Chapitre 4 - 4

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Le Dr Conroy observa silencieusement la jeune femme assise à son bureau puis attrapa un stylo. Il trempa sa pointe dans l’encre sans quitter Dorothy des yeux et prononça d’une voix calme :

« Ne vous inquiétez pas, il ne s’agit ici que d’une formalité. Chaque employé a son dossier médical. Cela permet à sa santé d’être suivie. »

La jeune femme hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris mais ses doigts continuèrent tout de même leur danse nerveuse sur ses genoux. Elle n’aimait pas cette pièce, tout y semblait froid : les meubles gris, les murs recouverts de vieilles affiches médicales, les bocaux remplis de liquides et surtout le lit de métal qui attendait patiemment dans un coin qu’une malheureusement se colle nue à son plateau. Le docteur chaussa ses lunettes, baissant les yeux sur un formulaire encore vierge :

« Age ?

— Vingt ans. »

La pointe du stylo couru sur le papier grain.

« Groupe sanguin ? »

Dorothy resta silencieuse, écrasée par le regard interrogateur du Dr Conroy. Ce dernier finit par rebaisser la tête :

« Nous vérifierons cela plus tard. Une pathologie particulière ? Des problèmes de peau ?

— Non. »

L’homme se racla la gorge.

« Pas d’accident passé ? D’intervention médicale ? »

La jeune femme sembla hésiter mais finit par secouer la tête. Le docteur continua, sans quitter sa voix monocorde et rugueuse :

« Vous êtes vierge ?

— Non.

— Bien. »

Un silence s’installa dans la pièce alors que l’homme prenait des notes dans une écriture vive et précise. Finalement, Dorothy demanda avec appréhension :

« Vous pensez que j’ai fait le bon choix ? »

Le Dr Conroy leva la tête et fronça les sourcils. La patiente reprit :

« De venir ici, je veux dire. »

L’homme toisa la jeune femme d’un regard pensif puis finit par répondre :

« Je ne sais pas. J’imagine qu’il s’agit de l’une des meilleures issues possibles pour une personne comme vous, bien qu’il aurait été préférable de vous rencontrer autre part. Quelque part où vous seriez vraiment utile.

— Où ça ? »

Le médecin plongea ses yeux dans les miroirs bleus qui lui faisaient face :

« Dans un laboratoire. »

Il resta un instant immobile puis désigna le visage de Dorothy avec la pointe de son stylo :

« Quand est-ce que c’est apparu ? »

Surprise par cette question aussi soudaine que directe, la jeune femme expliqua :

— Mes yeux sont comme ça depuis ma naissance. Ils ont peut-être grandi avec moi, je ne m’en rends pas vraiment compte. Au moins, ils me donnent une vue impeccable.

— Je ne parlais pas des yeux. »

Il fit claquer sa langue :

« Je parlais de ce que vous avez sur le tête. »

La patiente joignit nerveusement les deux mains :

« C’est aussi là dès le début. Au début, ce n’était que deux bosses, puis ça s’est développé. »

L’homme opina de la tête, complétant de nouveau son formulaire :

« Je peux toucher ? »

Intimidée, Dorothy accepta. Le Dr Conroy avait de toute façon emprunté un ton qui indiquait que cette demande n’en était pas vraiment une et qu’elle se devait de coopérer. Il se leva, sa blouse immaculée se déployant autour de ses grandes jambes, et s’approcha de sa patiente en relevant ses lunettes. Dorothy frémit un peu lorsqu’il posa un doigt sur une de ses cornes, les examinant comme un joaillier examinerait un diamant, avec passion mais attention.

« C’est un compliment bien singulier mais elles sont superbes. »

C’était deux tornades brunes qui s’élançaient vers le plafond en spirale, hautes d’une quinzaine de centimètres. Elles semblaient gravées et recouvertes de lignes sinueuses, comme sculptées par un maître ébéniste, élégantes et impressionnantes. Le médecin posa un doigt sur l’une des deux pointes :

« Elles continuent de grandir ? »

La jeune femme hocha la tête et l’homme gémit un « hum » observateur, en pleine réflexion intérieure. Un filet d’espoir dans la voix, Dorothy demanda :

« Vous pourriez me les enlever ? »

Le Dr Conroy n’eut aucune réaction, aucun froncement de sourcils, aucun sourire de compassion. Il retourna simplement s’asseoir à son bureau.

« Non. Bien sûr que non. Je suis médecin, pas alchimiste. »

Il plongea un regard qui se voulait sincère dans celui à peine déçu de sa patiente :

« Sinon, vous ne seriez déjà plus là, croyez moi. »

Finalement, il se pencha en avant et ouvrit un des tiroirs de son bureau :

« Cependant, je peux faire quelque chose pour vous. Ce sont les propriétaires qui m’ont demandé d’effectuer cette petite opération, afin d’améliorer votre physique.

— Et si je ne suis pas d’accord ? »

La voix de Dorothy n’était ni agressive ou revendicative, mais plutôt inquiète. Le Dr Conroy se redressa et posa un instrument tranchant sur son bureau :

« Oh, je pense que ça va vous plaire. »

Il s’efforça à étirer un sourire sur son visage ferme :

« Il vous suffit de tirer la langue. »

Quelques minutes plus tard, un cri de douleur étouffé résonna dans la maison, mais personne n’y fit vraiment attention.

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