Chapitre 5 — En voiture (1)

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L’esprit embué, je ne parvenais pas à me réveiller. Plongé entre rêve et réalité, je ne savais pas si ce que je vivais était réel. Ni avant d'entrer chez mon grand-père, ni après. Tout se mélangeait. Comment aurais-je pu ou dû juger un événement aussi étrange ? Je préférais considérer cela comme une farce de la réalité. Un délire fantasmé, inopiné et, je l'espérais, passager.

Allongé confortablement, je ressassais cette idée. Cependant, plongé dans cette époque, les souvenirs refaisaient surface avec précision. Comme s'ils reprenaient vie. Mon existence ordinaire de trentenaire s'effaçait lentement de mes préoccupations. Ma femme, l'enfant qu'elle portait, les avais-je réellement abandonnés pour revenir vivre vingt-deux ans plus tôt ?

Bien qu'endormi, des bruits légers perturbaient mon sommeil.

De toute évidence, j'avais quitté la demeure de mon pépé. Les odeurs et l’atmosphère avaient changé. Ça empestait le moisi et la cigarette. Et des traits de lumière balayaient lentement la brume de mon esprit. Néanmoins, je ne me réveillais toujours pas.

Au loin, j’entendais la voix d’Archie. Il débitait des phrases à longueur de temps. Il parlait à n’en plus finir. Je ne comprenais rien. Comme un film dont on aurait baissé le volume à un niveau à peine perceptible. Quelques mots s’imposaient parfois, me forçant à les entendre, car prononcés plus haut que les autres, mais ils ne me ramenaient pas complètement à moi pour autant.

Un autre bruit résonnait doucement. Un ronronnement continu, semblable au vrombissement d’un moteur. Celui de la Citroën, je le reconnaissais entre mille.

Qui pourrait conduire mon taxi en présence d’Archie ? m'étonnai-je.

Je perdais les pédales ces derniers temps. J’avais besoin de repos. Surmené par le travail et par mes doutes en tant que futur père, j'avais fini par mélanger rêve et réalité. Je vagabondais quelque part entre les deux.

La preuve : Archie, le monstre le plus laid qui soit, était réapparu dans ma vie. Il m'avait hanté jours et nuits pendant de longs mois, à une certaine époque. Il jacassait sans cesse. Ses anecdotes sans intérêt encombraient mon quotidien.

J'étais pourtant persuadé dur comme fer qu'Archie n'existait pas. Après tout, personne d'autre que moi ne pouvait le voir. Il apparaissait et disparaissait tout le temps. Peu présent pendant des années, il avait fini par se réintroduire dans mon environnement sans crier gare. Comme par magie. Chaque matin, lorsque j'ouvrais les yeux, je priais pour ne plus jamais le revoir.

Certains enfants ont parfois un ami imaginaire, mais ils se rendent compte de leur irréalité en grandissant. Moi, par contre, pourquoi voyais-je encore Archie ? J'étais pourtant persuadé de l'imposture qu'il repré-sentait. De son intangibilité auprès d'autrui à sa morphologie improbable, rien ne laissait supposer le contraire.

Je ne me souvenais plus du moment où je l'avais rencontré. Ce dont je me rappelais, c'était que ce jour avait été frappé d'une tristesse particulièrement forte. La vie avait stoppé son cours un instant, le temps pour moi de verser des larmes longtemps retenues. Quelque chose s'était brisé. Une parcelle de moi s’était dissipée, éloignée.

Et Archie était apparu. Il avait plus ou moins réussi à me remonter le moral. Chose ô combien délicate, tant la douleur m'assaillait. Chose d'autant plus impossible que je me doutais qu'Archie ne pouvait pas exister vraiment. Selon moi, mon imagination me jouait des tours pas très malins. Ma jeunesse d'esprit ne m'empêchait pas de garder la tête sur les épaules.

Je ne croyais plus aux monstres invisibles depuis longtemps.

Pourtant, cette grosse boule verte et purulente avait réussi à capter mon attention. À me remettre d'aplomb.

Par la suite, il m'avait accompagné durant plusieurs années, ponctuant ses apparitions, avant de se volatiliser.

Je me demandais pourquoi je le voyais à nouveau.

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