Chapitre 7 - 2

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Le lundi suivant, je me rends à la consultation du docteur Chopin. Je suis ravie d'avoir une raison de quitter cette maison à l'ambiance, par moments, un peu trop mystérieuse, voire nébuleuse et insondable. Ce manque de transparence finit par m'agacer. Je vais revoir celui qui m'écoute, me prête attention et cherche avec moi l'origine de mes absences, une réponse à mes interrogations. Son attitude ouverte, dynamique me transmet une énergie que je retrouve peu à peu au fond de moi.

Qui suis-je ?

Dans un premier temps, avec un demi-sourire, il souligne mes progrès, se réjouit de ma voix retrouvée. Il considère cette avancée comme tout à fait encourageante. Une nouvelle fois, il exprime sa confiance, présageant que je retrouverai ma mémoire sous peu.

Je ne sais pas si je tiens vraiment à me remémorer des événements qui me semblent, pour certains, bien troubles… Pourtant, il le faudra bien.

— Docteur, comment expliquez-vous que j'aie retrouvé ma voix ?

— Le choc que vous avez subi en apprenant le décès de votre compagnon peut en être l'explication.

Ces paroles me laissent songeuse.

— Pourtant, et le policier m'en a fait le reproche, je ne ressens aucune émotion.

Une nouvelle pause.

— Parfois, pour se protéger dans une situation difficile, on se durcit.

Un hochement de tête reçoit son information.

— Avez-vous pleuré récemment ?

Sa question me parait un peu absurde.

— Non.

— Comment vivez-vous le contact avec votre amie ?

— Elle est gentille.

— N'y a-t-il pas un lien affectif entre vous ?

— Sans doute.

— Comment se manifeste-t-il ?

J'ai envie de lui répondre qu'il ne se manifeste pas, du moins de mon côté.

— Elle m'accueille chez elle.

— N'échangez-vous pas des gestes traduisant une certaine affection ?

— Elle, quelquefois. Moi, non.

— Pourquoi ?

— Je… ça ne vient pas. Je ne sais pas comment dire… Je me sens… fermée, dure. Il me semble que ça n'est pas vraiment moi.

— Pas vraiment vous ?

Je regarde mes mains.

— Vous vous souvenez qui vous êtes ? continue-t-il.

— Non, des ressentis semblent tapis au fond de moi.

— Donc, certaines choses remontent.

— Quand pensez-vous que ma mémoire va revenir ?

— Il est impossible de répondre à cette question.

— Pourtant, ma voix est revenue brutalement.

— Dans ces domaines, il n'y a pas d'explication réellement scientifique. Le cerveau est une machine sophistiquée dont on est loin d'avoir exploré tous les rouages.

Déçue par ce retour si vague, je croise les bras, me refermant un peu.

— Faîtes-vous encore des cauchemars ?

— Oui, mais pas toutes les nuits.

— C'est une amélioration.

— Je l'apprécie.

— Se traduisent-ils toujours de la même façon ?

— Ce sont, à chaque fois, des sons rauques et d'autres plus aigus, des coups…

— Des coups sur quoi, sur qui ?

— Je ne m'étais pas posé la question. Je ne sais pas… Ce sont des bruits mats…

Il attend un peu, me laissant réfléchir pour identifier la situation.

— Parvenez-vous maintenant à apercevoir un visage ?

Je ferme les yeux quelques secondes, tentant de visualiser les images.

— Non, tout est flou, déformé.

— Des couleurs ?

— Des couleurs ?

— Oui, vos visions ont-elles évolué ? Prenant des couleurs, un peu plus de précision…

— C'est curieux, oui, elles ont un peu de couleurs alors qu'elles n'en avaient pas au début.

Il hoche la tête.

— Distinguez-vous ce qui se passe ?

Je secoue la tête, j'ai envie de chasser tout cela, tant c'est pénible.

— Non.

— Je comprends que vous ne vouliez pas vous immerger plus loin mais cela est nécessaire pour avancer.

— Docteur, j'ai peur de ce que je vais découvrir, même mon amie refuse de répondre à mes questions. Qu'est-ce que ça signifie ?

— Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Mais je sais que, pour reprendre le cours de votre vie, vous devrez faire face à vos angoisses et visualiser ce qui vous terrifie pour les décrypter. Ce n'est qu'à ce prix que vous parviendrez à prendre le dessus.

Un soupir s'échappe de ma bouche. Alors, j'agrippe les accoudoirs et ferme à nouveau les yeux, bien décidée à chasser le voile gris qui entoure ces spectres violents.

— Des formes sombres gesticulent avec brutalité en tous sens.

— Combien y en a-t-il ?

— Quelque chose vient de heurter le mur à côté de mon visage.

— De quoi s'agit-il ?

— Il y a tellement de cris.

— Qui crie ?

— Pourquoi cette colère, cette agressivité incroyable qui semblent ne plus pouvoir s'arrêter ?

Après un temps, je reprends :

— Un poing a frappé la paroi… un râle accompagne le choc.

— Qui a frappé ? Voyez-vous son visage ?

— J'entends…

— Dites-moi.

Je frissonne.

— J'entends mon prénom.

Mes mains se crispent encore.

— Qui le prononce ?

Je transpire, j'ai froid.

— C'est une voix d'homme.

— La reconnaissez-vous ?

Ma gorge se noue.

— Il est dans l'ombre.

Je tremble, je grelotte.

Pourtant, je me force à garder les yeux fermés.

— Il… Je ne veux pas… Je ne peux pas…

Mes bras se lèvent pour protéger mon visage.

Je veux continuer.

Je respire un peu.

— De qui parlez-vous ?

— J'ai envie de crier mais je n'y parviens pas.

Une boule tenaille ma trachée, la rend douloureuse. Je m'efforce d'ignorer ma souffrance. Je tente de reprendre mon souffle. J'ai mal. Je cherche de l'air.

*

À mon réveil, ce matin, je me sens fatiguée, ma tête tourne et mon estomac semble dérangé.

Hier soir, nous nous sommes couchés tard, nous avons discuté longuement après le repas, tentant d'élucider les derniers événements. Olivier était abasourdi. Cécile ne cessait d'avancer des éventualités pour comprendre ce qui était arrivé à Patrick. Parfois, elle me jetait des coups d'œil, semblant chercher auprès de moi des réponses que j'étais bien incapable de fournir. Trop d'éléments nous manquaient pour entrevoir une explication plausible. Désarmés et à court d'idées, nous avons fini par abandonner.

Mon sommeil a encore été perturbé par de nombreux réveils et des cauchemars pénibles.

Toutefois, ni notre veillée pleine d'interrogations ni le manque de repos ne paraissent être la cause de mon malaise.

Je suis barbouillée. Un vertige perturbe mon équilibre.

Je me traîne jusqu'à la cuisine.

Me voyant avachie, Cécile s'approche, elle me tend un bol de café chaud et une tartine.

— Désolée, je ne peux rien avaler, j'ai la nausée.

Elle m'observe avec attention, puis me pose une série de questions ciblées afin d'identifier mes symptômes et d'en déterminer les causes. Puis, la voilà qui file à la pharmacie.

À son retour, elle me tend un test de grossesse.

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