Un nouvel Horizon

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Et je vous promets que nos inventions changeront le monde. Nous entrons dans une nouvelle ère. Une ère où la maladie ne sera plus une fatalité, une ère où nos différences seront gommés. Un nouvel horizon se profile devant nous, et nous annonce des jours meilleurs.

Matthieu Hambert CEO d’Horizon 2035-2125

C’était la première fois que Tomas mettait les pieds dans un endroit comme le centre névralgique d’Horizon à Paris. Un immense immeuble situé dans les beaux quartiers au du quartier d’affaire de la Défense qui s’étirait sur une quarantaine d’étages. Le quartier des affaires était plein de ce genre de tour. Immense et grandes. Chaque entreprise du Conglomérat avaient la sienne. La défense était à la limite du vieux Paris. Au delà s’étendait des quartiers du nouveau Paris tous plus peuplé les uns que les autres où les immeubles s’élevaient anarchiquement vers le ciel. Toujours plus haut et loin. Ils devenaient tellement grands que certains édifices disposaient de ponts et de passerelles pour permettre de se déplacer en hauteur, c’était plus simple de traverser par eux que de redescendre tous les étages, même avec les ascenseurs. Dans certains quartiers de Paris, la lumière naturelle du soleil ne parvenait même plus jusqu’au sol. Ce n’était bien évidemment pas le cas des plus riches quartiers. Les immeubles étaient de taille raisonnable, les trottoirs étaient larges et propres. Comme ici. Et le soleil brillait et baignait de lumière le quartier. Elle se reflétait sur la façade blanche et impeccable du bâtiment d’Horizon. Et une fois à l’intérieur, Tomas se rendit compte que l’ensemble était tout aussi lumineux. Le sol était tellement propre qu’il pouvait voir son reflet sur le carrelage blanc. Et la monotonie des murs blancs était cassée par les différents écrans publicitaires qui vantaient les mérites des produits Horizon. Et pourtant Tomas n’appréciait pas vraiment l’ambiance faussement propre de cet endroit. Comme tout le monde, Tomas avait un implant neuronal qui lui permettait de réaliser de nombreuses opérations, comme voir des messages ou appeler des personnes. Mais il avait juste le strict de minimum, jamais il n’avait voulu autre chose. Peut-être était-il encore un peu vieux jeu. Mais il préférait être comme ça.

Il s’avança vers l’immense bureau de réception qui se situait dans le hall, suivit par Alexa. À peine, il s’approcha qu’il sentit les regards des gens qui attendaient dans l’entrée. La réceptionniste releva ses yeux de son écran pour voir Tomas. Elle ne lui adressa même pas un bonjour et d’un geste de la main, elle pointa une borne un peu plus loin.

— Enregistrez-vous d’abord.

— SSC, répondit-il en sortant son insigne. Nous devons voir le directeur de cette agence. 

La réceptionniste fit un petit sourire narquois qui irisa les poils de Tomas.

— Vous avez une ordonnance d’un juge ? 

Tomas soupira. Il n’en avait pas. Il était vu sans rien demander au juge. De toute façon sans preuve, il n’aurait rien obtenu, il le savait bien.

— Écoutez, reprit-il, on veut juste lui parler et —

— Je connais nos droits, intervint la réceptionniste. Vous devez avoir l’accord d’un juge.

— Mais putain de —

Alexa intervint devant Tomas, lui intimant d’un signe de la main de la laisser faire. Un sourire narquois semblable à celui de la réceptionniste se lisait sur son visage. Elle sortit son insigne et reprit la conversation d’une voix posée :

—Vous semblez bien connaître vos droits. Alors vous n’ignorez pas que quand un agent du S-REC arrive vous êtes sensé vous exécuter. 

Le visage de la réceptionniste se décomposa devant l’insigne. Sa lèvre inférieure commença à trembler légèrement, et elle ne savait plus quoi répondre face à l’aplomb Alexa. Tomas ne cachait pas sa satisfaction. Il croisa les bras et regarda la situation se dénouer sous ses yeux :

— Je vous laisse prévenir votre supérieur. Dans le cas contraire, je serais forcée d’intervenir. 

Les yeux de la réceptionniste se voilèrent, comme si son regard était ailleurs. Alexa et Tomas comprirent qu’elle essayait de joindre son supérieur à travers son implant. Tomas détestait cette sensation quand il voyait quelqu’un en conversation. L’implant Horizon avait accès aux nerfs qui passaient dans la colonne vertébrale, les informations visuelles et sonores étaient récupérées par l’implant ce qui lui permettait d’appeler sans problème quelqu’un dans le monde. Mais à chaque utilisation, les yeux se voilaient pour faire apparaître à l’utilisateur les informations qu’ils désiraient. Cela donnait des sueurs froides à Tomas.

— Oui, on a un agent du S-REC qui veut voir Monsieur… Oui… D’accord, je leur dis. 

Son regard revint parmi eux. Elle désigna d’un geste de la main deux fauteuils vides qui se trouvaient plus loin dans le hall :

— On va venir vous chercher. Je vous en prie, asseyez-vous en attendant. 

Alexa remercia la réceptionniste d’un simple hochement de tête et elle alla s’asseoir avec Tomas. Ce dernier afficha un grand sourire satisfait en voyant l’issue de la conversation :

— Vous leur faites peur, dites donc.

— Le S-REC est censé protéger, mais aussi contrôler le Conglomérat. Nous avons le droit de mettre notre nez partout où l’on veut. En théorie du moins.

— Dans la réalité, c’est bien différent ? 

Alexa eut un étrange sourire triste.

— J’imagine que c’est pareil pour vous. Vous devez protéger la veuve et l’orphelin. Faire la justice. Mais certains sont au-dessus de la loi.

— Ouai, et la hiérarchie n’aide pas.

— Je ne peux pas trop me plaindre, répondit-elle en haussant les épaules. Notre directrice est du genre à fouiner dans les affaires du Conglomérat. Elle est assez crainte pour ça.

— Chanceuse. Moi, c’est un mou du bide qui se couche devant eux. 

Tomas soupira en repensant à tous les problèmes que pouvait lui causer le commissaire. À chaque fois qu’il voulait enquêter vers le Conglomérat, le commissaire l’empêchait. Il ne savait pas s’il était du genre paranoïaque, mais il était persuadé que l’enquête se déroulerait mieux sans lui. Mais maintenant, avec les passe-droits d’Alexa, l’enquête avait une chance d’aboutir. Il allait être vite fixé en voyant de quoi elle était capable avec Horizon. Alors qu’il attendait patiemment, son regard fut attiré par une conversation qui se déroulait non loin d’eux et qui le tira de ses pensées. Un homme en uniforme d’Horizon invectivait deux autres personnes, un couple d’hommes. Le ton montait de plus en plus à tel point que Tomas pouvait suivre la conversation depuis sa place.

— Bon, maintenant ça suffit. Je n’ai pas de temps à perdre avec des pauvres, répondit sèchement l’employé d’Horizon.

— Votre implant ne marche pas !

— Bah, vous n’aviez qu’à mettre plus. Oh ! J’oubliais, vous ne pouvez pas. Dégagez ! Avant que je vous fous dehors à coup de pied dans le cul. 

Tomas se leva de sa place et commença à marcher, son insigne dans sa main droite.

— Vous ne devriez pas vous en mêler, Anderson. 

Tomas n’écouta pas Alexa. Il se dirigea vers l’employé d’un pas résolu. Il haïssait ce genre de comportement.

— Hé vous. 

L’employé se tourna et toisa d’un regard méprisant l’inspecteur.

— C’est quoi encore ce bordel ?

— Inspecteur du SSC, dit-il en montrant son badge, ce n’est pas une façon de traiter les gens.

— C’est des catégories D. Je n’ai pas de temps à perdre avec eux. 

L’employé regarda le badge sur lequel était inscrit le nom de Tomas, mais aussi sa catégorie sociale comme le veut la loi. Il pouffa et secoua sa tête :

— Je rêve, un inspecteur D. C’est vraiment n’importe quoi. Tout se perd.

— Vous n’êtes pas au-dessus des lois.

— Je le suis. Je suis le fils du directeur. Je suis l’élite, un citoyen de catégorie A. Vous, vous êtes un pauvre gratte-papier. 

L’employé appuya ses propos en poussant Tomas. Ce dernier, surpris par l’action, tomba sur son postérieur sur le sol froid du centre. Dans l’action, ses lunettes étaient tombées au sol, juste devant lui. Il n’eut même pas le temps de tendre le bras que l’employé écrasa sa paire devant ses yeux.

— Bah alors, on pleure pour des lunettes ? On n’a pas les moyens d’avoir une vraie vue ?

— Espèce de sale… 

Tomas ne put finir sa phrase que l’employé se tordait de douleur devant lui. Alexa tenait fermement le poignet du jeune homme et le tordait dans un angle qui n’était pas naturel. Il hoquetait de douleur et de colère.

—  Mais, bordel de, commença-t-il.

— S-REC, service de renseignement et d’espionnage du Conglomérat.

La voix froide d’Alexa doucha la colère du jeune homme. Il la regarda et comprit sans même voir son insigne qu’elle disait vrai. Tomas ne voyait pas grand chose de la scène, mais il se doutait de la peur qu’elle insufflait au jeune homme.

— Un long manteau… Je veux dire : pardon ! 

Alexa resserra sa poigne sur le poignet du jeune homme qui se mit à couiner plus fort.

— Antoine Lafarge, fils du directeur Lafarge, commença Alexa. Je me demande si votre père est au courant des suspicions de fraude et de détournement. Vous savez que le Conglomérat n’aime pas les tricheurs. 

Le fils de Lafarge pâlit. Tomas ignorait comment Alexa pouvait savoir une telle chose. Peut-être qu’elle avait accès à des informations sensibles en étant agente du S-REC. Quoi qu’il en soit, elle avait fait assez d’effet au jeune homme qui ne lâchait plus que des couinements :

— Je crois que vous devez des excuses à mon partenaire, reprit Alexa. 

Le jeune homme lança un regard noir à Tomas. Même sans ses lunettes il arrivait à voir la haine qui embrasait ses yeux. Alexa serra un peu plus son emprise :

— Pardon ! Je suis désolé ! Je payerai pour vos lunettes ! Promis. 

Alexa regarda le couple d’hommes. Ses derniers se mirent quasiment au garde-à-vous.

— Que vous a-t-il fait ?

— Mon mari a payé un implant, mais ce dernier a des ratés. Et il nous dit que la garantie ne marche plus, s’emporta le premier homme. On a payé le prix fort pour la garantie.

— Tiens, des implants défectueux. De quoi ternir la réputation d’Horizon. Ça serait dommage… 

Alexa lança un regard plein de sous-entendus à Tomas. Une étrange coïncidence qui n’avait pas sa place ici. Tomas ne croyait pas aux coïncidences.

— Lafarge, reprit Alexa, vous allez retirer l’implant du monsieur, et lui en donner un dernier cri. Si demain je vois que ce n’est pas fait, vous allez avoir des problèmes. Mon IA a déjà enregistré tout. Le S-REC sait ce qu’il s’est passé. 

Il blêmit un peu plus. Sa voix n’était pas plus forte qu’un couinement de chiot.

— Je vais tout arranger, promis ! 

Alexa lâcha enfin la main d’Antoine. Ce dernier continuait de renifler pour empêcher sa morve de sortir de son nez. Il était bien pathétique tout d’un coup aux yeux de Tomas qui ne cachait pas sa satisfaction. Antoine essuya son nez d’un revers en utilisant la manche de son uniforme hors de prix. Il réajusta ses cheveux et regarda le couple d’hommes.

— Suivez-moi, je vous prie. 

Sa voix était faible. Et avant de partir, il lança un dernier regard terrifié à Alexa qui ne broncha pas. Elle n’avait rien laissé transparaître. Elle était comme impassible devant la situation. Elle soupira et réajusta sa cravate qui avait bougé avec tout ce remue-ménage.

— Merci encore madame ! 

Les deux hommes adressèrent un franc sourire à Alexa qui ne répondit pas. Tomas ramassa les restes de ses lunettes et poussa un soupir. Heureusement qu’il avait une autre paire de lunettes à son bureau. Il glissa les restes dans la poche de sa veste, il ne voyait plus rien de loin désormais.

— Merci du coup de main, adressa-t-il à Alexa.

— Vous devriez éviter de vous faire remarquer. 

Il ne le voyait pas, mais les deux représentants de l’ordre étaient désormais au cœur de tous les regards.

— Je ne pouvais pas rester sans rien faire, se justifia Tomas.

— Parfois, il vaut mieux laisser courir. On a une affaire plus importante. 

Alexa remit les mains dans les poches de son long manteau et commença à marcher vers sa place assise. Le bruit de ses bottes résonnait désormais dans le hall qui était devenu étrangement calme.

Laisser courir ? Elle insinue quoi là ?

Tomas n’aimait pas vraiment la phrase qu’elle avait lâchée. Il n’allait pas fermer les yeux sous prétexte que leur mission était importante. Il était policier, c’était son devoir de protéger et d’aider les gens.

J’imagine que nous n’avons pas les mêmes objectifs, elle sert le Conglomérat. Moi, je sers les citoyens.

Il se dirigea à nouveau vers sa place, les yeux plissés pour essayer de voir un peu plus clair. Mais à peine avait-il fait quelques pas, qu’une femme vint à sa rencontre.

Elle était vêtue d’un tailleur de très bonne qualité et d’une coupe impeccable. Son visage était exempt de tout défaut. Elle avait subi des modifications, c’était obligé. Personne n’était à ce point lisse sans passer par la case chirurgie. Sa peau était tirée dans tous les sens et ne présentait aucune imperfection. Son visage était figé, encore plus qu’un androïde. La femme afficha un sourire forcé qui tirait les traits de son visage.

— Bonjour, je suis l’assistante de direction de Monsieur Lafarge, si vous voulez bien me suivre. 

Alexa et Tomas la suivirent sans dire un mot. Elle les emmena en dehors du hall, via une porte qui n’était accessible que par badge. Ils étaient dans l’envers du décor, là où l’entreprise Horizon s’activait pour créer leurs derniers modèles. Sans perdre un instant, l’assistante les conduisit vers un immense ascenseur, assez grand pour contenir pas loin de vingt personnes. Une fois à l’intérieur, elle appuya sur le bouton représentant l’étage du directeur, le dernier. Il fallut quelques minutes à l’ascenseur pour atteindre cet étage. Une fois son objectif atteint, il s’ouvrit, laissant échapper un petit bip. Il donnait directement dans le bureau du directeur Lafarge. C’était une immense pièce qui faisait l’intégralité de l’étage. Les murs étaient de grandes vitres qui donnaient directement sur une vue splendide surplombant Paris. D’ici, Alexa et Tomas pouvaient voir la tour Eiffel. L’édifice en métal brillait de mille feux avec les publicités en hologramme qui s’affichait. Elles ressortaient d’autant plus avec le soleil qui commençait à se coucher. Tomas n’avait jamais compris à quoi servait cette tour, à part à gâcher le paysage. Il évitait autant que possible de regarder cet étrange édifice. De toute façon, il n’aimait pas les pubs et essayait de ne pas les regarder. Mais avoir une vue dégagée sur la tour était synonyme de richesse. Au-delà du panorama, c’est tout le bureau qui transpirait la richesse. C’était tout bonnement un immense appartement cossu dans lequel pouvait vivre le directeur. Il n’avait nul besoin de sortir d’ici, il avait une cuisine, un salon avec une immense télévision, mais aussi une chambre avec un lit immense, comme n’en avait jamais vu Tomas. Heureusement pour lui, il n’avait plus ses lunettes pour voir cet étalage de richesse, il se serait senti malade.

L’assistance sortit aussitôt de l’ascenseur et devança Alexa et Tomas. D’un pas vif, elle s’avança vers le bureau qui était en face d’eux. Le directeur était pris dans ses papiers, et il daigna à peine lever les yeux de ses papiers en entendant son assistance.

— Monsieur, commença-t-elle, voici l’agent du S-REC. 

Il leva son regard qu’il planta dans les yeux d’Alexa. Le mépris et la colère pouvaient se lire à travers. Il n’aimait pas être dérangé, cela se lisait sur son visage. Il poussa un grognement et lâcha d’une voix agacée.

— Alors c’est vous qui vouliez me voir. J’espère que vous avez une bonne raison.

— Vous devriez surveiller votre langage quand vous avez un agent du S-REC devant vous. Surtout quand votre fils a des ennuis avec ledit agent. 

Il fronça ses épais sourcils noirs.

— Que voulez-vous ? 

Alexa s’assied sur le fauteuil devant lui sans sa permission, ce qui eut pour effet de l’irriter encore plus. C’était un des petits plaisirs d’Alexa, énerver les gens de pouvoirs en leur rappelant qu’elle en avait autant qu’eux, malgré sa condition. C’était un de ses rares privilèges, et elle en usait. Elle croisa ses jambes et s’enfonça confortablement dans le siège. Un bon siège en cuir qu’elle avait rarement l’occasion de pouvoir utiliser.

— Vous êtes au courant que des implants explosent, j’imagine. 

Il fit un geste de la main et soupira.

— Je vous en prie, si vous venez pour nous accuser de malfaçons vous pouvez sortir. Nos implants sont impeccables !

— Pourtant ce sont des implants neuronaux qui explosent, fit remarquer Alexa, hors vous êtes les seuls sur le marché.

— Le marché légal, corrigea le directeur, des milliers d’implants circulent sous le manteau. Et nous ne sommes pas responsables de ceux-là.

— Dans le cas des victimes, il s’agit bel et bien de vos implants, en se basant sur leur dernier dossier médical. Et puis, je viens de croiser certains de vos clients qui se plaignent.

— Rien ne dit qu’ils n’ont pas modifié eux même leurs implants. Si vous saviez le nombre d’abrutis que nous recevons et qui viennent se plaindre des implants qu’ils ont eu même modifiés ! Ils se retrouvent bien cons quand on leur dit que la garantie n’est plus valable.

— Et les pirater ? demanda Tomas.

Le directeur laissa échapper un petit rire.

— Je vous en prie, ils sont impossibles à pirater.

— Toute technologie est piratable.

— Je vais reprendre calmement pour que vous compreniez. 

Le ton paternaliste du directeur commençait à agacer Tomas.

— Nos implants sont piratables certes. Au final, ils ont un programme comme tout le reste. Mais nous avons implanté une sécurité. Il faut une clé spéciale que nous possédons, dès qu’il y a une modification matérielle ou bien logicielle non autorisée, l’implant cesse tout bonnement de fonctionner.

— Donc, selon vous, impossible d’effectuer des modifications sans cette fameuse clé que seuls vos employés possèdent ?

— Exactement.

— Donc, reprit Alexa, vous êtes en train de me dire que si les implants explosent, c’est qu’ils sont modifiés, mais les modifications ne sont possibles que par vos employés.

— Je… Vous pensez qu’un de nos employés est responsable ?

— On dirait. Vous connaissiez Corrin Brady ? 

Le directeur Lafarge soupira et son visage se fit plus sévère. Il joint ses mains sur son bureau.

— Oui, j’ai entendu l’histoire, c’est dramatique.

— Épargnez-moi le faux discours, soupira Alexa. On sait tous que dans cette entreprise, comme les autres, il n’est qu’un nom parmi d’autres. Et je sais qu’après sa mort vous avez fait une enquête sur lui. Je veux savoir ce que vous en avez déduit. 

Le directeur soupira longuement de nouveau. Alexa connaissait bien les habitudes et façons de faire des entreprises du Conglomérat. Bien mieux que Tomas. Il comprenait pourquoi on l’avait assignée à son enquête. Elle était un plus non négligeable avec ses compétences. Piégé, Lafarge ne chercha même pas à nier et répondit doucement.

— C’était un gars normal, sans histoire. Pas de famille connue ni de relations connues. Au travail, aucun problème, bien au contraire. Il était toujours serviable et gentil.

— Aucune animosité avec quelqu’un ici ?

— Pas à notre connaissance.

— Rien de notable ? 

Il détourna le regard comme s’il était gêné de répondre à la question.

— Il avait ses habitudes dans un bordel du quartier D. À Pigalle. 

Tomas écarquilla les yeux se demandant comment ils avaient fait pour trouver cette information qui semblait bien intime.

— Comment vous savez ?

— Les implants, répondit Alexa. Ils peuvent avoir accès à vos données personnelles. J’ai tort ?

— Vous semblez bien renseigné, siffla le directeur, mais : oui. 

Tomas se plongea dans ses pensées, passant dans son esprit les maigres indices qu’ils avaient pour l’instant. L’hypothèse la plus probable semblait être quelqu’un œuvrant à l’intérieur d’Horizon, ou du moins quelqu’un qui avait été dedans auparavant. C’était le seul moyen de modifier les implants, mais reste à savoir pourquoi faire ça. Dans quel but. Pour l’instant, il n’avait aucune piste.

— Une autre chose que nous avons trouvée est troublante, révéla le directeur.

— Quoi donc ?

— Nous avons trouvé dans son ordinateur de travail des vidéos, et un historique de recherche. Cet historique présente des points avec d’autres recherches qu’il a effectuées chez lui, sur l’église d’Eva.

— Il s’est converti ?

— Non, pas à notre connaissance.

— Comment vous pouvez avoir accès à ce genre d’informations, sans passer par nous ? s’offusqua Tomas.

— Vous avez encore beaucoup de choses à apprendre Anderson, lui expliqua d’une voix tentée de mystère Alexa. 

Aelxa se leva de son fauteuil. Visiblement pour elle, l’entretien était terminé, et elle n’avait rien besoin de plus. Tomas la regardait, un peu perdu. Tout cela dépassait de loin le petit inspecteur qu’il était. Mais il ne dit rien de plus et se contenta de suivre Alexa en silence comme un bleu qui suit un inspecteur. Il était tellement perdu dans ce monde qui était à mille lieues du sien. Il en était incroyablement mal à l’aise. Il n’espérait qu’une chose, sortir d’ici au plus vite.

Après avoir remercié le directeur qui était bien soulagé de les voir partir, ils sortirent de l’immeuble pour se rendre à la voiture de Tomas.

Tomas était parti chercher un café à emporter et poussa un soupir de soulagement en rentrant dans sa voiture. C’était son quatrième de la journée, encore un de plus. Il fouilla dans sa poche et sortit le reste de ses lunettes qu’il déposa sur le tableau de bord de sa voiture. Alexa était à côté de lui, profitant de ce moment de répit pour se relâcher. Son regard se posa sur les lunettes du jeune inspecteur, et une question commença à germer dans l’esprit de la jeune femme.


— Je peux vous poser une question ? 


Tomas arrêta de boire et se tourna vers Alexa. Il les plissa pour tenter, en vain, d’avoir une image nette de son interlocutrice. Pour ne rien arranger, la lumière blanche des néons de la voiture lui brûlait les yeux.


— Je vous écoute.

— Pourquoi ne vous faites-vous pas opérer de votre myopie ? 


Tomas baissa son regard sur la paire de lunettes qui se trouvait sur le tableau de bord. C’était de plus en plus dur de trouver un bon magasin pour faire ses montures. Avec la technologie, la plupart des gens se soignaient les yeux moyennant finance. Et les parents s’assuraient que leur enfant ne développe pas de problèmes en sélectionnant les bons gènes ou en les modifiant. Mais Tomas était un enfant naturel, pas de modification génétique pour lui. Il était affreusement normal.


— Ça coûte cher, répondit-il finalement, et puis… Je ne sais pas, je les aime bien.

— C’est beaucoup de contrainte quand même.

— Ouais, mais… 


Tomas soupira et plaqua son dos contre le dossier de son fauteuil. Il pencha sa tête en arrière et fixa le plafond de sa voiture.


— Tout est trop parfait, lâcha-t-il d’une petite voix. Tout le monde veut être parfait. Ni gros, ni maigre, ni chauve, ni bigleux. Avoir les yeux bleus, verts, les cheveux blonds, roux… Tout est possible. On pourrait être tous si différents, mais on préfère tous se ressembler. Je suis le seul à être né naturellement dans la brigade. Une exception parmi ce culte de la perfection. Et tout le monde me le rappelle…

— Et vous préférez garder ce qui fait de vous quelqu’un de différent ?

— Évidemment. Je n’ai pas envie d’être comme eux. Ils sont chiants. Et imbus d’eux-mêmes. Au moins, j’ai une originalité. 


Tomas regarda de nouveau Alexa, et lui adressa un grand sourire.


— Je sais, ça sonne idiot dit comme ça.

— Pas idiot. Mais c’est peut-être un peu naïf.

— Je ne m’attends pas à ce que vous me compreniez.

— Détrompez-vous, je comprends parfaitement. 


Tomas haussa un sourcil. Sa curiosité avait été piquée au vif par la petite remarque de la jeune femme qui buvait tranquillement son café.


— Que voulez-vous dire ?

— Tous les agents du S-REC sont des humains synthétiques. Nous sommes créées en cuve à partir du génome d’autre agent. Nous sommes le paroxysme de cette société. Des humains parfaits, qui peuvent vivre plus longtemps, être plus intelligents, plus fort, que le reste de l’humanité. Nous sommes un pur produit de la science et non plus de la nature. 


Elle baissa son regard et fixa le reste de café qu’elle faisait tourner doucement dans le fond de sa tasse, comme si le mouvement circulaire happait ses pensées.


—  Sauf moi. Malgré la science, je suis la seule agente à être imparfaite. La seule à être différente des autres. Je n’ai pas leur endurance. Mon corps me lâche à chaque effort trop intense, m’obligeant à suivre à traitement. Il m’arrive d’avoir des migraines, des vertiges… Bref, une parfaite imperfection.

— Ça n’a pas l’air de vous aller.

— Je ne suis pas totalement comme eux, mais je reste une humaine synthétique. Moi aussi, on me le rappelle. D’un côté comme de l’autre, je n’ai ma place nulle part.

— Hum. 


Tomas regarda à son tour son café. Étrangement, les mots d’Alexa trouvaient un écho en lui. Il la comprenait. Et il ne pensait pas un jour qu’une agente sur entrainé à tuer puisse le comprendre. Que le monde peut être étrange par moment.


— Pourtant vous vous en sortez bien, reprit-il, vous avez réussi à vous débrouiller comme une cheffe avec le directeur.

— Peut-être, mais il y a meilleur que moi, vous devriez voir ma mère. Lorsqu’elle arrive, toutes les grandes pontes du Conglomérat mouillent leurs pantalons. 

— Votre mère ?

— Génitrice serait plus correct, admit Alexa. Je suis issue de son ADN, et c’est elle qui m’a élevé et entraîné.

— C’est… étrange comme méthode.

— C’est une façon d’assurer une retraite pas trop mal, soupira la jeune femme. En plus, dans mon cas ma mère n’était pas si mal. Elle est râleuse mais bon… J’imagine que je suis comme elle. Sauf pour le Conglomérat. Je pense qu’ils pleurent en la voyant.


Tomas lâcha un rire amusé en imaginant la situation. Il donnerait cher pour voir ça. Son rire ne résista pas à longtemps lorsqu’il repensa à la discussion avec le directeur.


— Je n’imaginais pas que le Conglomérat pouvait avoir accès à autant d’informations… C’est flippant.

— Vous ne saviez vraiment pas ?

— Non…

— Vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Il va falloir vous accrocher, Anderson. À être trop idéaliste, vous allez être détruit par ce monde.

— J’aime mes idéaux, c’est ce qui me différencie. Comme mes lunettes. Je ne veux pas changer. 


Un large sourire se dessina sur son visage fatigué lorsqu’il regarda Alexa. Il but la dernière gorgée de son café puis il posa sa tasse de café vide à côté de lui.


— On est les imperfections au milieu de la perfection, et c’est pour ça qu’on nous remarque Parker. Et moi ça va, comme ça, ils seront aux premières loges quand on réussira cette enquête. Parce qu’on va la réussir. 


Alexa eut un court et bref rictus sur le visage, mais elle reprit bien vite son masque froid.

Aucune émotion. Jamais. En toute circonstance.

Elle secoua doucement sa tête pour se remettre les idées en place.


— Pour l’instant, on a du boulot, alors restez concentré. Demain, on se rendra au bordel qu’a mentionné Lafarge. Je vais m’assurer qu’il nous envoie tout ce qu’il a.

— Oui m’dame. Je vous dépose chez vous ? Je dois repasser au bureau pour mes lunettes. 


Alexa hocha doucement de la tête alors que Tomas paramétrait la conduite automatique de la voiture. La journée de demain s’annonçait bien remplie pour eux, et Tomas espérait pouvoir avoir un peu de repos ce soir.



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