7. Boulevard

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Tom pédalait de bon cœur, déboulant dans les rues à vive allure. Porté par son enthousiasme, il arriva sur le port avec un peu d'avance. Il s'arrêta sur la place qui donnait sur les quais. Elle qui voyait un flot ininterrompu de gens l'inonder en période estivale était aujourd'hui plutôt tranquille. Et pour cause, pas de vacanciers en Novembre, ni de soleil. Le ciel était grisâtre, pas une mouette en vue. Les bateaux amarrés là oscillaient doucement, bercés par les vagues.

Le jeune sorcier attendait, observant les quelques passants pour trouver son guide. Le « Tuteur Principal des nouveaux élèves » et « Professeur d'illusion avancée » était en passe de gagner un nouveau titre ; « Grand Maître Retardataire En Chef ». Il réfléchissait à la manière d'y ajouter « Obèse Italien » quand une main se posa sur son épaule.

— Bouh ! Hahaha, je t'ai bien eu hein ?

Mr Oudini était là. Il s'était de toute évidence matérialisé dans son dos pour le surprendre, hilarant comme il était. Face à l'air impassible du garçon, il reprit :

« Non ? Bref. Comment tu vas petit ?

— Bien et vous ?

— Je me porte comme un charme, merci de demander.

— Alors qu'est-ce qu'on fait ici ?

— Suis-moi, il nous faut un endroit plus tranquille pour discuter. Ça grouille de moldus dans le coin.

Sur ces mots, il se mit à marcher d'un pas lourd. Le jeune sportif devait ralentir son allure pour rester à son niveau.

« Voilà ce que c'est, quand on abuse du transplanage, plus besoin de marcher et de se dépenser, on perd l'habitude... Parfois j'aurais souhaité ne jamais l'avoir appris.

— Le quoi ?

— Le transplanage. Disparaître d'un lieu pour se retrouver dans un autre, au choix.

Le garçon fit les yeux ronds.

— Heu… N'importe où ? Vraiment ?

— Non pas n'importe où malheureux ! s'exclama le bonhomme bien portant en riant comme s'il s'agissait de l'évidence même. Je ne peux pas aller à un endroit que je n'ai jamais visité. Pour transplaner tu dois pouvoir visualiser l'endroit où tu souhaites apparaître.

Le duo passa dans quelques rues, à une vitesse avoisinante celle d'un escargot asthmatique, jusqu'à ce que Tom ne puisse plus la supporter.

— Vous ne pourriez pas nous téléporter tous les deux là où on doit aller par hasard ?

Le professeur Oudini exhiba un sourire malicieux, puis s'épongea le front en cherchant d'éventuels témoins dans la ruelle qu'ils traversaient.

— Tu en es sûr ?

Son air joueur laissait entendre au novice qu'il pourrait le regretter. Tom regarda autour de lui à son tour.

— Et bien… Tant que c'est pas dangereux… Ce serait bien qu'on aille plus vite.

Quand il se retourna vers son interlocuteur, celui-ci n'était plus là. Il fit volte-face une fois, deux fois, en alerte.

— Bouh !

Alors que les mains du farceur s'abattaient fermement sur ses épaules, il perdit la sensation du sol sous ses pieds et se sentit entraîné par une force surhumaine. Il ne voyait plus rien, et il sentait une très désagréable pression sur son corps entier, si bien qu'il ne pouvait plus respirer. Heureusement, le phénomène prit fin après quelques secondes, le laissant toujours debout, hébété, à deux doigts d'une crise de panique, mais dans un endroit qui n'avait plus rien à voir avec la ruelle où ils se tenaient auparavant. Ils étaient tous deux plantés là, dans une cabine de toilettes en piteux état, à peine assez large pour contenir Mr Oudini et son embonpoint.

— Mais qu'est-ce qui s'est passé ? s'étrangla Tom.

— Moins fort, ricana le sorcier. Nous avons transplané, à quoi t'attendais-tu ?

— Tu parles d'une téléportation, c'est comme si on m'avait tiré de force dans un tuyau beaucoup trop petit, c'est insupportable... Et puis dans des toilettes... ? Sérieux ?

— Je n'allais pas nous faire apparaître sous les yeux des moldus, voyons. Cette cabine est hors service, verrouillée. Personne ne peut y rentrer, aucun témoin potentiel.

— Et comment on sort, du coup ?

Il se retint d'ajouter « Gros malin ». En guise de réponse, toujours armé de son sourire malicieux, le professeur brandit sa baguette et la braqua sur le verrou, qui émit un cliquetis net.

« Ah. C'est vrai. Question bête. Par contre, ça vous dérange d'apparaître par magie face aux gens, mais sortir d'une cabine hors-service avec un mineur ça va, c'est pas louche ?

Oudini pouffa de rire.

— Secret magique, c'est comme ça. De toute façon il n'y a personne, dépêchons-nous de sortir. Suis-moi.

Ils quittèrent sans tarder la cabine, puis les toilettes sales et mal éclairées. Ils se retrouvaient dans un large couloir aux murs d'un rouge très sombre, régulièrement tapissés de tableaux. Là encore, la lumière était plutôt faible. Les œuvres étaient chacune illuminées par leur propre néon, placé juste au-dessus. Ils étaient bien plus forts que les timides ampoules nues qui pendaient au plafond, presque inutiles.

— C'est une galerie d'art ? s'étonna Tom.

— Que veux-tu que ce soit d'autre ? railla son guide.

— Je sais pas, l'ambiance est bizarre.

— Je dirais plutôt... Feutrée. Cet endroit n'est pas vraiment là pour attirer du monde de toute manière.

— Une galerie où les gens ne sont pas censés venir, je comprends pas trop l'utilité.

— La galerie est un leurre pour les moldus. Un seul de ces tableaux nous intéresse vraiment. Tu verras quand on y sera.

Le sorcier novice aurait bien voulu en savoir plus, là, tout de suite, mais il sentait que le clown qui l'accompagnait se ferait une joie de le faire mariner. Il n'aurait pas de réponse, c'était sûr.

Ils marchèrent en silence un bon moment, en croisant parfois quelques rares visiteurs, vraisemblablement amateurs d'art. Avec ces innombrables tournants et intersections, la galerie évoquait plutôt une espèce de labyrinthe. Mr Oudini n'avançait pas bien vite, alors Tom prenait son mal en patience en jetant un œil aux tableaux. Le garçon ne s'intéressait pas vraiment à la peinture, d'ordinaire. Il n'aurait pu dire si les artistes exposés ici étaient reconnus comme des génies dont les travaux étaient de grande valeur ou s'il s'agissait de peintres moyens. Mais au jugé, selon lui, l'ensemble était assez admirable et suivait un même thème.

En effet, les scènes représentées étaient toutes assez sombres, on ne distinguait souvent pas la totalité des personnages et objets peints. Certaines étaient même assez abstraites, et forçaient à l'interprétation de formes indiscernables et pourtant très familières. Ce jeu d'ombres et de mystères faisait écho à l'ambiance des lieux, comme pour la justifier. Passé la première impression, Tom trouvait celle-ci moins troublante, il suffisait de s'y accoutumer et d'observer les tableaux pour mieux la comprendre et l'apprécier.

Alors qu'il avançait distraitement, perdu dans ses contemplations, il entendit dans son dos l'italien l'interpeller ;

— Pas si vite, mon jeune ami. Regarde à droite.

Le garçon se tourna, surpris. Par là débutait bien un très court couloir de quatre mètres tout au plus, plongé dans le noir. On pouvait à peine distinguer comme une corde de sécurité barrant l'accès au tableau exposé tout au fond de cet espace étroit. Il ressentit comme un frisson. Si on ne lui avait pas fait remarquer ce petit couloir à peine assez large pour deux, il ne l'aurait jamais fait seul. Qui plus est, le tout donnait l'impression de ne pas être fait pour être vu du tout. Tom se sentait un peu comme un voyeur.

« Le sortilège de dissimulation a bien fonctionné sur toi, on dirait, se moqua le sorcier. Il est pourtant basique, parfois même certains moldus repèrent le couloir malgré lui. Enfin le couloir lui-même est assez dissuasif pour que personne n'ose y mettre les pieds de toute façon.

Le bonhomme pataud arriva à sa hauteur, et s'engagea sans hésiter une seconde. Muet, Tom le suivit. Sur les murs, quatre vieux chandeliers supportant une seule bougie éteinte chacun étaient fixés. Mr Oudini se contenta de pincer la mèche d'une d'elles pour qu'elle s'allume, et toutes les autres avec, simultanément. L'enfant prit note qu'il n'était même plus impressionné, à force. Il avait vu trop de miracles pour s'arrêter sur chacun d'eux, à présent.

La lumière étonnamment vive des maigres bougies révéla la toile. Très petite, elle ne présentait qu'une bête forme de serrure noire, sur un fond gris, terne, décevant. Son cadre en bois sombre n'était pas plus intéressant. Le professeur détacha la corde de sécurité de son petit montant métallique, comme celles qu'on trouve dans les musées. Il invita du regard son élève à s'approcher de la peinture avec lui. Ce dernier jeta un coup d'œil nerveux derrière eux.

— Personne ne nous voit. Le sortilège de dissimulation, tu te souviens ? J'en ai parlé il y a bien dix secondes. Je sais, ça fait une éternité.

— Très drôle, grinça Tom.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit Oudini sans pour autant abandonner son air enjoué. Je te sens nerveux, d'un coup.

— C'est normal, non ? Je sais même pas où on va, ni ce qu'on est censé faire...

— Patience, tu ne seras pas déçu du voyage. Avance, je t'en prie.

L'apprenti sorcier obtempéra, non sans traîner les pieds. Son mentor referma derrière eux une fois qu'il fut passé, puis avança à portée du tableau. Là, il sortit sa baguette, et toucha délicatement la serrure peinte avec son extrémité. Il y eut comme un claquement, suivi du bruit d'une vague qui s'écrase sur la plage. Tom n'eut pas le temps de s'en étonner car la toile et son cadre se mirent à grandir, doucement mais sûrement, jusqu'à prendre la taille et les dimensions d'une porte, pendant que la serrure rétrécissait, jusqu'à disparaître. Il y eut un autre claquement, et le tout se figea.

Mr Oudini attrapa le côté du cadre et tira. Celui-ci se mit à pivoter en grinçant légèrement, comme si l'autre côté était gondé, à l'image d'une porte... Une porte magique, dont l'ouverture laissait voir une pièce de deux mètres carrés. Le sorcier s'y glissa, sourire aux lèvres. Il semblait ne pas se lasser de voir les yeux du garçon s'écarquiller. Si le coup des bougies n'était pas si spectaculaire selon ce dernier, la porte magique secrète était un peu plus inattendue. Il entra lui aussi, et remarqua l'absence de plafond au-dessus d'eux et la lumière du jour au loin. À ses pieds, un épais tapis couvrait toute la petite pièce. La porte se referma d'elle-même.

— Tu devrais t'asseoir, c'est pas évident de garder l'équilibre sur un tapis volant.

— Hein ? Un quoi ? s'écria Tom, incrédule.

En guise de réponse, le sorcier pointa sa baguette vers le ciel, et ils se firent propulser dans les airs, soulevés par la carpette. L'enfant faillit tomber mais tint bon. Ses pieds creusaient un peu le tapis, mais pas autant que ceux de l'obèse. Le vol ne dura que quelques dizaines de secondes, après quoi l'incongru véhicule se stabilisa. À la surface, un grand soleil éblouit Tom une seconde, avant qu'il ne s'y accoutume et puisse discerner la rue et les bizarreries qui lui faisaient face.

Ici, tous les bâtiments revêtaient un style très ancien, presque moyenâgeux, tout comme la chaussée elle-même, avec ses pavés grossiers et usés. Mais le plus choquant était probablement la foule ; tout le monde sans exception portait de longues et larges robes, souvent vertes ou mauves, ainsi qu'un long chapeau pointu. Les deux nouveaux venus se mêlèrent à eux. En passant, quelques regards curieux se posèrent lui. Un garçon noir aux yeux bleus vêtu d'un sweat à capuche et d'un survêtement ne devait pas être courant par ici.

— C'est une sorte de foire médiévale, c'est ça ?

— C'est ça, appelle-moi Perceval ! répliqua son accompagnateur avec un grand rire. Bienvenue au Boulevard du Chat Noir, là où tous les sorciers de cette ville et des alentours peuvent circuler et vivre sans se soucier des moldus.

— Donc ça y est, vous pouvez me dire ce qu'on fait là ? avança Tom avec espoir.

— Ooooh, je pensais que ce serait évident pour un petit futé comme toi... Tu vas rejoindre l'Académie de Beauxbâtons, tu te souviens ?

— Ma mémoire n'est pas si courte.

— Et tu comptais entrer en classe sans fournitures ? Sans tes manuels d'enchantement, de métamorphose ou de défense contre les forces du mal ? Sans chaudron pour les cours de potions ? Et regarde ta tenue, on croirait un moldu arrivé là par hasard !

L'interpellation laissa le novice muet. Effectivement, rien de tout ceci ne lui était passé par la tête, loin de là. L'idée de porter une robe ne lui plaisait pas tant que ça.

— Les uniformes vont ressembler à ça aussi ? Des robes ?

— Des robes et chapeaux de sorcier traditionnels, effectivement. Enfin tu ne seras pas forcé de les porter en dehors de tes heures de classe.

— Super, grommela-t-il, sarcastique.

— Dois-je comprendre que tu ne comptes pas acheter d'autres robes que ton uniforme ?

— Exactement. De toute manière, je n'ai pas d'argent ! Vous auriez dû me prévenir !

— Étant donné ton statut de sorcier d'origine moldue, tu bénéficies d'une bourse spéciale. Suffisante pour acheter toutes les fournitures requises, plus quelques broutilles. Donc je n'ai pas jugé nécessaire que tu emportes tes cinq euros d'argent de poche.

La remarque était assez déplaisante pour Tom, d'autant plus qu'il ne recevait pas d'argent de poche. Boudeur, il marqua un temps avant qu'une question ne surgisse dans son esprit.

— Cette bourse, elle me rapporte combien ?

— Quelque chose comme trente et un gallions il me semble. Un peu moins. Trente et seize mornilles peut-être.

— J'ai rien compris. Ça doit être l'accent italien... plaisanta l'enfant.

— Mon français est très bon, jeune insolent, se gaussa son tuteur. C'est ta connaissance du monde magique qui est à déplorer. Déplorer... Tu connais beaucoup d'étrangers qui utilisent ce mot toi... ? Bref, c'est difficile à transformer en somme que tu connaisses, on ne fait pas de changes avec les moldus, puisqu'ils ignorent l'existence même des sorciers. Qui plus est, nous n'achetons pas vraiment les mêmes produits... J'imagine que tu serais incapable de me dire combien coûterait cent grammes d'écailles de dragon en euros. Comme tout le monde, puisque cette transaction n'existe pas.

— Non ! Les dragons existent ? s'écria le garçon, incrédule.

— Ah oui, on vient de loin à ce que je vois. Je vais essayer d'y aller doucement avec les révélations maintenant... Bref, j'en étais où... ? Ah oui, les sous. Ne t'en fais pas, j'ai tout sur moi, je gère. Si je te laissais l'argent, tu risquerais de courir t'acheter le dernier balai volant et... Stop ! On va acheter tes manuels par ici.

Ils s'arrêtèrent devant l'enseigne d'une grande librairie. Si la vitrine n'étalait pas tant de livres, Tom n'aurait pas fait la différence avec un antiquaire.

Maintenant qu'il y pensait, toutes les boutiques de cette rue étaient trop vieillottes pour ressembler à autre chose que des antiquaires.

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