Chapitre 7 - 1

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— Mademoiselle Cervier, veuillez vous habiller, vous allez nous suivre au commissariat.

— Mais…

Estimant que toute discussion serait vaine, je me dirige vers la chambre sans attendre et enfile mes vêtements.

À l'hôtel de police, le commissaire Bergal a pris place à son bureau, assise face à lui, mes mains moites serrent mon sac ; l'inspecteur Marty, derrière moi, s'appuie sur la paroi à côté de la porte. Cécile a tenu à m'accompagner et m'attend dans le couloir.

Le policier laisse entrevoir une certaine gêne qui se traduit par une impatience latente. Il semble ne pas trop savoir comment conduire son interrogatoire, ne parvenant pas à discerner si mon amnésie est feinte ou non. Il me fixe en plissant les yeux. Je maintiens mon regard droit, même si j'ai conscience qu'il exprime une certaine détresse. Que va-t-il encore m'annoncer ? Dans quel pétrin suis-je ?

— Quel jour avez-vous été hospitalisée ? articule-t-il d'un ton sec.

J'hésite quelques secondes.

— Samedi. Samedi après-midi.

— En êtes-vous sûre ?

— Oui. Mes problèmes de mémoire touchent les événements qui ont eu lieu avant.

Il semble étonné par la clarté de ma réponse.

— Combien de temps y êtes-vous restée ?

— Je suis sortie mardi matin, Madame Lumière est venue me chercher.

— Et depuis ?

— Je vis chez elle.

— Pourquoi vous n'êtes pas retournée chez vous ?

— Le médecin a estimé que j'avais besoin de surveillance et puis, je ne sais même pas où ça se trouve.

— Vous n'avez pas questionné votre amie ? rétorque-t-il.

— Si, mais elle me dit qu'il n'est pas possible d'y aller. De toute façon, elle me répond toujours de façon très évasive, elle évite certains points, s'arrange pour esquiver certains sujets.

Je baisse les yeux puis continue :

— Elle me cache certaines choses, je ne comprends pas pourquoi et ça m'inquiète.

Le commissaire réprime un sursaut, il attend quelques secondes puis enchaîne :

— Ne vous souvenez-vous vraiment de rien ?

— Je n'ai que des impressions, rien de net. D'ailleurs, tout ce qui me revient est désagréable, pénible.

— Expliquez-moi ça.

— Il me semble percevoir des cris, des bruits sourds comme des chocs. Tout est tellement…

— Tellement quoi ?

— ça me fait peur, dis-je à contrecœur.

— Vous vous êtes battue ?

— Je ne sais pas.

— On vous a frappée ?

— Je ne crois pas.

— Qui crie ?

— Je… je ne sais pas, soufflé-je sur un ton presque désespéré.

— C'est une voix d'homme ou de femme ?

— D'homme, je pense, elle est grave.

— Connaissez-vous cet homme ?

Je le regarde, étonnée.

— Je…

— Vous le connaissez ?

— Je ne sais pas. Mais à quoi riment toutes ces questions ?

— J'essaie de comprendre, de reconstituer ce qui vous est arrivé, ce qui s'est passé.

— Mais quel est le rapport avec l'accident de… Patrick Grenas ?

— Pensez-vous qu'il y en a un ?

— Comment pourrais-je le savoir ?

Sourcils froncés, ses yeux sont rivés aux miens. Appuyé des deux mains aux accoudoirs de son fauteuil, il est penché vers moi.

Je n'y comprends rien. Si seulement mes souvenirs revenaient. Ma voix s'est bien rétablie, le reste devrait suivre. Combien de temps vais-je encore lutter contre ces difficultés ?

— Comment avez-vous occupé votre temps ces derniers jours ?

— A des tâches du quotidien.

— C'est-à-dire ?

— Ménage, cuisine…

— Rien d'autre ?

— J'ai lu des magazines, discuté avec mon amie.

— Vous êtes ressortie mardi ?

— Non, je me suis reposée.

— Dans l'après-midi, vous n'êtes pas allée faire des courses ?

— Non, Cécile avait tout le nécessaire.

— Et mercredi, qu'avez-vous fait ?

J'observe quelques secondes de réflexion.

— Mercredi matin, Cécile avait rendez-vous chez le médecin. Je suis restée seule à la maison. J'ai passé l'aspirateur puis j'ai préparé le repas.

— Vous n'avez vu personne ?

— Non.

A ma réponse, son visage se durcit. Derrière, son collègue racle sa gorge. Lorsque je me retourne, une grimace déforme son visage. Il semble ennuyé, peut-être même contrarié. Alors, l'inspecteur intervient :

— Personne n'a sonné à la porte ?

— Non.

— Vous n'êtes pas sortie faire une course ?

Son insistance me surprend.

— Ah si, je suis allée chercher du pain.

Il parait soulagé.

— A quelle boulangerie ?

— A l'angle de la rue.

Le commissaire note le renseignement sur son calepin et pince sa bouche en une moue irritée.

— Je constate tout de même que la mort de votre compagnon n'a pas l'air de vous peiner.

— Je…

Effectivement, je n'ai pas versé une larme. Depuis des jours d'ailleurs. Effectivement, je ne ressens rien, aucun chagrin, pas une émotion.

Surprise moi-même de ce manque de réaction, j'analyse un instant la situation. Qui est cet homme dont on me parle ? Aucun visage ne me revient, aucun souvenir de ma vie de couple ne surgit dans mon esprit, je ne sens pas sa main dans la mienne, son bras autour de mes épaules...

Je reviens à la réalité et prends conscience que les deux enquêteurs m'observent. Ils attendent sans doute une justification de ma part. Mais je n'en ai pas. Suis-je aussi insensible en temps normal ?

— Mademoiselle Cervier, nous pensons que la cause de l'accident de Monsieur Grenas est un sabotage.

— Comment ça ?

— Il semblerait que sa voiture ait été dégradée volontairement.

— Et ?

— Vous parlez de cris. Si vous vous êtes disputés, vous auriez pu vouloir vous venger…

— Je n'ai jamais soulevé le capot d'une voiture.

— On dit ça !

— Je ne connais absolument rien à la mécanique.

— On a tous quelques notions… qui s'avèrent bien utiles un jour ou l'autre.

Le sous-entendu me laisse ahurie.

— Le véhicule est en cours d'examen. Nous vous demandons de rester à notre disposition. Nous aurons besoin de vous interroger à nouveau.

Sur ces paroles, il se lève et me raccompagne jusqu'à la porte.

Dans le corridor, je retrouve Cécile. Mon air interdit l'interpelle et elle me questionne sur l'entretien. Pendant quelques secondes, pourtant, je reste silencieuse, le temps pour moi de bien comprendre les informations du policier ainsi que la portée de ses insinuations.

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