Chapitre 4 - Premières investigations

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Sur le chemin du retour, Brigitte partagea ses interrogations avec son mari. Il était deux heures du matin et Philippe considérait qu’il en avait assez fait pour cette journée. Il avait promis de repasser le lendemain avec Brigitte pour un brunch décontracté.

« Est-ce que tu connaissais bien François ? demanda Brigitte.

— On n’était pas vraiment proches, mais on avait à peu près le même âge et c’était le mari de ma cousine, alors on se voyait quand même assez souvent, mais c’était presque exclusivement lors de réunions de famille. Ségolène et François ont toujours vécu dans le sud, et moi à Paris. Ça ne facilitait pas les contacts. On n’était pas intimes.

— Qu’est-ce qu’il faisait comme métier ? Il était dans les assurances, non ?

— Oui, plus ou moins, comme courtier, mais il était aussi conseiller financier. Il avait un gros portefeuille de clients, principalement des notables de la région de Mazamet. Il était membre d’à peu près tous les cercles où l’on peut rencontrer du monde, Chambre de Commerce, Rotary, je crois qu’il était aussi franc-maçon.

— Marie-Sarah m’a dit qu’il négligeait sa femme.

— Ségolène a toujours très bien joué son rôle d’épouse attentionnée, présentant bien en public, mais je veux bien croire qu’elle se soit sentie ravalée au statut de jolie poupée. Elle aurait aimé vivre comme toi, avoir une vie indépendante, mais je crois que chez les Von Schliemann, ça n’est pas bien vu. Elle s’est mariée à vingt et un ans, sans avoir terminé ses études. Pierre est né un an plus tard. C’était fini. Elle avait une vie facile, une belle maison, des domestiques. Elle a joué au golf, au tennis et fréquenté d’autres femmes qui lui ressemblaient.

— Quelle horreur ! Je n’aurais pas tenu un an de ce régime.

— C’est pour ça que je t’aime ! Avec toi, je suis sûr de ne pas passer à côté de l’aventure.

— Vu sous cet angle, une jolie femme fortunée qui s’ennuie, c’est pas étonnant qu’elle ait cherché des compensations, et ça n’a pas du être difficile à trouver, même à Mazamet.

— Tu connais Mazamet ?

— Non, pas vraiment. On a du traverser deux ou trois fois.

— Oui, c’est ça. C’est une petite ville où tout le monde se connait et les femmes de notables y sont particulièrement en vue. Je suppose qu’elle a cherché un minimum de discrétion. Tu ne peux pas louer une chambre pour une heure à l’hôtel du Cheval Blanc. Si elle avait un amant, ils devaient se retrouver ailleurs.

— Je profiterai du brunch demain pour essayer d’en savoir plus. Je crois que je vais demander à Loïs. Je suis sûr que le petit frère sera ravi de me faire quelques confidences à propos de sa sœurette.

— Alors, tu l’as bien branché hier ?

— Oui, je suis certaine que si j’avais un tout petit peu insisté, il n’aurait pas hésité à me sauter au fond du parc. Il m’a clairement fait comprendre qu’il avait une sexualité multi-facettes, ça me plait bien. Le plus amusant c’était de voir la petite pimbêche qu’on avait placée à côté de lui. Plus je le draguais, plus elle en rajoutait. Si elle avait pu, elle lui aurait montré ses seins.

— Oui, j’ai remarqué, même si je n’ai pas suivi votre conversation. C’était plutôt rafraichissant.

— Et de ton côté, c’était comment ?

— Professionnel ! Un médecin de Montpellier, ami de la famille du marié et son épouse, qui n’a pas dit un mot, de l’autre côté un chef d’entreprise qui a passé son temps sur son portable, avec une femme terriblement ennuyeuse, elle aussi était prête à me montrer ses seins, pour savoir s’il fallait les refaire ! Tout ça parce que j’avais raconté notre voyage aux Etats-Unis et notre visite chez John Freeman[1].

— Avoue que tu l’avais bien cherché ! »

Le lendemain, Brigitte garda Philippe au lit un long moment après leur réveil. Elle avait ouvert les yeux avec des envies câlines auxquelles son mari n’avait pas de raisons de résister. Après s’être frottée longuement contre lui, elle avait glissé sous le drap léger pour juger de son état de forme et avait pris l’initiative en le chevauchant d’abord langoureusement, puis de plus en plus vite, tout en s’efforçant de retenir l’expression de son plaisir, afin de ne pas le partager avec toute la maisonnée. Il était près de onze heures quand Brigitte revint de la salle de bain, vêtue de sa simple serviette de bain, ses longs cheveux mouillés sur ses épaules.

« J’espère que tu n’as croisé personne dans cette tenue ! remarqua Philippe.

— Rassure-toi, j’ai passé la tête par la porte entrebâillée avant de sortir. »

Deux heures plus tard, Brigitte garait le cabriolet à l’ombre des platanes, dans la cour du château de Vaudreuille. Il y avait déjà une trentaine de véhicules stationnés.

« Tu crois que Loïs sera là ? demanda Brigitte.

— Bien sûr, il ne peut pas faire l’affront de ne pas se montrer, sa sœur ne lui pardonnerait pas. »

Plusieurs buffets avaient été dressés sous les mêmes petites tentes que la veille. Brigitte ne fut pas surprise de voir que ses beaux-frères étaient déjà arrivés. Charles, l’Amiral était en civil, sa femme Sophie avait choisi une tenue légère très banale. Louis avait opté pour une tenue de golf et discutait avec plusieurs hommes que Brigitte ne connaissait pas. Laure n’était pas sur la pelouse. Elle la vit arriver portant deux grands saladiers qu’elle déposa sur une table avant de venir vers elle.

« Et bien, on dirait que vous avez fait la grasse matinée.

— Oui, on a pris un peu de bon temps, lui répondit Brigitte. Il n’y a pas de mal à ça. On a déjà eu une messe hier ! »

Brigitte se dirigea vers un buffet, laissant là sa belle-sœur à ses jugements familiaux. Elle se fit servir un verre de vin blanc.

« Il vient de Minerve, c’est un de mes amis qui le produit, dit une voix derrière elle. »

Brigitte se retourna son verre à la main.

« Je vous prie de m’excuser, je suis Pierre Delprat. Le père du marié.

— Brigitte de Loubennes, mon mari est un cousin de Ségolène.

— Enchanté, êtes-vous la femme du marin, de l’industriel ou du médecin ?

— Mon mari est Philippe, le chirurgien. Et vous, que faîtes vous dans la vie ?

— Et bien, je suis dans les assurances, à Béziers. J’ai une affaire qui tourne plutôt bien.

— Vous connaissiez peut-être François alors, le premier mari de Ségolène ?

— Bien entendu, nous étions des relations d’affaires de longue date avant de devenir des amis. Le décès de François a été une grosse perte pour nous tous.

— Et c’est donc au travers de ces relations que vos enfants se sont rencontrés, compléta Brigitte.

— C’est cela, on peut dire que Luc et Lise étaient amis d’enfance, même s’ils ont un écart d’âge assez important. Lise a été une jeune fille très précoce, à douze ans, elle était déjà une vraie petite femme.

— Je n’ai pas connu François, c’était quel genre d’homme ?

— C’était un garçon brillant, déterminé et ambitieux. Il n’était pas issu d’un milieu correspondant aux aspirations des Von Schliemann, mais il a su séduire les parents pour mieux gagner la fille. Il a conseillé le vieil aristocrate pour quelques placements très rentables tout en se faisant charmeur auprès de sa future belle-mère. Le caractère de Ségolène a fait le reste.

— François s’est laissé déborder pas ses affaires, non ? au point d’y laisser sa santé.

— Je ne suis pas médecin, je ne sais pas si c’est ce qui l’a tué, mais il est vrai que le travail était tout dans la vie de ce pauvre garçon. Quand nous sommes devenus intimes, il nous arrivait de jouer au golf ou d’aller à la chasse ensemble, mais les derniers temps, il n’y avait plus de place pour ces loisirs. Il m’arrivait encore de voir Ségolène sur un green ou pour un tournoi de bridge, mais sans François.

— Ce n’était sans doute pas très joyeux pour Ségolène, en effet.

— Elle avait tout ce dont elle avait besoin, elle s’occupait de ses enfants et elle avait une vie sociale très active, elle l’a toujours d’ailleurs, mais en effet, il est probable qu’elle ait un peu souffert des absences de son mari. »

Brigitte préféra en rester là, et ne pas paraître trop indiscrète.

« Ce vin est excellent, il est très minéral, j’aime beaucoup.

— Vous connaissez la région de Minerve ? demanda Pierre.

— À ma grande honte, je dois avouer que non. Les Loubennes sont originaires du Lauragais, mais moi je suis solognote.

— Il vous faut absolument découvrir ce site, c’est fabuleux et chargé d’histoire cathare. Quand vous aurez vu ces paysages, vous comprendrez ce vin.

— Je vous remercie du conseil, conclut Brigitte. »

Abandonnant le père du marié, elle se mit en quête du cousin Loïs. Après quelques minutes, elle l’aperçut au milieu d’un petit groupe de quadragénaires. Elle remarqua que la soupirante de la veille avait gagné quelques faveurs. Elle se tenait tout contre lui, un verre à la main, mais buvant littéralement ses paroles. Brigitte admira un instant la performance oratoire, en professionnelle. Loïs assurait la conversation, à lui seul, se contentant de quelques approbations en guise de relance, parlant de théâtre, d’histoire ou de sa nouvelle voiture avec la même aisance. Elle lui fit un petit signe et il s’interrompît un instant, le temps qu’elle lui parle à l’oreille.

« Si tu as un moment, j’aimerais que l’on reparle un peu ensemble.

— Pour l’astronomie, tu as laissé passer le créneau, répondit-il avec un clin d’œil malicieux.

— Je constate que tu t’en es consolé ! mais il s’agit d’autre chose. Fais -moi signe quand tu veux. Je vais me trouver quelque chose à manger. »

Brigitte alla remplir son verre et se mit en quête de Philippe.

« J’ai eu une conversation avec Pierre Delprat, le père du marié. C’était un collègue et un ami de François Barthélémy. Il m’a donné quelques informations intéressantes, il faudrait que tu me reparles de la façon dont François a été reçu par les Von Schliemann.

— Oui, c’est vrai que ça a beaucoup fait parler dans les réunions de famille à l’époque. Je ne te conseille pas d’aborder ce sujet avec mes parents.

— Qu’est-ce que tu peux me dire sur ta cousine Charlotte ?

— La sœur aînée de Ségo ? demanda Philippe. Je la connais assez peu finalement. Elle s’est éloignée de la famille assez tôt. Elle est partie faire des études à Paris d’abord, mais après deux ou trois ans elle partie pour Montréal. Officiellement, elle allait dans une école d’arts plastiques, mais on a su plus tard qu’elle avait vécu quelques années dans un squat d’artistes. Elle a acquis une certaine renommée, principalement aux Etats-Unis où elle vit maintenant. Elle ne revient que rarement en France.

— Elle n’est pas venue pour le mariage de sa nièce ?

— Surtout pas, ce genre de réunion représente tout ce qu’elle déteste ! Les rares fois où je l’ai revue, c’était lors de courts passages à Paris à l’occasion de la FIAC[2] ou d’autres circonstances de ce genre. C’est une personne très intéressante, je pense qu’elle te plairait.

— Elle ne s’est jamais mariée ?

— Non, elle aime les femmes, exclusivement.

— Intéressante, en effet, conclut Brigitte, avec un sourire, mais ce n’est pas elle qui me parlera de sa sœur ou de son premier beau-frère, c’est dommage, elle aurait pu me donner un point de vue différent. »

Brigitte remarqua Loïs qui s’approchait de leur table, seul.

« Bonjour mon cousin, dit-il à Philippe. Me permets-tu de t’enlever ta charmante épouse quelques minutes ? Je te promets d’être sage !

— Je ne crains rien, répondit Philippe en riant, Brigitte sait très bien se défendre seule.

— Viens, allons prendre un verre, proposa Loïs à Brigitte. Que penses-tu de cette jeune femme qui s’est entichée de moi hier soir ? J’ai bien vu que tu prenais plaisir à la provoquer, et je dois dire que tu as réussi au-delà de tes espérances. Nous n’avons pas beaucoup dormi cette nuit. Je crois qu’elle avait du plaisir en retard et ce matin, elle était très amoureuse. Elle est plutôt jolie, elle n’est pas idiote, mais moi je n’ai pas l’intention de m’attacher.

— Si elle est ce que tu dis, elle n’aura pas de mal à trouver quelqu’un d’autre. En fait, ce n’est pas elle qui m’intéresse, mais toi et ta famille. Tu sais que Philippe et moi ne sommes pas très friands de fêtes de ce genre, expliqua Brigitte en désignant tentes et château d’un large geste. Et le résultat, c’est que je ne vous connais presque pas, tes sœurs et toi. Le moment est peu favorable pour aller bavarder avec Ségolène et ta sœur Charlotte ne nous a pas fait l’honneur de sa présence, alors il ne reste que toi. Parle-moi des Von Schliemann.

— C’est mon jour de chance alors ! Je crois que tu aimerais Charlotte, on a beaucoup de points communs, elle et moi. Je ne sais pas de qui nous en avons hérité d’ailleurs. Pas de la branche allemande en tout cas. Sais-tu que l’on retrouve plusieurs chevaliers Teutoniques dans notre arbre généalogique ?

— La famille de Philippe compte un grand Maître des chevaliers de Malte.

— Oui, ça se vaut, en effet. Ma sœur Charlotte est une véritable artiste, avec tout ce que cela comporte de refus de l’ordre et des conventions, y compris sur le plan des orientations sexuelles. Elle a quitté la France, lasse des conflits permanents avec nos parents. Elle a plutôt bien réussi, d’ailleurs, sans rien devoir à personne. Moi je suis un dilettante, je ne fais rien avec sérieux. Je ne peux m’engager en rien, ni professionnellement, ni socialement, encore moins en amour. J’enseigne la littérature à des petits cons en Khâgne[3] pour avoir une carte Vitale, mais ce que j’aime c’est passer des nuits à refaire le monde avec des écrivains qui n’arrivent pas à se faire publier, en faisant tourner des joints.

— Il ne restait donc que Ségo pour porter les espoirs et les valeurs de tes parents, lourd héritage.

— Tu ne crois pas si bien dire, et c’était plutôt mal parti. Quand ma sœur a expliqué un soir au dîner qu’elle avait l’intention d’arrêter ses études et de se marier, elle n’avait guère plus de vingt ans. Avec un roturier en plus. Notre père s’est mis à parler allemand, ce qui a toujours été un signe de colère chez lui. Ma sœur s’est levée de table et n’est pas reparue pendant deux jours. Elle est allée ensuite parler à notre mère en la menaçant de quitter la maison, comme Charlotte l’avait fait peu de temps auparavant. Maman a accepté de recevoir François, un jour que notre père était absent. Je ne sais pas comment il s’y est pris, je n’ai pas assisté à l’entretien, mais il a littéralement envouté notre mère !

— Et ton père l’a accepté lui aussi ?

— Là encore, je ne sais pas comment il s’y est pris. Il lui a parlé d’argent, le Landgrave comprend ces mots là, je crois qu’il lui a donné quelques idées de placements. Il commençait tout juste dans le métier, mais ses conseils ont été très vite payants.

— Tu crois qu’il voulait épouser ta sœur par intérêt ?

— Oh non, pas du tout. Il était simplement fou amoureux, comme les grands romantiques du XIXe siècle. Il aurait menacé de se suicider que je n’en aurais pas été surpris. Ils ont vécu un an de lune de miel jusqu’à la naissance des enfants. Puis l’ambition professionnelle a pris le dessus. François voulait réussir à tout prix. Il était plutôt doué d’ailleurs. Il a repris le cabinet de son employeur qui voulait se retirer, puis il a développé l’affaire, embauché des collaborateurs et gagné pas mal d’argent avec ses placements personnels. Il a peu à peu délaissé sa vie sociale, il ne sortait plus, ne faisait plus de sport, ne voyait plus ses amis. Il vivait au rythme des Bourses : Tokyo, Paris, Wall Street et des indices.

— Et Ségolène, comment vivait-elle ça ?

— Je ne sais pas, je ne l’ai jamais entendue s’en plaindre. Elle s’y était adaptée. Je crois qu’elle avait développé sa propre vie, parallèle à celle de son mari. Elle s’était constitué un nouveau cercle de relations, moins orientées autour des affaires. Elle jouait au golf, au bridge, partait en week-end avec des amies. C’est comme ça qu’elle a connu Bertrand. Ce n’était pas un ami, ni même une relation de François.

— Tu veux dire qu’ils ont eu une relation extra-conjugale ?

— Elle ne me l’a jamais dit, bien sûr, mais c’est ce que j’ai toujours pensé. Ségolène est une très belle femme, imagine-la avec quinze ans de moins.


[1] Lire « Route 66 »

[2] Foire Internationale d’Art Contemporain

[3] Classe préparatoire à orientation littéraire

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