Sous la pluie de Paris

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Vos inquiétudes, je les entends, et je les comprends. Mais la création du service de sécurité du Conglomérat ne changera rien.

Nous resterons au service des citoyens, comme la police l’a toujours été.

La création du SSC permettra à nos forces d’agir avec l’ensemble du Conglomérat présent en Europe.

Pour votre sécurité.

Discours télévisuel du commissaire du 1er arrondissement Loïc Farin, 2063



Le corps sans vie de la nouvelle victime gisait sur le sol humide des quais qui bordaient la scène. Une épaisse bâche bleue la recouvrait pour éviter aux passants curieux qui s’étaient agglutinés de pouvoir jeter un coup d’œil malsain. L’inspecteur en charge de cette sordide enquête, Tomas Anderson, regardait d’un regard vague la bâche sur laquelle la pluie fine venait se fracasser. Ce n’était pas la première ni la dernière, à son grand dam. Et à chaque fois, c’était avec la même difficulté qu’il devait regarder la malheureuse victime déformée. Cette enquête commençait doucement à peser sur ses nerfs. Ses nuits se raccourcissaient de plus en plus avec le stress si bien que ses yeux marron commençaient à avoir de plus en plus de difficultés à rester ouverts au fil des jours. Il dégagea ses mèches noires mouillées par la pluie de son front et les rabattit en arrière pour voir un peu mieux. Il enleva ses lunettes de vue qui commençaient à devenir opaques avec les gouttes puis il s’agenouilla afin de se rapprocher un peu plus de la bâche. Il la regardait en silence incapable de soulever le bout de plastique bleu. Au lieu de ça, il se gratta nerveusement son patch anti-nicotine situé sur son cou. Il avait furieusement envie d’une cigarette et cette enquête mettait ses nerfs à rude épreuve.


— Inspecteur Anderson. 


Il s’arrêta aussitôt de se gratter puis se releva tout en jetant un coup d’œil derrière lui. Son supérieur, le commissaire Rusk se tenait désormais derrière lui. L’homme d’un âge avancé était emmitouflé dans une veste pour se protéger de la pluie. Seuls ses deux petits yeux marron en amande étaient visibles. À ses côtés, une grande femme blonde se tenait là, Alexandra Parker, l’agent du S-REC. Il en avait entendu parler. Les mèches blondes flottaient au vent et hypnotisaient du regard Tomas. La couleur dorée de ses cheveux ressortait d’autant plus que la jeune femme portait un long manteau noir qui tombait jusqu’à ses genoux. Et contrairement à l’inspecteur, ses cheveux étaient correctement protégés par le parapluie sombre qu’elle tenait dans sa main. Tomas avait été prévenu qu’un agent du S-REC, un long manteau, allait venir. Et il n’était pas difficile pour lui de faire le lien. Il avait entendu toutes sortes de rumeurs sur eux, certaines plus réalistes que d’autres. L’une d’elles racontait que les agents étaient des humains surentrainés, tellement conditionnés, qu’ils avaient encore moins d’émotions qu’un robot. Et le visage froid et inexpressif de la jeune femme venait confirmer les dires. Elle avait quelque chose aux yeux de Tomas qui montrait qu’elle n’était pas comme les autres humains, et il ne saurait dire pourquoi. Est-ce que c’était sa beauté artificielle ? Sa façon de faire ? Son regard ? Il n’en savait rien. Mais la présence de la jeune femme le mettait mal à l’aise. Son envie d’une bonne cigarette se fit encore plus présente. Et pour éviter de le montrer, il cacha ses mains derrière son dos et commença à se gratter nerveusement son poignet droit. C’était un autre de ses tics nerveux.


— Je vous présente Alexandra Parker, reprit le commissaire. 


La jeune femme dégaina son insigne du S-REC.


— Agent du S-REC. On m’envoie vous aider.

— J’en ai entendu parler, répondit l’inspecteur, j’espère que vous avez le cœur bien accroché, Parker. 


Il pointa du doigt la bâche derrière lui. La jeune femme s’avança et s’accroupit. De sa main libre, elle souleva la bâche plastique, révélant un cadavre mutilé. Il ne restait plus rien de sa tête, mais seulement quelques bouts épars qui avaient volé un peu partout. Un bout de mâchoire ici, quelques dents dissémines là. Elle regarda pendant de longues minutes les bouts de chairs et ce qu’il restait du corps. Aucune expression ne pouvait se lire sur son visage. Elle regardait scrupuleusement chaque détail sans rien laisser paraître. Ses yeux analysant chacun des bouts qu’elle voyait. Au bout de plusieurs minutes, elle releva la tête pour regarder les alentours de la scène de crimes. Certains bouts de corps avaient volé à plusieurs centimètres et étaient délimités par les techniciens de la police.


— C’est sale, hein ? demanda Tomas.

— J’ai vu pire. Il y a des marques sur ses poignets. Vous savez d’où elles viennent ?

— Non. On les a remarqué mais c’est trop pour le dire. Il faudra attendre le rapport du légiste. 


Alexa se releva, elle remit en place les plis de son manteau puis regarda l’inspecteur. Alors que ce dernier haussa les sourcils. Elle était vraiment bizarre à ses yeux. Il n’arrivait pas à comprendre comment elle faisait pour être aussi calme.


— Ça ressemble en effet à une explosion d’implant, constata la jeune femme.

— On est en train de chercher le nom de la victime, répondit Tomas, mais oui, c’est le mode opératoire. Toutes les victimes avaient un implant, et ce dernier à exploser. Toujours difficile d’identifier ce genre de cas quand il manque le visage…

— Implant clandestin ?

— Non, pas seulement. Certaines victimes aussi avaient des implants homologués. On pense à du piratage, mais même là… Je me demande comment le tueur peut réussir à faire exploser des implants derniers cris. Je dois avouer, on piétine pas mal…

— C’est pour ça que je suis là, lieutenant. Quoi d’autre à savoir ?

— Aucun témoin, soupira Tomas, juste des gens qui ont découvert le corps après avoir entendu une détonation.

— Rien d’autre ?

— Non, et on n’est pas en terrain conquis ici. C’est la zone, les gens n’aiment pas la sécurité. 


Un homme s’approcha en courant d’Anderson. C’était l’inspecteur adjoint d’Anderson, Chen Wu. Un inspecteur émérite, mais qui ne s’entendait pas vraiment avec Anderson. Chen Wu était bien différent de Tomas Anderson. Contrairement à lui, il avait vécu dans une famille aimante, et avait bénéficié de modification génétique avant sa naissance. À la suite de quoi, il développa de grandes facilités dans les études et le sport. Et c’est tout naturellement qu’il arriva à décrocher un poste dans le SSC. Cependant, Chen Wu devait composer avec Anderson qui malgré son patrimoine génétique discutable, était son supérieur. Et cela avait le don de l’agacer. C’est pourquoi lorsqu’il se présenta devant lui, il cacha à peine son animosité.


— Inspecteur, commença-t-il d’une voix pinçante, on a son identité. 


Il toisa aussi de son regard méprisant Alexa. Tomas décida alors d’intervenir afin d’éviter un malencontreux dérapage de la part de son adjoint qui lui vaudrait une balle dans la tête.


— Chen Wu, voici l’agent du S-REC qui vient en renfort, Mademoiselle Parker. 


Le regard de Chen Wu se changea aussitôt lorsqu’il comprit à qui il avait affaire. Il baissa le regard et regarda les pieds d’Alexa. Tomas ne cacha pas son sourire. Au moins, ça allait le calmer pour un moment.


— Bon... Bonjour, balbutia Chen Wu. Je suis —.

— Je sais qui vous êtes, la coupa froidement Alexa. On vient de vous présenter. Vous avez l’identité de la victime ?

— Corrin Brady, répondit-il, citoyen de catégorie B.

— Un B ? s’étonna Tomas, qu’est ce qu’il vient foutre dans cet endroit ? C’est à coup à mourir à coup sûr.

— Je ne sais pas, répondit Chen Wu en haussant les épaules. Les citoyens B viennent parfois ici pour… les bordels.

— Les bordels des catégories B ne suffisent pas ? demanda Alexa.

— Rien ne nous dit qu’il était là pour ça, répondit Tomas.

— Quel est le profil des autres victimes ?

— Varié. C’est le seul catégorie B, les deux autres étaient C et D. 


Tomas reprit son tic sans s’en rendre compte. Il scrutait la réaction d’Alexa. La jeune femme se contenta d’un bref froncement de sourcil. Tomas se demander si elle trouvait déjà l’histoire compliqué. Pour une meilleure gestion de la population, le Conglomérat avait établi des catégories pour les citoyens. En fonction de leurs gènes, mais aussi de leurs postes, les citoyens se voyaient attribuer une lettre allant de E à A. A étant la plus haute note réservée aux hautes sphères du Conglomérat, et E la plus basse regroupant les criminels ou les humains possédant des maladies génétiques interdit à la reproduction. Le fait que différents citoyens aient été touchés par la vague de crime brouillait de nombreuses hypothèses.


— Nous n’obtiendrons rien de plus ici, reprit Tomas, récupérez la victime pour une autopsie. Parker, vous pourrez avoir accès à nos informations chez nous. 


Alexa opina du chef et suivit Tomas. Lui en avait vu assez, et rester un peu plus ici n’allait pas lui apporter plus. En revanche, il pouvait au moins lui montrer ce qu’il avait déjà rassembler, et espérait que cela aide l’agente à trouver une piste.

Alexa regardait défiler sur son écran les photos des précédentes victimes, ainsi que les informations regroupées par l’équipe d’Anderson. Avec la victime de ce matin, le nombre de tués venait de passer à trois. Toutes possédaient en effet un implant qui avait explosé causant leur mort immédiate. Et elles venaient de catégorie sociale différente. L’un était de catégorie D, l’un des plus bas, regroupant majoritairement des hommes et femmes en situation précaire. Son implant était de piètre qualité, et il l’avait fait poser clandestinement, sans doute pour échapper à la surveillance du Conglomérat, et sa politique stricte envers les implants. L’autre était de catégorie C, la classe moyenne. Il ne gagnait pas des milles et des cents, mais suffisamment pour vivre correctement comme la majorité des citoyens. Leurs profils étaient bien différents. Contrairement à la précédente victime, la victime de catégorie C avait fait installer tous ses implants dans une clinique réglementée. Enfin, il restait une dernière victime, celle de ce matin que l’équipe d’Anderson était encore en train d’autopsier. Alexa était cependant surprise de la quantité d’informations et de pistes qu’avait déjà explorées l’équipe. Anderson n’usurpait pas sa place de major de promotion. Mais visiblement, l’affaire était plus impressionnante qu’au premier abord. Elle ne pouvait pas reprocher à Anderson son travail minutieux, et elle comprenait qu’elle était un renfort précieux pour eux.


— Agente Parker. 


Alexa leva les yeux de son écran et vit une jeune femme qui se tenait devant son bureau. Elle avait les bras croisés derrière son dos, elle était presque au garde à vous devant l’agente. Normal, elle était techniquement au-dessus des membres de la police. La jeune femme était aussi fatiguée qu’Anderson, et sa tenue laissait à désirer. Ses cheveux bruns étaient attachés en chignon, mais quelques mèches rebelles venaient se poser délicatement sur ses fines épaules. Ses yeux verts fatigués fuyaient le regard de l’agente du S-REC. Visiblement, Alexa intimidait tout le monde ici. La jeune femme tapait frénétiquement du pied espérant qu’Alexa ne remarque pas son stress. L’agente ne répondit pas, elle se contenta de regarder la jeune femme avec un haussement de sourcils qui renforça son sentiment de malaise.


— Je… Hum. Je suis Sarah Williams, j’épaule le lieutenant dans l’affaire. 


Alexa regarda patiemment la jeune femme rendant ainsi l’atmosphère plus pesante pour cette dernière. Elle déglutit et prit une bouffée d’oxygène pour se donner du courage.


— Il me fait savoir qu’il se trouve à la morgue, avec notre médecin légiste. Peut-être voudriez-vous vous rendre là-bas, pour voir nos victimes. 


Alexa hocha finalement la tête et se leva de son bureau dans un soupir.


— Oui. Allons-y. 


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