! Ça fait dix minutes que je te parle et c’est comme s’adresser à un mur !

— Désolé, j’étais déconcentré, tu disais quoi ?

— Qu’est-ce que tu veux faire ce weekend ?

— Ah ça… fit-il en se détournant à nouveau. Ce que tu veux, ça m’est égal.

— OK, super discussion.

Hugo ne l’écoutait déjà plus. Ses yeux étaient allés se fixer quelque part derrière son épaule. Léa suivit son regard, mais il n’y avait aucun étudiant de son cursus de ce côté. Hugo semblait aimanté par un groupe de filles, tant et si bien qu’il n’avait même pas remarqué qu’elle s’était aussi retournée. Son regard toujours fixé sur le même point, il paraissait hypnotisé.

Depuis plusieurs semaines maintenant, leur lune de miel était terminée. C’était arrivé progressivement, à coups de messages non répondus et de soirées « entre potes » que Hugo préférait passer sans elle, alors qu’au tout début, il ne pouvait pas la laisser tranquille une seule nuit. Elle avait failli louper son semestre à cause de ça.

À présent, la situation s’était inversée, c’était à elle de chercher les occasions pour se voir et lui qui ne faisait plus aucun effort.

— Tu m’aimes ? demanda-t-elle le ventre noué.

— Oui-oui, bien sûr.

Les yeux d’Hugo reprirent enfin vie, sauf que ce n’était pas pour elle que son regard avait finalement dévié, mais pour une fille brune à la peau dorée qui passait devant leur table. Au moins, il ne détourna pas la tête pour la regarder jusqu’à la sortie. Léa s’en chargea. Une taille de guêpe sur des hanches fines, un cul si parfait qu'il semblait épouser son jean, des jambes de rêve et une chevelure jusqu’aux reins, ramenée en queue de cheval basse négligée par un simple chouchou. Une beauté tout en longueurs qui se savait assez attirante pour ne pas avoir à en rajouter. Une prédatrice naturelle au corps de félin.

Léa n’avait pas besoin de voir son visage pour deviner qu’elle était magnifique. Pour ça, il lui suffisait de voir que Hugo avait cessé sa rêverie et se reconcentrait sur son plateau. Il n’était pas en train de vaguement fantasmer sur les nanas de la cafét’, c’était uniquement celle-ci qui avait retenu son attention tout le repas.

— En fait, annonça-t-elle, on ne va rien faire ce weekend.

— OK, ça me va aussi.

— Salut alors, à la semaine prochaine, lança-t-elle en se levant.

Le weekend parut long à Léa. Au cours des derniers mois, son univers s’était mis à graviter entièrement autour de celui d’Hugo. Faire le point seule lui permit de réaliser à quel point elle était devenue une partie de lui et non plus l’ensemble du tout qu’aurait dû être leur couple. Elle ne voulait pas rompre, mais la relation qu’ils avaient fini par développer ne lui convenait pas non plus.

Le dimanche soir, elle fut interrompue dans ses révisions par une demande d’ami sur Insta. Le profil d’une certaine angecerf04, inconnue au bataillon, probablement à la recherche de followers pas chers. Léa refusa, mais avant qu’elle ne repose le téléphone, il sonna à nouveau. Fronçant les sourcils, elle découvrit une demande de message à accepter. De la même personne.

Insistante.

Par précaution, elle chercha le profil de l’inconnue, mais il était masqué. Pas logique. Léa commença à se demander si elle ne s’était pas trompée, peut-être la connaissait-elle ? La photo ne lui disait rien, mais elle accepta la demande pour vérifier. Au pire, elle bloquerait simplement le compte plus tard.

Le message s’afficha :

« Hello, on ne se connaît pas mais je suis le même cursus que Hugo et il m’a parlé de toi. »

Quelle chance, moi il ne m’a rien dit sur toi.

« Si ça te dit, j’aimerais qu’on se rencontre pour parler d’un projet que j’aimerais mener avec Hugo et toi. »

Hein ?

Hugo faisait de la psycho et Léa du droit ; quel genre de projets pouvait associer les deux ? Et surtout pourquoi était-ce une fille sortie de nulle part qui venait lui en parler, plutôt que son propre petit ami ?

Suivait son numéro de téléphone et un smiley clin d’œil, le plus sibyllin de tous les émojis. Le message était signé Océane. Curieuse, elle accepta la nouvelle demande d’ami et se rendit sur le profil.

— Wow… pas étonnant qu’elle ne le rende pas public !

Océane, si c’était bien son prénom, était sculpturale et elle savait s’en servir. Une longue chevelure brune, une peau miel et des yeux noirs d’une rare intensité. Elle postait aussi bien de classiques photos de vacances que des plus intimes, en maillot de bain et en lingerie. Fascinée par son audace, Léa fit défiler les photos. Elle finit par atterrir sur une série inattendue de nus. Les photos ne révélaient rien d’interdit, jouant avec le cadre et les ombres pour masquer les parties les plus intimes, mais ça restait très chaud pour Insta. À mesure qu’elle avançait dans le profil, les choses devenaient de plus en plus torrides.

Un homme apparaissait sur certains clichés, on voyait son bras, une cuisse, une mâchoire. Abstinente depuis des semaines, Léa commençait à se sentir troublée. Elle se faisait l’impression d’une perverse en train de mater du porno comme le ferait un mec. D’une certaine façon, c’était pire car c’était Océane elle-même qui lui avait donné accès à tout ça. Le profil s’arrêtait là.

Léa se jeta sur son lit et enfonça sa tête contre son oreiller pour y étouffer un cri de gêne et de frustration. Elle avait honte d’avoir espéré en voir plus et en même temps déçue de ne pas en avoir vu plus.

— Il faut vraiment que je baise, marmonna-t-elle contre le coton.

Son téléphone toujours à la main, elle regarda la dernière photo du profil, celle qui montrait le dos d’un homme, le corps d’Océane presque enroulé autour, ses membres accrochés aux muscles tendus.

Elle est souple en plus. La chance.

Une sensation bien connue l’alerta. En ricanant, elle souleva les coutures de son short et de sa culotte pour vérifier et soupira en découvrant une petite tâche sur cette dernière. Elle lâcha le tout dans un claquement sonore et se positionna sur le côté, le téléphone toujours en main.

Océane était un vrai canon, du genre qui faisait tourner les têtes. Le dos de l’homme était sombre, trop pour un simple bronzage. Un métis peut-être. Avec l’éclairage faible au moment du cliché, le contraste entre la peau pourtant mate d’Océane et la sienne était décuplé. Honteuse, Léa repoussa une nouvelle fois les coutures pour infiltrer ses doigts contre sa culotte, se caressant doucement en s’imaginant dans les bras de cet Apollon aux épaules arrondies.

Le plaisir monta peu à peu, le contact de son doigt qui glissait sur le tissu était agréable, décuplé par la stimulation visuelle. Elle ferma les yeux et essaya d’imaginer le dos en train de bouger, puis elle s’imagina entre ses bras forts, contre son torse dur et…

Le son lui fit ouvrir les yeux. Durant quelques secondes, elle resta complètement calme, comme si l’information n’était pas parvenue au centre des émotions de son cerveau. Tout se passait au ralenti, tandis que l’information était traitée, l’absence de solution analysée, les conclusions rendues : elle avait appuyé par accident sur le cœur en bas à gauche. Même en rappuyant dessus pour retirer son aval à ce partage d’intimité, Océane recevrait la notification.

Non-non-non-non-non-non-nonnn !

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