6. L'Académie

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Tom posa son arrière-train sur la table face au bureau de Mme Blanche. L'incident avait visiblement perturbé la routine de préparation de cette dernière et lui faisait prendre du retard, ce qui l'agaçait un peu.

— Allez-y, nous n'avons pas toute la journée.

— Excusez-moi. C'est juste que... Je ne sais pas trop par où commencer…

La rigoureuse professeure plongea dans ses fiches. Apparemment elle ne comptait pas vraiment s'impliquer dans la discussion plus que cela.

— Allez à l'essentiel.

La violence de la réplique le troubla un peu.

— Je suis un sorcier, pas vrai ?

— Des cordes vocales de moldu ne provoquent pas de surdité. Enfin je suppose. Donc oui, il s'agit de magie. D'ailleurs je vous saurai gré de ne plus en faire usage avec autant d'indiscrétion. S'il ne s'agissait pas de ces deux énergumènes j'aurai également pu vous suspecter d'avoir provoqué tout ce cirque. Vous vous en tirez à bon compte.

Elle griffonnait frénétiquement ses notes, comme pour extérioriser une certaine irritation. Irritation qui s'avérait contagieuse.

— Je sais pas comment contrôler ça, gronda-t-il.

— Vous apprendrez bientôt, affirma-t-elle nonchalamment sans se détourner de son travail.

— Quand ? s'écria le jeune homme, impatient.

Mme Blanche sursauta et daigna lever de grands yeux ronds vers son élève, qui aurait été rouge de colère si sa peau eut été claire. Tom sentait sa gorge et ses poings se serrer, son visage se crisper, et sa lèvre enflée le martyriser. Il y avait quelque chose qui lui échappait encore dans toute cette histoire, quelque chose qu'on lui cachait. Il en était persuadé. Malgré son exaspération, il ressentit une pointe de satisfaction en faisant sortir la dame à lunettes de sa suffisance détachée. Après un très court laps de temps elle reprit son air cavalier et s'éclaircit brièvement la gorge.

Elle sortit sa baguette en un éclair et la pointa vers la porte, dont on entendit le verrou cliqueter. Elle se contorsionna vers le tableau et agita encore la pièce de bois avec application pendant au moins une bonne vingtaine de secondes. Le jeune garçon assista alors avec étonnement au spectacle des quatre feutres qui se mirent à léviter. Leurs bouchons se retirèrent simultanément, avec ce petit pop si caractéristique, puis se posèrent sur le porte-marqueur. Les feutres, quant à eux, occupaient chacun un coin du tableau et glissaient mécaniquement, copiant les fiches de la sorcière.

La professeure claqua des doigts pour ramener l'enfant émerveillé à la réalité.

— C'est ici que ça se passe.

Elle hésita un instant à parler. Elle réfléchissait, mains jointes devant la bouche. Tom la fixait, suspendu à ses lèvres. Elle prit enfin une grande inspiration avant de se lancer :

— Je ne suis pas censée vous révéler tout cela tant que vous n'êtes pas officiellement reconnu comme un sorcier, mais vos pouvoirs se sont manifestés avec tant de virulence ces derniers temps que cela ne saurait tarder, on peut en être sûr. Il existe une école, Mr Asham, qui regroupe bon nombre de jeunes sorciers comme vous.

— Une école de magie ? s'étonna le garçon, béat.

— Oui, vous la rejoindrez sans doute très bientôt.

Pour la première fois, il vit Mme Blanche se fendre d'un sourire franc, jovial. Son regard se perdit au loin.

« Cette académie est un véritable joyau de la sorcellerie, le plus grand établissement magique de tous les temps. Elle a formé à travers les siècles des centaines de milliers, que dis-je ! Des millions de sorciers ! Et tant d'eux ont marqué l'histoire de ce monde qu'il nous faudrait des jours pour tous les citer !

Sa voix si sèche, d'ordinaire, était devenu mielleuse, chantante, passionnée. Elle agitait les bras avec un enthousiasme si excessif qu'il clouait son élève sur place. Il n'avait plus affaire à l'intraitable, l'acariâtre Mme Blanche qu'il avait toujours connue, mais à une petite fille qui parlait avec un grand soleil dans le cœur de son parc d'attractions préféré. Tom en était tout attendri, il hochait la tête en ne suivant le flot ininterrompu de louanges qu'à moitié.

« ... Mais cette école, Tom, cette école, si vous pouviez la voir ! Elle est…

Rayonnante, les bras grand ouverts, elle laissa sa phrase en suspens. Elle se mit à rire, un rire très doux qu'aucun élève n'avait probablement encore jamais eu l'occasion d'entendre dans l'histoire de ce collège.

« Je ne sais que dire, il faut la voir pour le croire !

Elle poussa un soupir de contentement en se laissant tomber sur le dossier de sa chaise. Alors qu'elle allait reprendre sa tirade, la sonnerie marquant la fin de la récréation retentit. Elle changea de nouveau la fillette en professeure.

« Mince ! Je n'avais pas vu le temps passer ! Installez-vous à votre place, allez.

Elle fronçait de nouveau les sourcils, bouche pincée, alors Tom s'exécuta, bien qu'il ait mille questions à poser au sujet de cette grandiose école de sorciers. Il prendrait son mal en patience.

La femme à lunettes carrées sortit sa baguette pour neutraliser les feutres qui n'avaient pas achevé leur œuvre, puis déverrouiller la porte d'entrée de la salle de classe. Elle la dissimula, puis se leva pour ouvrir elle-même aux élèves qui attendaient dehors. La suite se déroula comme tous les autres cours d'histoire de collège que l'on connaît. Mais une foule de questions se bousculaient dans l'esprit du jeune garçon. Il n'attendait qu'une autre sonnerie pour pouvoir toutes les formuler. Où se trouvait cette école ? À quel point était-elle grande ? Y avait-il une sorte d'internat ? Qu'enseignait-on là-bas ?

Quand l'heure arriva cependant, la joyeuse petite fille ne refit pas surface pour l'éclairer. Mme Blanche estimait déjà en avoir trop dit. Il ne partageait pas du tout cet avis, mais force était de reconnaître qu'il était encore supposé ignorer l'existence d'un tel établissement. Tant pis, il attendrait encore un peu.

Ce soir-là, le jeune sorcier parcourut le trajet du retour depuis l’école distraitement. Il ne savait pas s’il était prêt à quitter son collège pour un autre qui soit si… Spécial. D’un côté, développer ses dons magiques semblait nécessaire pour la sécurité de son entourage. Et cela, en plus d’être vraiment stylé. Mais rejoindre l’académie Beauxbâtons, tout aussi fantastique qu’elle puisse être, représentait un bond en terre inconnue. Était-ce une bonne chose de tourner le dos à tous ses camarades ? Il ne regretterait certainement pas Max, Paul, et une bonne partie de sa classe, qui se moquaient de plus en plus souvent de lui. Mais les quitter signifierait aussi probablement laisser derrière lui son club de handball et son seul ami réellement digne de confiance, Quentin. Deux sacrifices qu’il n’était pas sûr de vouloir faire.

Il fut tiré de sa réflexion en arrivant devant le hall de son immeuble, par un hululement venu d’en haut, perdu au milieu des bruits de la ville. Il vit alors à son étage ce qui ressemblait de loin à un petit hibou brun, posté sur le bord de la fenêtre de sa cuisine. Comme si l’image n’était pas déjà assez insolite, deux enveloppes étaient suspendues à la patte de l’animal par un court fil.

Aussitôt l’oiseau eût-il repéré le jeune homme qu’il quitta son perchoir et fondit droit sur lui. Effrayé, Tom bondit en arrière avec un petit cri de surprise. Le hibou tenta de se poser sur lui, mais il le chassa avec de grands gestes. Alors la boule de plumes se résigna à contrecœur à se poser sur le bitume. Immobile, ne sachant trop que penser, le garçon le fixait, ahuri. La créature, elle, n’avait pas l’air de s’affoler le moins du monde. Ses grands yeux ne le quittaient pas une seconde. Il sautilla maladroitement au sol, laissant le courrier qu’il portait traîner derrière lui. Il se posa là, face à Tom, et poussa un petit cri qui sonnait comme une demande.

L’éventualité que les lettres lui soient destinées frappa alors le collégien de plein fouet. Il leva timidement le bras et l’oiseau ne se fit pas prier pour décoller et se poser immédiatement sur son poignet, non sans le griffer un peu au passage, ce qui lui arracha une grimace.

— Salut, petit hibou… T’as quelque chose pour moi c’est ça ?

Que ce soit pour lui répondre ou qu’il soit content de retrouver un perchoir convenable, la bête à plumes lâcha un cri satisfait.

Le garçon ne tenait pas vraiment à ce qu’un passant remarque l’étrange scène, alors il entra d’abord dans le hall de l’immeuble, puis, avec son bras libre, dénoua tant bien que mal les solides liens qui détenaient le courrier. Le hibou attendit patiemment la fin de l’opération, sans bruit. Quand il fut débarrassé, Tom le laissa sortir et il s’envola au loin.

Il prit alors une seconde pour inspecter les enveloppes. Seul son nom et son adresse figuraient sur chacune des deux, le tout écrit à la plume. Pour plonger encore plus loin dans l’incongru, elles étaient scellées à la cire. On pouvait voir sur le premier sceau deux baguettes croisées, projetant à leurs extrémités trois petites étoiles chacune. Sur le deuxième, plus sobre, juste des initiales : « D.O. » Il se dépêcha de rentrer chez lui pour enfin découvrir ce que cachaient ces sceaux moyenâgeux.

Il embrassa sa mère en rentrant et s’installa sur le canapé avec empressement. Elle haussa un sourcil.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Son fils répondit d’un air détaché alors qu’il déchirait la première enveloppe :

— Je sais pas...

Elle vint s’asseoir près de lui, curieuse. Il déplia la lettre. La première chose qu’il vit fut cette grande enluminure, un blason au fond bleu décoré de gracieuses arabesques blanches, qui arborait deux baguettes magiques dorées se croisant, accompagnées de leurs étoiles exactement comme sur le sceau. Juste au-dessus, bien centré, en lettres capitales d’or calligraphiées avec soin, était inscrit : « ACADÉMIE DE SORCELLERIE BEAUXBÂTONS ».

Si l’idée lui avait vaguement traversé l’esprit en découvrant le sceau, il n’avait pas osé y croire immédiatement. Il se mit à lire à toute vitesse, plein d’excitation.

Cher Monsieur Asham,

En ma qualité de directrice de la très prestigieuse Académie de Sorcellerie Beauxbâtons, j’ai l’honneur et le plaisir de vous annoncer solennellement votre admission au sein de l’Académie.

En effet, jusqu’ici vos capacités magiques n’étaient qu’hypothétiques, cependant les récentes manifestations de vos pouvoirs ont enfin permis de confirmer officiellement votre statut d’apprenti sorcier d’origine moldue.

Les sorciers sont d’ordinaires détectés avant leur onze ans, âge auquel ils intègrent l’Académie. Dans votre cas, deux ans trop tard, vous allez devoir suivre un cursus accéléré pour combler ce retard et acquérir les bases des programmes de première, deuxième et troisième année en un an. Vous bénéficierez pour cela du privilège de cours particuliers qui s’ajouteront aux cours classiques de votre classe. Bien que laborieux, ces cours du soir se sont avérés efficaces et peu contraignants pour la majeure partie des étudiants les ayant suivis. Nous espérons donc qu’ils vous conviendront également.

À titre exceptionnel, afin que vous rejoigniez l’Académie dans les meilleures conditions en cours d’année, monsieur Dante Oudini, Professeur d’Illusion Avancée et Tuteur Principal des nouveaux élèves, s’occupera de vous accompagner dans toutes vos préparations en vue de votre rentrée à l’Académie. Sa lettre, ci-joint, fait office de convocation. Pour toute question au sujet de votre intégration, n’hésitez pas à vous adresser à lui.

Avec mes plus sincères félicitations,

Mme Olympe Maxime, Directrice de l’Académie de Sorcellerie Beauxbâtons.

À peine eut-il terminé que sa mère lui arracha la lettre des mains. Lui ne savait trop comment réagir. Il semblerait qu’il ait enfin sa place parmi les sorciers, mais dans des conditions difficiles. Deux ans de retard, c’était 365 jours fois deux, 730. Effroyablement long. Et il était censé apprendre l’équivalent de ces 730 jours d’études avec seulement une heure ou deux par soir… ? C’était simplement invraisemblable… À moins que l’apprentissage de la magie ne soit pas aussi difficile que les cours moldus ? Et puis c’était 730 sans compter les périodes de vacances, les jours fériés, les…

— À quoi tu penses ? glissa Aurélie tout en lisant.

— Ça fait combien d’heures de cours, deux ans ?

Elle éclata de rire.

— Je ne sais pas chéri, mais tu as lu comme moi, ça marche pour les autres. Tu es bon élève, je suis sûre que tu y arriveras.

— Alors tu penses que je devrais y aller ?

— Je sais pas… Qu’est-ce que tu en dis, toi ?

La question demeura sans réponse plus précise qu’un soupir. L’enfant était à la fois heureux et inquiet. Il restait encore la lettre d’Oudini, peut-être l’aiderait-elle à se décider ? Il l’ouvrit. Contrairement à la précédente missive, pompeusement décorée, celle-ci n’était ni plus ni moins qu’un vulgaire bloc de texte à peine lisible.

Salut petit gars, j’espère que tu te portes bien et que tu n’as assourdi personne aujourd’hui haha ! Si le hibou fait bien son job, tu devrais avoir cette lettre accompagnée de celle d’admission à Beauxbâtons. Je sais que la perspective de quitter ton petit collège pour la plus grande école de magie d’Europe est assez intimidante, mais si tu refusais tu manquerais la plus fantastique aventure de ta vie, je pèse mes mots. Et bien sûr la seule autre option serait d’apprendre la magie par correspondance, mais… Ça craint, c’est chiant à mourir. D’autant que tes aptitudes sont déjà impressionnantes, tu as la possibilité de devenir un puissant sorcier avec les bons professeurs (et je fais bien sûr référence à moi). Bref, trêve de bavardages, nous nous retrouverons le 9 Novembre, à midi pile sur le vieux port et nous nous quitterons à 18h au même endroit (si nos affaires ne seront pas trop chronophages). Je ne peux te dévoiler ni notre destination, ni ce que nous y ferons, au cas où des yeux moldus se posaient sur cette lettre. Et même si c’était autorisé je ne le ferais pas, ce serait gâcher de belles surprises. Passe une bonne soirée, à demain.

Tonton Oudini

Tom fronça les sourcils.

Ce gars est vraiment un prof ... ?

— Tu sais, Dante m’a déjà beaucoup parlé de ce qui t’attend là-bas et je dois dire que si je ne suis pas convaincue que ce soit le mieux pour toi, je sais que tu es entre de bonnes mains avec lui et que tu auras tout ce qu’il te faut dans cette école. J’ai confiance.

— Il t’as parlé de l’école ? s’étrangla le fils.

Maintenant qu’il y pensait, elle devait lui avoir donné les clés de la boîte aux lettres pour qu’il trouve les lettres lui-même, elle savait ce qui allait arriver. Que savait-elle de plus ?

« Et pourquoi tu m’as rien dit ?

— Je pensais qu’il t’en avait parlé, désolée… Là-bas tous les élèves restent sur place en période de cours, les dortoirs et le réfectoire sont gratuits. Les uniformes aussi.

— Parce qu’il y a des uniformes ?

— Oui mais je sais pas à quoi ils ressemblent… Bref tu seras nourri et logé chéri, tu trouveras pleins d’autres enfants comme toi, ce sera super.

Quelque chose sonnait faux dans sa voix, ses yeux étaient humides. Ça n’avait pas échappé à son garçon.

— Mais je te laisserais toute seule si j’y allais ?

— Oui mais tu pourras revenir pour les vacances...

— Je veux pas te laisser, répliqua Tom en prenant sa main.

Elle essuya ses larmes avec l’autre, et prit un ton plus décidé.

— Merci mon cœur, mais au final je crois que tu ferais vraiment mieux d’y aller. Tu as un vrai don, comme l’a dit Mr Oudini. Ce serait dommage de ne pas l’explorer. Ça me fait mal de te voir partir, mais c’est comme ça que ça doit se passer. Tu y arriveras et tu me rendras fière, je le sais. Alors fonce, et on se reverra pour les vacances de Noël.

Un sourire vint éclairer son visage.

« Tu sais quoi ? Je peux me débrouiller pour qu’on nous rembourse la licence du hand, et puisque tu mangeras gratuitement là-bas, je pourrai économiser un peu. On pourra peut-être se faire des vacances au ski, ça te va ?

— Bah maintenant je crois que j’ai plus le choix, se réjouit Tom en lui rendant son sourire.

La mère et son fils s’enlacèrent.

« Alors c’est quand le neuf, maman ? J’ai rendez-vous.

— On est le huit, c’est demain.

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