Chapitre 8

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Le temps s'éternisait dans la solitude.

La petite fille se sentait par moments tellement oppressée. Les murs de briques rouges qu'elle aimait tant, semblaient parfois se refermer sur elle.

Elle cherchait un air qu'elle ne trouvait pas.

A la suite du déménagement de ses parents, elle avait changé d'école et laissé derrière elle des camarades qu'elle ne devait plus revoir. Dans la cour, elle avait peu à peu fait la connaissance des unes et des autres. Toutefois, les filles se connaissaient déjà depuis longtemps et les clans étaient constitués. Des copines éphémères se succédèrent sans réel attachement. L'amitié partagée des années auparavant avait été si fugitive.

Le climat, dans ce nouvel établissement, ne se révélait pas plus agréable. Les religieuses se montraient aussi tristes, sévères et revêches. Leurs paroles sifflaient parfois à ses oreilles. Quand leur litanie devenait trop lancinante, elle plaquait ses mains sur ses oreilles et fermait les yeux pour en chasser la rengaine insupportable.

Cependant, si certaines enseignantes se montraient sympathiques, d'autres s'avéraient d'une grande rudesse.

Toute petite, la fillette parvenait à nager comme un jeune chien, puis elle avait perdu cette faculté et le soi-disant enseignement infligé par une professeure de sport l'avait complètement terrifiée. à la piscine, celle-ci l'avait attrapée par un bras et lancée dans le grand bain où elle n'avait pas pied. Elle s'en était sortie, après plusieurs tasses, en s'accrochant désespérément aux maillots de ses camarades pour se maintenir à peu près à la surface et s'était faufilée, dès qu'elle l'avait pu, dans une annexe pour s'y cacher. Chaque semaine, elle voyait revenir avec angoisse la séance de piscine qui, au lieu de la faire progresser, ne faisait qu'amplifier ses difficultés. Une peur panique de l'eau s'en était suivie et l'odeur du chlore, si spécifique à ces locaux, l'avait hantée pendant des années, provoquant, à chaque fois, une boule d'angoisse dans son ventre. Ce n'est que tard, à l'adolescence, isolée dans un bras calme de la rivière, qu'elle était parvenue à exécuter la brasse correctement et se sentir un peu moins inquiète dans cet élément.

Cette victoire, c'était à elle et à elle seule qu'elle la devait. Elle en retirait une certaine fierté qu'elle gardait cachée au fond d'elle et en déduisait que, pour affronter ses apprentissages, elle préférait la solitude et la tranquillité relative qui l'accompagne et constatait que cette façon de procéder présentait, dans son cas, une efficacité certaine. C'est peut-être à ce moment-là qu'elle prit l'habitude de ne compter que sur elle.

Parfois, elle s'étonnait de réussir à se débrouiller seule, même si le défi s'avérait compliqué à relever. S'efforçant de garder la tête haute, malgré des remarques désagréables et même humiliantes, elle luttait à la fois pour intégrer des notions mais aussi pour parvenir à ignorer les réflexions. Cela s'avérait fatigant, inutilement usant.

Après avoir quitté l'école, ses contraintes et ses vexations, la fillette rallongeait souvent son trajet, retardant le retour dans cette maison apathique, profitant, quelques instants encore, de l'air frais apporté par la brise et de l'animation de la ville.

À son retour, elle rangeait sagement son cartable dans sa chambre. Sa mère se détournait quelques instants de ses occupations pour lui préparer son goûter : une tartine beurrée ou un morceau de pain accompagné d'une barre de chocolat ; puis elle disparaissait à nouveau dans une autre pièce. Chacun de ses parents étant affairé à des tâches diverses, la petite dégustait son festin sans bruit, dans la cuisine ou à l'extérieur, puis s'attelait à ses devoirs.

Le silence de ses parents l'étouffait, celui-ci balançait entre l'absence et la distance. Elle ne savait en déterminer les causes mais le resserrement de sa gorge en était une des répercussions physiques. Elle aurait aimé leur raconter ses journées, leur parler de ses apprentissages ; lorsqu'elle ramenait de bonnes notes à la maison, elle aurait tellement aimé entendre un compliment. Mais leur temps était précieux et axé sur d'autres centres d'intérêt que les siens.

Débarrassée de ses leçons, elle filait dans le jardin où elle guettait avec impatience le retour des beaux jours qui lui permettaient de rester plus longtemps dehors, à son illusion de liberté.

Pourtant, en grandissant, même le parfum des fleurs ne parvenait plus à la rassurer et à la transporter vers d'autres mondes faits de rêves. Elle peinait douloureusement à s'évader.

L'ennui s'invitait à chaque repas. Ceux-ci traînaient en longueur. La petite fille, assise devant son assiette dont le contenu refroidissait, tardait à manger. Elle se tortillait sur sa chaise, espérant le moment de quitter la table, sans se résoudre à avaler les aliments. La nourriture l'indifférait. Elle n'avait pas faim. Elle mangeait peu et avec difficulté, sans aucun plaisir. Sa mère la tançait vertement, contrariée de la voir attendre indéfiniment.

De ce fait, la fillette était maigre, de taille moyenne et son développement en subissait les conséquences. Pour autant, elle n'était pas en mauvaise santé.

L'ennui prenait parfois un aspect singulier. Surtout l'hiver. Enfermée dans la maison, elle posait ses mains sur le radiateur en fonte. La chaleur envahissait ses paumes puis chacun de ses doigts. La brûlure arrivait, s'amplifiait. Elle ne bougeait pas, gardant ses mains plaquées au métal. La morsure prenait alors une autre dimension, devenait douleur et pénétrait ses os. Elle résistait. Sans vraiment d'effort. Comme un défi. Jusqu'au moment où la sensation disparaissait, s'évanouissait.

Vers six ou sept ans, elle avait imaginé sa vie comme une boucle d'environ cinq années qui devait se répéter à l'infini, lui conservant son statut d'enfant, la plaçant hors d'atteinte du temps. Elle croyait que celui-ci ne l'emprisonnerait pas, qu'elle en serait protégée.

Pourtant… Le sortilège envisagé s'était brisé et elle avait été projetée dans un avenir incertain, effrayant, refusé.

*

Lorsqu'une envie commença à éclore en elle, elle n'eut pas à en chercher bien loin l'origine. À la campagne, les paysans côtoyés pendant les vacances possédaient des chiens. Et ces chiens l'accueillaient chaque fois en lui faisant la fête. Ils étaient heureux de la retrouver et elle aussi en était heureuse. Ils aimaient sa compagnie. Ils l'aimaient.

Quel bonheur ce serait d'avoir un chien ! Elle partagerait avec lui des jeux, des rires, lui raconterait ses journées, ses rêves. Déjà, elle avait expérimenté cet échange et avait constaté que les animaux la regardaient avec attention, paraissaient gais quand elle l'était, montraient de la tristesse quand ses idées étaient grises.

Un ami. Un véritable ami pour qui elle compterait, à qui elle penserait et qui penserait à elle. Un être dont elle caresserait la tête avec tendresse et qui l'embrasserait généreusement à grands coups de langue.

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