Chapitre 4 - 2

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La petite fenêtre s’ouvrit à côté du prêtre.

« Bénissez-moi mon père, parce que j’ai péché. »

Le vieil homme soupira et plongea un regard las dans l’obscurité du confessionnal. Cette jeune femme venait tous les jours à la messe, vêtue de noir telle une ombre spectrale entourée de vivants, le visage caché derrière un voile et la tête surmontée d’un chapeau. Mais c’était la première fois qu’elle venait se confesser et semblait nerveuse, alors même que le curé se laissait distraire par l’idée d’un bon dîner. Il affirma d’une voix lointaine :

« Je vous écoute mon enfant. Quelle est votre faute ? »

La voix résonna de l’autre côté de la cloison, légèrement tremblante :

« Je suis née. »

Intrigué, le prêtre fronça les sourcils :

« Voilà qui suit la volonté de Dieu. Personne ne peut vous blâmer pour cela. »

La jeune inconnue resta un instant muette et combla le silence par sa respiration profonde qui envahit l’habitacle, plongeant l’homme d’église dans un état de malaise. Le parfum des bâtons d’encens et le murmure des prières anonymes arrivaient à s’infiltrer dans le confessionnal pour renforcer le caractère étrange de cette atmosphère mystique, donnant à ce moment un aspect particulièrement dramatique. Finalement, dans un froissement de tissus, elle reprit la parole :

« Dieu m’a mal faite. Dieu ne m’a pas faite à son image.

— Que voulez-vous dire par là ?

— Je suis un monstre. »

La porte de l’église claqua dans un écho impressionnant mais le prêtre ne s’en préoccupa pas. Manifestement face à une situation étrange, ce dernier chercha un instant ses mots, serrant les lèvres d’un air grave, puis affirma au bout de quelques secondes :

« Vous n’êtes pas la seule. Il existe dans ce monde bien des êtres imparfaits, si ce n’est tous. Mais l’amour du Seigneur va au-delà de toute anomalie fortuite. Si vous êtes née comme cela, c’est que notre père l’a voulu comme cela. »

Il fit une pause afin de donner une certaine grandeur à ses propos, puis ajouta :

« Et il vous aime comme cela. »

Dans la pénombre, le prêtre sourit, fier de sa tirade. Cependant, de l’autre côté de la grille, la voix semblait toujours inquiète :

« Vous ne comprenez pas. Je ne suis pas handicapée, ni imparfaite. Je suis inhumaine. Et comment peut-on aimer un humain qui parait ne pas l’être ? »

L’homme croisa les bras et affirma d’un ton moralisateur :

« Vous êtes trop sévère avec vous, ma fille. Je pense que le Seigneur lui-même vous aime plus que vous ne vous aimez. Vous avez juste besoin de…

— Je vous assure, je n’ai rien de bon en moi. Vous… »

Elle sembla reprendre sa respiration :

« Vous ne pourriez même pas imaginer. »

Le prêtre soupira de nouveau, mais d’agacement cette fois.

« Mais de quoi parlez-vous à la fin ? Êtes-vous si horrible ? »

La voix se fit davantage étouffée, intimidée :

« Je ne peux pas vous montrer, vraiment.

— Je pense qu’il le faut pour que je mesure l’étendue de votre problème.

— Je vais vous épouvanter ! »

L’homme se leva :

« Qu’importe ! »

Il sortit du confessionnal en bougonnant et alla vivement ouvrir le battant adjacent, la figure rouge. L’étroite cabine était vide et un claquement de porte retentit dans l’église. L’inconnue avait fui. Le prêtre, lui, haussa les épaules.

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