Chapitre 2 - 3

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« Des stars ! De véritables stars ! Et qui n’ont pas perdu de leur élégance, de surcroit ! »

Jane et Mary étaient assises à leur bureau comme deux sentinelles, les bras et jambes croisées. L’air sévère et incrédule, elles se tenaient aussi droites que deux tours de brique, dominant leur invité de leurs regards froids. Dans un coin de la pièce, un vieux vinyle grinçait des airs orientaux de sa voix brisée, bloqué dans le gramophone poussiéreux. La blonde alluma finalement une cigarette avant de souffler sa fumée au visage de l’homme assis en face d’elles :

« Vous nous le dites à chaque fois que vous venez, Monsieur Luz. Nous n’aimons pas les flatteries.

— Quelles flatteries ? Tout le monde connait les sœurs Middle ! Vous êtes… »

Jane le coupa d’un geste sec de la main :

« Oubliées. Et c’est mieux ainsi. Nous nous devons d’être discrètes, je vous le rappelle. Alors si vous vous avisez d’ouvrir votre bouche de charlatan, nous vous promettons une belle chambre dans cet établissement. »

Tel un pauvre homme injustement agressé, Monsieur Luz leva les mains dans un geste d’innocence, dans le but de calmer les serpents qui le toisaient de leurs yeux mauvais et de se donner une crédibilité. Il finit par doucement poser ses doigts sur le bureau, étirant un long sourire sous sa moustache tentaculesque :

« Nous sommes amis, vous et moi. »

Les sœurs le regardèrent sans réagir, montrant qu’elles ne voyaient pas les choses de la même façon, alors que l’odeur de la cigarette imprégnait peu à peu les lieux. Après quelques secondes de silence, l’homme s’enfonça dans son siège sans quitter son rictus :

« Bien. »

Il joignit les deux mains :

« Qu’avez-vous à me proposer ? »

Mary se pencha en avant, le regard soudainement éclairé par une lueur d’intérêt :

« Un corps tout entier. »

Le sourire de Monsieur Luz s’agrandit, enthousiaste :

« Vraiment ? Lequel ?

— Raiponce, la fille aux cheveux longs. »

Le visage rougi de l’homme prit soudainement des traits sérieux :

« Combien ? »

Mary tapa sa cigarette contre un cendrier, comme pour annoncer la fermeté de son offre :

« Cinq cents. »

Un silence lourd plana, seulement comblé par la mélodie entêtée du disque. Monsieur Luz enleva son haut-de-forme qu’il avait eu l’impolitesse de garder et le posa sur ses genoux, comme pour se donner un air désolé :

« Ecoutez. Ce ne sont que des cheveux, le corps n’a rien d’exceptionnel.

— C’est pour ça que nous sommes généreuses de vous l’offrir et de ne pas vous vendre qu’un scalp. »

Voyant que sa tentative de négociation était un échec, l’homme au crâne dégarni pinça les lèvres en haussant les sourcils, désabusé. Il se gratta le menton et son sourire charognard réapparut, comme s’il avait été frappé par une révélation :

« J’ai vu une femme à barbe en passant. Elle est vraiment superbe ! Vous pensez que je pourrais…

— Nos filles sont à louer, pas à vendre. »

Les deux sœurs ne bougeaient plus, entièrement silencieuses, figées dans une colère muette. Cela ne sembla pas effrayer Monsieur Luz qui soupira de déception :

« Je ne sais que faire de vos cadavres. Il me faut du vrai, du vivant ! »

Faisant abstraction de cette complainte, Jane se servit un verre d’alcool, comme un automate qui se serait soudainement débloqué, et finit par expliquer d’une voix monocorde :

« Le corps est dans l’arrière-cour. La cérémonie funéraire s’est déroulée hier et tout le monde la croit enterrée. Soyez discret. »

Redressant la tête, l’homme remit dignement son haut de forme :

« Faites-moi confiance. Et la prochaine fois, je reviendrai pour votre barbue. »

Il plongea la main dans une des nombreuses poches de son manteau :

« Voici ma carte, au cas où vous auriez perdu celle que je vous ai déjà donnée. »

Il posa un petit papier cartonné sur le bureau, prenant soin de laisser le verso, où brillait son nom en lettres dorées, visible. La brune haussa les sourcils dans une expression de dédain et vida son verre d’un geste vif. Elle le reposa brusquement sur le bureau et s’accouda :

« Cinq cents, on a dit. »

La posture fière de l’étranger se courba lourdement alors même que son sourire s’affaissait. Il sortit alors de l’argent de sa poche et ce n’est qu’à ce moment qu’un rictus illumina le visage d’une des deux sœurs. L’autre était encore occupée à fumer.

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