3 - C'est moi, ça ?

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Le miroir était un objet en argent poli orné de pierres précieuses et de motifs floraux en métal repoussé. Je pouvais m'y voir jusqu'à la taille mais ce n'était pas cela que je regardais. C'était mon reflet, imparfait par la faible qualité du miroir. C'était mon reflet, qui ne me ressemblait pas du tout.

J'approchai à pas lents, comme si deux enclumes avaient été fixées à mes chevilles. J'aurai pu avoir le mouvement élégant et délicat de tendre la main vers mon image mais au lieu de ça, j'avais les bras ballants et gourds. Le sang qui arrivait dans mes doigts sous l'effet de la gravité me picotait affreusement la pulpe.

Depuis trois jours, je me sentais autre, plus légère. J'avais attribué ça à la disparition de l'enfant qui grandissait en moi. Mes larmes avaient brouillé ma vue pendant trois jours et l'épuisement m'avait fait dormir d'un sommeil agité quand je ne pleurais pas. Je ne m'étais pas regardée, je n'avais pas baissé la tête sur mon corps, ni levé mes mains pour les observer.

Et là, pour la première fois, je me voyais.

Blonde aux yeux bleus. C'était une description qui me correspondait aussi dans mon monde originel. Pourtant, rien n'aurait pu être plus différent.

J'avais une chevelure aux reflets dorés qui me tombait jusque sur les reins ; de grands yeux bleus et scintillants comme la voie lactée se réfléchissant sur un lac un soir d'été ; une taille fine et gracile, non : tout était fin, gracile et délicat dans ce corps. La taille, les seins, les hanches, les mains, les bras, les cuisses, les pieds. Ce corps était un modèle de beauté éthérée.

Une vague de dégoût me traversa.

Ce corps n'était pas moi ! Où étaient passées ma poitrine opulente, mes hanches larges et fertiles, mes bras grassouillets mais solides ? Ce corps que j'avais pu parfois détester à cause de mes bourrelets me manquait soudain. Ressembler subitement à une mannequin me déchirait. Moi ? J'aurai maintenant pu faire une version live d'une princesse Disney ! Est-ce que je pouvais soulever ne serait-ce qu'un pack d'eau avec des bras aussi fins ? J'avais l'impression d'être désormais une poupée de cristal qu'un simple cri pouvait détruire.

Sans compter…

Un frisson de répugnance me traversa. J'allais devenir un objet de désir pour n'importe quel mâle qui passait. Une image sur laquelle ils se branleraient. Réduite à une paire de fesses ambulantes sur laquelle ils se retourneraient dans mon dos. Des hordes de types qui se croiraient amoureux de moi et qui ne verraient pas plus loin que mon corps. Yeurk.

Au moins, comme j'étais apparemment une reine, on se retiendrait de siffler sur mon passage ou de me suivre. Déjà que j'avais connu ça en n'étant pas particulièrement jolie dans mon monde.

— Votre majesté ? Tout va bien ?

La voix de la servante me sortit de ma contemplation. Je relevais le côté gauche de mes lèvres en une moue désabusée.

— Est-ce que j'ai l'air d'aller bien ?

La jeune fille baissa les yeux, confuse ; presque apeurée par mon ton sec et amer. Je me déplaçais vers la nourriture qui refroidissait et m'installait. Alors qu'elle se dirigeait vers la porte pour partir, je la retins d'un geste. J'ouvris la bouche pour lui poser une question mais je m'interrompis. Était-ce bien sage ? Était-ce raisonnable ? Qu'est-ce que je voulais faire ?

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