Chapitre 4 - 2

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Par la fenêtre de la voiture, j'observe les maisons et les jardins.

— Tu vas bien te reposer chez nous. Tu m'as toujours dit que notre maison te plaisait, qu'elle était confortable.

Cécile contourne la ville. Les collines se dressent aux alentours, peu d'arbustes les animent, de timides touffes d'herbe tentent de pousser.

— Tu pourras profiter du jardin où tu aimes te prélasser au soleil.

Elle tourne sur la gauche et s'engage dans une avenue.

— Ce sera la première fois que tu dormiras chez nous. Tu rentrais toujours rapidement chez toi après nos discussions.

Un peu plus loin, des mûriers aux larges feuilles bordent la rue qu'elle emprunte. Après quelques mètres, elle stoppe son véhicule et descend pour ouvrir le portail. De construction récente, le pavillon présente une façade claire, agrémentée d'ouvertures habillées de voilages blancs.

— Alors, elle te plait toujours autant ?

Mon esquisse de sourire le lui confirme.

La voiture garée, Cécile saisit mon bagage et s'empresse de déverrouiller la porte.

— Entre.

Après trois pas dans l'allée, un trouble soudain bloque mes membres. Mon regard parcourt cet endroit qui, vraisemblablement, doit m'être familier. Je suis si contrariée de ne retrouver aucune image.

— Ne t'inquiète pas, ta mémoire va revenir ! Il ne faut pas chercher à aller trop vite. Viens, on va boire un jus d'orange sur la terrasse.

Sa sollicitude me touche. Elle me semble rejoindre, tout au fond de moi, très loin, de vagues réminiscences, impressions encore terriblement floues.

Cécile installe mes affaires dans une chambre claire puis nous nous asseyons à l'extérieur, autour d'une petite table métallique avec une boisson fraîche.

Depuis quand on se connaît ?

— Depuis quelques années. À l'époque, je travaillais pour un magasin de vêtements.

Tu es vendeuse ?

— Non, je fais de la couture, je raccourcis des manches, je fais des ourlets. Tu t'es intéressée à ce que je faisais tu m'as demandé des conseils et on s'est tout de suite bien entendu toutes les deux.

J'habite où ?

— A Agde.

Mes parents n'ont pas été avertis de mon hospitalisation ?

— Tu n'as plus tes parents.

Un silence ponctue cette nouvelle.

Des frères, des sœurs ?

— Tu es fille unique.

Ses réponses laconiques me surprennent. Je ne sais plus comment orienter ma recherche d'informations. J'abandonne. Pour un instant au moins.

Pendant de longues minutes, qui pourtant coulent aisément, Cécile me raconte ses dernières acquisitions ; dans une boutique de la zone commerciale Bonne Source, elle a déniché une veste dont le coton pastel sied parfaitement à ses yeux verts. En passant devant une jardinerie, elle a découvert les géraniums blancs qu'elle recherchait depuis si longtemps, alors, elle n'a pas résisté à les acheter et les a replantés dans un grand pot en terre.

Ramenant les verres à l'intérieur, j'aperçois Cécile qui soulève le rideau de la cuisine. Elle explore les abords de la maison avec une étrange insistance.

Je vais récupérer mon bloc.

— Qu'est-ce que tu regardes ainsi ?

— Oh rien, je croyais avoir vu passer un voisin.

Sa réponse ne me satisfait pas, elle veut me faire croire qu'elle ne guette rien ! J'ai bien perçu une certaine tension dans son timbre. J'ai bien vu à notre arrivée qu'elle jetait des coups d'œil en arrière. En voiture déjà, ses yeux naviguaient entre la route et les autres véhicules.

Que se passe-t-il ? A-t-elle des soucis ? De quel ordre ? Dans ce cas, ma présence lui en rajoute.

Ses inquiétudes sont-elles en lien avec moi ? Que peut-il bien y avoir dans ma vie qui préoccupe mon amie ? Est-ce si grave ? Devrais-je partir pour qu'elle soit tranquille ? Mais où irais-je ? Je me sens prise dans un piège.

— Viens, allons faire ton lit, me dit-elle, s'éloignant de la fenêtre.

J'hésite. Je me retourne encore vers la rue mais n'y distingue rien. Elle prend mon bras et m'entraîne.

Dans une armoire, elle choisit des draps dont le parfum agréable nous ravit. Pendant les minutes qui suivent, nous installons la parure avec soin. Après un coup d'œil à sa montre, elle se dirige vers le frigo et m'invite à l'aider à préparer le repas.

— Olivier ne va pas tarder à rentrer pour déjeuner. Oh, pardon, Olivier est mon mari.

Je salue son information d'un sourire. Son visage s'éclaire à l'idée du retour de celui qu'elle aime. Elle semble heureuse et cela me fait plaisir.

— Et moi, je suis mariée ?

Elle prend beaucoup de temps pour me répondre…

— Non, tu n'es pas mariée.

— En couple ?

Elle grimace.

— Oui.

— Et ?

Après quelques secondes :

— Disons que… ça n'a pas l'air d'aller fort entre vous.

— Où est-il ? Pourquoi n'est-il pas venu me chercher ?

Encore une fois, son regard est fuyant. Elle hésite :

— Il s'est absenté.

Les questions fusent et se bousculent dans mon esprit, attisées par son attitude étrange.

— Ne cherche pas à comprendre, pas maintenant.

Dans l'entrée, un bruit de clés se fait entendre. Olivier passe la tête dans la pièce, Cécile se jette dans ses bras. Puis il se tourne vers moi :

— Comment vas-tu ? demande-t-il en m'embrassant.

— ça va, ça pourrait être pire.

— Bien sûr, tu as raison. Tu vas pouvoir te reposer chez nous quelques jours.

Ses yeux tristes font penser à un lac profond ; de taille moyenne, ses cheveux noirs sont coupés court. Détournant le regard, il accroche sa veste dans le placard.

Cécile fait réchauffer un plat, met le couvert et nous nous asseyons pour le déjeuner. Elle relate à son époux les dires du médecin dont elle n'avait que des bribes le matin quand elle l'a informé de mon hospitalisation.

— Le docteur Chopin semble confiant, tout va se remette en place.

Olivier m'apparaît comme un homme posé, une certaine retenue pointe dans son attitude que je ne sais comment interpréter. La conversation, bien qu'entrecoupée de lecture, s'avère plaisante. Mes hôtes se montrent charmants. Ils échangent, par moments, des regards complices qui semblent traduire leur tendresse. À moins qu'il ne s'agisse d'une connivence pleine de sous-entendus au sujet d'une situation qui m'échappe totalement. Mais je me reprends, je m'égare à douter de tout, ils se montrent si prévenants avec moi.

Lorsqu'il regagne son travail, nous rangeons la cuisine, je retrouve les gestes du quotidien, sensation bien agréable.

Ces tâches accomplies, Cécile me conseille un moment de repos. J'ai bien compris que certains sujets doivent être évités. C'est étrange ce besoin d'éluder, de passer certaines choses sous silence.

Un peu plus tard, je retrouve mon amie dans le jardin. Un livre à la main, elle est allongée sur un transat. Pour occuper le temps, nous faisons quelques pas dans l'herbe. Cécile aime le jardinage, elle prend un immense plaisir à repiquer des fleurs aussi variées que colorées dont elle me cite le nom à chaque arrêt. Des arbustes de différentes formes, aux feuilles rondes ou pointues longent les limites de la parcelle.

Assises à nouveau près du guéridon, elle regrette son absence au moment de mon accident.

— Et moi qui étais si loin dans ma famille…

— Tu as bien le droit de vivre ta vie !

Le soir, j'éprouve du plaisir à me rendre utile en participant mieux aux tâches ménagères, ayant enregistré l'emplacement des ustensiles, je suis plus efficace.

Les jours qui suivent me démontrent que la vie a repris son cours, du moins, une certaine forme de vie. En effet, dès le lendemain matin, Cécile s'absente pour un rendez-vous médical, me laissant seule dans la maison.

Durant ces quelques heures, je m'occupe du ménage, prépare le repas puis dresse le couvert. Mon amie rentre peu après mon retour de la boulangerie. Dans la même rue, sans risque de me perdre, j'ai pu aller chercher des baguettes bien craquantes qui dégageaient un parfum délicieux.

Pendant deux jours, les moments d'activités et de détente se succèdent, me permettant de reprendre pied progressivement. Toutefois, ma collecte d'informations reste au niveau des banalités. Je redoute d'affronter les réactions de repli de Cécile, elle évite systématiquement les questions concernant mon compagnon et ma vie avec lui. Impossible de savoir avec précision où j'habite, la réponse est esquivée chaque fois que je tente une approche.

Les seuls éléments acquis s'avèrent basiques : j'ai vingt-huit ans et je travaille comme secrétaire dans une agence immobilière. Depuis plusieurs années, j'occupe un poste que j'apprécie et dans lequel j'ai de très bons contacts.

Le vendredi vient de commencer quand on sonne à la porte. Cécile va ouvrir.

— Bonjour Madame. Commissaire Bergal, inspecteur Marty, police nationale. Mademoiselle Cervier se trouve bien chez vous ?

De la cuisine où je termine mon petit déjeuner, j'entends la question et me lève aussitôt.

À mon approche, mon amie précise mon incapacité à parler. Alors, le policier nous conseille de rejoindre le salon.

Une fois assis, il demande depuis quand je loge ici et quel a été mon emploi du temps. Ces informations notées, il observe un moment de silence pendant lequel ses yeux scrutent mon visage. Une tension palpable s'est installée entre nous.

— Mademoiselle Cervier, quand avez-vous vu Patrick Grenas, votre compagnon, pour la dernière fois ?

La stupeur et l'interrogation emplissent mon regard. Je cherche mon bloc. Cécile me le tend.

Je n'en sais rien.

— Qu'avez-vous oublié ? La date ? L'endroit ?

Tout.

— Vous vous souvenez où vous habitez ?

Non.

— Vous vous rappelez de votre compagnon, tout de même ?

Non.

Le commissaire marque un temps.

— Mercredi matin, Patrick Grenas a été victime d'un accident de voiture. Il a été tué sur le coup.

— Oh mon Dieu !

Tous les regards convergent vers moi, me confirmant que ces mots sont bien sortis de ma bouche.

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