4. L'Italien

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Le jeune garçon revint à lui brusquement. Il redressa doucement son buste. Il se trouvait exactement là où il avait perdu connaissance. Cependant, il ne restait personne dans le gymnase, en dehors du drôle de personnage qui lui faisait face. Il s’agissait d’un homme à peine plus grand que lui, dont l’état physique devait se situer quelque part entre le surpoids et l’obésité. Il portait un costume brun et une cravate verte éclatante. De courts cheveux grisonnants et frisés lui couvraient la tête. Il exhibait une fine moustache, et taillait un petit timbre triangulaire sur le menton, qui équilibraient ensemble son visage rond, joufflu, le rendaient plus harmonieux. Il arborait un discret sourire avec sa petite bouche.

Bongiourno giovane, salua-t-il de sa voix profonde et chaleureuse.

— Quoi… ? marmonna Tom, béat.

Attends, donc là je tombe dans les pommes, je me réveille, tout le monde a disparu et il y a un gros avec une tête bizarre qui me parle italien, c’est bien ça qui est en train de se passer ?

Amusé, comme s’il avait pu lire ses pensées, ce bonhomme bien portant entreprit de s’asseoir par terre, péniblement, ajoutant avec son accent mélodieux :

— Ça veut dire bonjour. J’espérais que tu parles un peu italien, mon français n’est pas très bon, dit-il avec un petit rire.

Assis à sa hauteur, la première chose qui sautait aux yeux, c’était justement les siens ; ses iris étaient d’un vert clair, étincelant, surnaturel. Comme assortis à la cravate, tout compte fait. Gêné par son regard si perturbant, Tom le soutint tout de même un instant et rit nerveusement, par politesse aussi bien qu’à défaut d’avoir quoi que ce soit à ajouter.

« Tu dois sûrement avoir un… Come si dice… Une farandole de questions en tête. Mon nom est Dante Oudini. Comme Harry Houdini, mais sans “h”.

Son ton, jusque-là léger, se fit plus grave, presque dramatique.

« Écoute, ce que je vais te révéler maintenant va sans doute te sembler impensable mais… Ce qui vient de t’arriver… Ce sont tes pouvoirs de sorcier qui ont agissaient.

— C’est ont agi ou agissaient, pas les d… Attendez ! Quoi ?

— Tu t’appliques à corriger mon français, même dans un instant pareil ? gloussa Mr Oudini. Comme tu es méthodique. Un jeune homme bien rationnel, à ce que je vois.

La stupéfaction du garçon laissa place à l’incrédulité et à une pointe d’irritation.

— Trop rationnel ni assez stupide pour vous prendre au sérieux, ça c’est sûr. Où est passé tout le monde ? Pourquoi le match s’est arrêté ? J’ai marqué ? On a gagné ? Est-ce qu’on v…

En plein milieu de sa phrase, celle-ci fut étouffée, comme si sa bouche était entièrement couverte. Surpris, il interrogea l’italien du regard, sans obtenir autre chose que son air joueur. Il chercha à toucher sa bouche, sans succès.

Puisqu’elle avait tout simplement disparue.

Il sauta sur ses pieds, en émettant ce qui aurait dû être un hurlement. Il tâtait frénétiquement là où la peau avait remplacé ses lèvres, affolé.

— Doucement, on va t’entendre, le réprima calmement son interlocuteur. Je t’ai jeté un sort d’illusion, tu cries très fort, en réalité.

Il fit un petit geste de la main, et Tom se retrouva à geindre haut et fort, les doigts fourrés pêle-mêle dans sa propre bouche. Il les retira prestement, choqué.

— Mais qu’est-ce que vous m’avez fait ?!

— Je viens de te le dire, répondit-il platement, en tendant la main. Aide-moi à me relever s’il te plaît.

Effrayé, affolé, Tom fit un pas en arrière. Il suait visiblement, son cœur tambourinait à toute vitesse dans sa poitrine.

Ça doit être encore un de ces rêves super réalistes. Ça peut pas être autre chose. Ça se peut pas, ça se peut pas, ça se peut pas…

« Bon, soupira l’épais bonhomme en costume en laissant tomber son bras, je peux t’expliquer tout ça assis, c’est pas grave. J’ai ton attention ?

Tom inspira un grand coup. Son cœur ralentissait. Il rêvait encore, voilà tout.

— Allez-y.

— Bien. Jusqu’ici, tu vivais persuadé que tu n’avais aucun pouvoir magique, et même que la magie n’existait pas, n’est-ce pas ?

Tom acquiesça.

« Et bien sache que c’est parce que les sorciers, comme moi, vivent cachés des moldus.

— Des quoi ?

— Des moldus, des gens sans magie, ceux que tu côtoies régulièrement. C’est parce que nos lois sont très strictes à ce sujet que tu n’as probablement jamais vu de sortilège de ta vie. Aucun moldu ne doit jamais être témoin de sorcellerie, jamais. Mais tu as sans doute constaté que des choses étranges se produisaient autour de toi, pas vrai ? Comme une cheville qui guérit subitement ?

Ces derniers mots eurent l’effet d’un coup de marteau derrière la tête. L’hypothèse que toute cette scène soit réelle émergeait doucement dans l’esprit de Tom.

« Bref, j’ai pas à faire plus d’efforts pour te persuader, je viens de te faire croire que ta bouche s’était volatilisée, après tout. À moins que ça ne soit pas suffisant ? Il faut peut-être que je fasse apparaître un éléphant, ou que je te change en agrafeuse ?

— Ça ira, merci, fit platement le garçon, comme absent.

— Excuse-moi, dit-il, espiègle. J’imagine que ça doit être un choc assez violent, pour toi. Je n’aurais pas dû m’en moquer. Mais ça me fait toujours mourir de rire de voir quelqu’un chercher sa bouche.

Un court silence s’installa, le temps que Tom reprenne ses esprits. Il le rompit, livide.

— Comment vous saviez, pour ma cheville ?

— Et bien… Je suis un sorcier, je vois tout, je sais tout.

Il marqua une pause avant d’éclater de rire.

« Tu verrais ta tête ! Non, en vérité, je suis en contact avec ton coach depuis longtemps. Il a pour impératif de m’informer de tout événement te concernant. J’avoue que nous avons dû utiliser quelques…

Il chercha un instant ses mots.

« Quelques impostures, pour garder un œil sur toi.

— Nous ? Sur moi ? Vous êtes combien à m’observer comme ça ? Et pourquoi vous faites ça ? s’écria Tom, qui perdait à nouveau son calme.

Il était à deux doigts de prendre ses jambes à son cou. Il était surveillé ? Qui sait ce que cet inconnu lui voulait.

— Ne t’affole pas, mon garçon. Il s’agissait de nous assurer que tout se passait bien pour toi et ton entourage. Les jeunes sorciers qui s’ignorent peuvent parfois susciter la terreur chez les moldus qui les entourent, en usant de magie par erreur. Surtout les plus hauts potentiels, comme toi. Vous représentez même un risque, pour vos familles et amis. Je me suis fait passer pour le recruteur d’un centre de formation de handball italien auprès de ton coach. Mme Blanche, ta professeur principale et d’histoire, est aussi en réalité une sorcière. Elle s’occupe de savoir ce que tu fais en classe, et moi, en dehors. Enfin en ce qui la concerne, elle est une véritable experte dans son domaine, histoire de la magie et histoire moldue confondue. Ma couverture est bien ridicule, par rapport à la sienne. Mais ne nous égarons pas ! Exceptés elle et moi, une poignée de sorciers reste aux aguets pour intervenir rapidement au cas où tu ferais usage de tes dons face à des moldus. C’est en fait ce qui vient de se passer.

Mme Blanche ? Elle représentait si bien le cliché de la professeur sévère et exigeante que Tom était loin de la suspecter d’être autre chose que cela. Non seulement lui-même était un sorcier, mais elle aussi en était une, infiltrée dans son collège, dans le but d’épier tous ses faits et gestes ? Tout ceci restait assez difficile à avaler. Et pourtant...

— Alors… J’ai vraiment fait exploser un ballon de handball ? C’était moi ?

— Évidemment, quelle question ! s’esclaffa Oudini comme si rien n’était plus naturel. N’as-tu pas souhaité, au plus profond de toi, tirer aussi fort que tu le pouvais ? Les émotions intenses, les dangers mortels, les résolutions les plus fortes, un désir fou et spontané de voir l’univers se plier à sa volonté, voilà ce qui éveille la magie. Chez les non-initiés, c’est le seul moyen de faire appel à elle.

Effectivement, chacun des heureux hasards qu’expérimentaient le collégien était précédé de fortes colères, peurs, ou de prières au destin. Et ce dernier semblait écouter, quand elles étaient vraiment désespérées, et seulement là. Les innombrables coups de chance, toutes les fois où il avait fait preuve d’une force ou d’une adresse hors du commun, où des objets avaient disparu ou apparu, ou bien s’étaient cassés sans qu’il n’ait jamais rien fait… Tous ces mystères, qu’il avait niés jusqu’à aujourd’hui, avaient maintenant une réponse. Il sentit un frisson le parcourir.

Il se sentait mieux, mais un autre point le tracassait encore.

— Que voulez-vous dire, quand vous parlez d’intervenir dans le cas où mes pouvoirs se manifesteraient ? Qu’est-il arrivé au public ? Et aux joueurs ?

— L’auror - ou l’agent si tu préfères - qui te surveillait de loin a entendu l’explosion puis est entré dans le gymnase. En cas de témoignage moldu d’un acte magique, la procédure est de remplacer les souvenirs de l’événement par d’autres.

— Quoi ? C’est possible ça ?

— Bien sûr. Enfin, effacer la mémoire d’une foule, même réduite, est difficile pour un seul sorcier. C’est pour ça qu’on m’a appelé à l’aide. Pour toutes les personnes présentes dans la salle, tu t’es effondré par terre alors que tu dribblais. Le match a été arrêté, le temps que tu te remettes de ton petit malaise. Un petit malaise vagal de rien du tout. Ce qui n’est pas si loin de la vérité, si on omet que c’est ta magie qui l’a provoqué.

— Et alors, pour le match ? Comment est-ce que vous avez fait ? s’exclama-t-il, anxieux.

Son interlocuteur se gaussa de nouveau.

— Et bien, tu ne perds pas le nord, tu viens de découvrir un monde caché aux yeux de tous, mais tu restes bloqué sur ton… Vulgaire jeu de baballe ? Le match a été arrêté prématurément après ton grand final. Mais bizarrement, le public entier pourrait jurer que les quelques secondes restantes ont bien été jouées, et que ton équipe menait d’un point, à la toute fin... affirma son chaperon avec un clin d’œil.

Le joueur se renfrogna malgré lui. Il aurait voulu prétendre être reconnaissant envers Mr Oudini pour son geste, mais dans le fond, une telle victoire était injuste. Elle n’avait pas de valeur à ses yeux. D’autant plus que l’italien aurait pu procéder différemment. N’aurait-il pas pu convaincre tout le monde par magie que la rencontre était reportée à cause d’un quelconque accident ? Tom aurait pu alors gagner pour de vrai, s’approprier le succès par talent, et non par un indigne tour de passe-passe magique. Sa mine déçue n’échappa guère au mage.

« J’espérais qu’une solution simple qui te sois favorable te convienne. Ton honnêteté t’honore, jeune homme. Malheureusement, revenir en arrière maintenant serait…

— Fastidieux ?

— Oui, c’est bien le mot que je cherchais. Parler français m’épuise, tu n’as pas idée… Donc, si tu n’as pas d’autres questions, je vais te laisser.

— Si, il y a encore une chose. Si mes pouvoirs sont dangereux pour les autres, alors... Qu’est-ce que je peux faire pour apprendre à les maîtriser ?

Sa demande fut reçue avec ce petit sourire malicieux caractéristique d’Oudini, qui semblait masquer mille-et-unes énigmes.

— Si j’étais toi, je jetterai un œil à ma boîte aux lettres dans les jours qui viennent. Tu pourrais y trouver une réponse. Sur ce, j’ai à faire. Ravi de t’avoir rencontré. Arrivederci !

Sitôt eut-il prononcé son dernier mot qu’il se volatilisa brutalement, sans émettre le moindre bruit ni laisser la moindre trace, laissant Tom seul dans l’immense salle déserte, comme si cet homme pourtant si massif n’avait jamais été assis là.

C’est de l’italien, ou une formule magique pour disparaître… ?

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