Chapitre 3 - Une révélation

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Les services s’enchaînaient dans le brouhaha des conversations et la musique diffusée par le groupe qui s’était installé dans un angle de la salle. Brigitte et Philippe avaient été placés, curieuse coïncidence, à la même table que le cousin Loïs, associé pour la circonstance à une jeune femme célibataire, ainsi que deux couples de quadragénaires apparentés à la famille du marié. Brigitte trouvait Loïs plutôt séduisant, opinion que semblait partager la jeune femme assise à côté de lui, qui multipliait les efforts pour capter son attention. S’amusant de ce petit jeu, Brigitte décida de pimenter un peu la conversation.

« Je t’ai vu en grande discussion avec Michel tout à l’heure, est-ce que tu envisages toi aussi de rentrer dans les ordres ? demanda-t-elle sur un ton taquin.

— Dieu m’en soit témoin, j’aime trop la vie que je mène pour m’enfermer dans un couvent, répondit Loïs, mais j’aurais peut-être du demander conseil à notre Prieur pour sauver mon âme s’il en est encore temps.

— Tu craindrais les flammes de l’Enfer ? Quelle pénitence est-ce qu’il t’a ordonnée ? L’abstinence ?

— Oh, non, ce serait trop dur, plutôt l’Enfer dans ce cas ! En fait, notre cousin est non seulement un religieux apprécié mais aussi un véritable érudit. Nous échangions sur la doctrine de Thomas d’Aquin et sa vision du rôle des femmes dans l’Eglise Catholique.

— Intéressante conversation en effet, et qu’en avez-vous conclu ?

— Rien, c’était un débat purement rhétorique. Tu sais peut-être que la branche allemande de notre famille est plutôt luthérienne. J’ai fait état auprès de notre Prieur d’une décision de l’Eglise Luthérienne Américaine acceptant la nomination de pasteurs homosexuels, vivant en couple. J’avoue que j’ai poussé un peu loin la provocation, mais la réponse a été marquée d’une tolérance que je n’aurais pas imaginée de la part d’un homme d’Eglise. Ceci dit, je ne crois pas qu’il soit prêt pour le mariage.

— Et toi ?

— Je n’en vois pas la nécessité pour le moment. Je ne me vois pas lié à une seule personne, qu’elle soit homme ou femme, d’ailleurs. D’ailleurs, cher Maître, puisque la loi le permet maintenant, accepteras-tu de défendre un homme qui aurait tué son mari qui se serait montré trop violent ? Comment appellera-t-on ce type de crime ?

— Un homicide, tout simplement, répondit Brigitte, amusée par la question. »

S’adressant à la femme de l’autre côté de Loïs, Brigitte lui demanda :

« Et vous, que pensez-vous du sujet ? Je vous vois seule ce soir. Est-ce par choix ? »

La jeune femme la regarda, visiblement déstabilisée.

« Et bien, bredouilla-t-elle, je vis actuellement seule depuis quelques temps. Ce sont des choses qui arrivent, hélas, mais finalement, je me suis fait une raison, et j’essaie de voir le bon côté de la situation. J’ai retrouvé une liberté qui m’avait un peu fait défaut.

— Vous savez, les deux ne sont pas incompatibles, répondit Brigitte avec une œillade. Tenez, si ce beau garçon me propose une petite promenade au fond du parc pour admirer le clair de lune, je ne refuserai sûrement pas. Et toi Loïs, tu viendrais avec moi regarder les étoiles ?

— Ma cousine, avec toi ce ne sont pas les étoiles que je regarderais, méfie-toi, je pourrais bien accepter. »

La conversation continua un moment, sous le regards interloqué de la jeune femme, ne sachant que penser. Lorsque l’orchestre arrêta de jouer, Brigitte était convaincu que Loïs était un vrai libertin bisexuel et qu’il pouvait être un charmant compagnon. Le père du marié, en jaquette grise vint à proximité de la petite estrade libérée par les musiciens, un micro à la main. S’ensuivit une série de discours qui avaient pour point commun d’être profondément ennuyeux et incompréhensibles pour les non-initiés. Marie-Sarah se présenta en dernier.

« Je suis désolée de casser cette ambiance si joyeuse, mais je voudrais que nous ayons tous une pensée pour celui qui devrait être présent, au milieu de nous, mais qui nous a été enlevé si brutalement. Bertrand, tu fais tout ton possible pour te comporter comme un père pour nous, et nous t’en remercions, mais je veux parler de François, notre père biologique qui a disparu dans les circonstances que l’on connait il y a maintenant dix ans. »

Comme elle prononçait ces mots, Marie-Sarah fixa Brigitte droit dans les yeux, essayant de lui faire passer un message. La jeune fille prononça encore quelques phrases d’hommage, les larmes aux yeux. Quand elle rendit le micro, il y eut un long blanc avant que quelqu’un ne lance les applaudissements. Brigitte se tourna vers l’endroit ou Ségolène se trouvait encore assise quelques minutes auparavant, mais elle avait disparu.

« Tu as vu comme elle me regardait ? demanda Brigitte à son mari.

— Non, pas particulièrement, elle était visiblement très émue, je la comprend. C’est elle qui a trouvé son père mort en rentrant de l’école avec la baby-sitter. Je comprends qu’elle en soit encore bouleversée.

— Oui, tu as raison, mais en début de soirée, elle m’a dit qu’elle voudrait me parler en privé. Tu crois que ça peut avoir un lien ?

— Le plus simple, c’est d’aller lui demander. »

Comme l’orchestre reprenait sa place et que les serveurs écartaient les tables pour libérer une piste de danse, Brigitte s’empara de deux flutes pleines et se mit en quête de la jeune fille. Elle la découvrit un peu à l’écart, en discussion avec une femme plus âgée. Elle lui fit un petit signe en lui montrant une flute. Marie-Sarah lui fit un signe à peine perceptible et vint la rejoindre deux minutes plus tard.

« Qui est-ce ? demanda Brigitte.

— C’est Marie-Jo, une amie de maman. Je la connais depuis que je suis toute petite. Merci d’être venue me trouver. »

Brigitte lui tendit une des flutes.

« Tu m’as intriguée tout à l’heure, de quoi veux-tu me parler de façon si mystérieuse.

— Viens, allons un peu plus loin. »

La jeune fille s’éloigna dans une zone sombre, éclairée par le seul clair de lune.

« J’ai du mal à accepter que l’on ait complètement gommé l’existence de mon père. Maman se comporte comme s’il n’avait jamais existé. Bertrand nous considère comme si nous étions ses enfants, même s’il fait ça dans une bonne intention.

— Je sais que tu as très éprouvée quand François est décédé, mais ce sont malheureusement des choses qui arrivent. La vie doit continuer. Ta mère est encore jeune, elle a le droit d’être à nouveau heureuse.

— Oui, bien sûr, mais pas au point de tout oublier. J’ai parlé à un ami de papa, de François, qui a toujours été très gentil avec moi. Tu remarques qu’il n’y en a quasiment aucun ce soir. Il m’a dit des choses que j’ai du mal à croire. Je n’ai rien remarqué, bien sûr, j’étais trop jeune, mais il m’a dit qu’avant la mort de papa, le couple n’allait pas bien. Papa travaillait beaucoup, il rentrait tard, il travaillait le week-end, on a dit que c’est pour ça qu’il a fait son infarctus. Maman aurait eu un amant.

— C’est bien regrettable en effet, mais tu sais, si ton père ne prêtait plus attention à elle, elle avait trente cinq ans, c’était et c’est toujours une femme très séduisante. On peut comprendre qu’elle ait eu envie de voir d’autres hommes. Je peux t’assurer que si j’étais dans la même situation, je ferais sans doute la même chose.

— Vraiment ? »

Ma chérie, si tu savais, se dit Brigitte.

« Oui, ça n’a hélas rien d’anormal. Ton père ne s’en est sans doute même pas rendu compte.

— En fait, ça l’arrangeait bien qu’il meure comme ça.

— Ne dis pas ce genre de choses.

— Mais tu vois des situations comme ça régulièrement au tribunal, non ? Et s’il n’était pas mort de cause naturelle ?

— Tu devrais écrire des romans, tu aurais beaucoup de succès. Les dossiers que je plaide sont bien plus sordides que cela. Un homme trompe sa femme, elle l’apprend et le tue avec le couteau à viande ou bien elle prend le fusil de chasse et elle les tue tous les deux. C’est aussi simple, mais comment faire passer un crime pour un infarctus ?

— Tu ne voudrais pas m’aider à rechercher ce qui s’est vraiment passé ?

— On ne trouvera aucun juge qui accepterait de faire exhumer un cadavre après plus de dix ans, sans de solides présomptions. Il n’a pas été incinéré au moins ?

— Non, non, pas de risque, pas de ça chez les cathos. Tu pourrais peut-être essayer de savoir si ce qu’on m’a dit est vrai. Est-ce qu’elle avait vraiment un amant ? Moi, je suis trop jeune, je ne peux pas aller interroger les anciens amis des parents.

— Et tu crois que moi je pourrais le faire ? Je suis avocate, tu sais, pas juge d’instruction.

— Tu ne veux pas essayer, au moins dans la famille ? Je veux savoir si on me cache des choses.

— Je ne peux rien te promettre, mais je veux bien essayer de poser quelques questions discrètement. Tu sais quand même que je n’ai pas connu ton père. Il était déjà décédé quand je me suis marié avec Philippe.

— Tu es trop cool, je savais que tu accepterais de m’aider. »

Brigitte regarda la jeune fille s’éloigner. Dans quel guêpier est-ce que je viens de mettre la main, se demanda-t-elle avant de retourner auprès de Philippe.

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