Chapitre 3 - 1

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La Maison des Inhumaines était enveloppée de mystère. Elle se nourrissait de cette atmosphère brumeuse et sombre de lieu interdit, s’habillant d’ombre et de péchés inavoués.

Mais il y avait dans cette étroite demeure une part dangereuse de secret, une zone plus noire et cachée que la maison elle-même, un vrai monstre.

Seuls les sœurs et quelques clients semblaient savoir ce que c’était. Les autres ne pouvaient que sentir sa présence, dans un bruit ou une odeur, puis oublier aussitôt ce qu’ils venaient de remarquer, comme pour se rassurer de ce qu’on ne peut pas voir.

Après tout, rien de vraiment étrange n’était arrivé jusqu’à maintenant.

Des chuchotements de clients pressés, demandant la bête.

Le regard affolé des deux sœurs.

Quelques grognements sourds derrière une porte sans numéro.

Parfois quelques coups, quelques griffures.

Trois fois rien.

Et pourtant.

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Alice touchait les étoiles. Allongée sur le sol de sa chambre comme une lionne endormie, elle sentait l’opium remplir son âme jusqu’à la pousser hors de son corps, au-delà de la maison, au-delà de tout. La tête posée sur un oreiller, elle souriait comme une enfant, la main ouverte sur un bâton encore fumant.

Liz, elle, la regardait, silencieuse et sage, assise dans un fauteuil, comme une nourrice veillant sur un nouveau-né. Mais Alice ne dormait pas et savait qu’elle était là, toute proche. Sans ouvrir les yeux, elle murmura :

« Tu en veux ? »

Liz sortit de sa contemplation en sursautant, comme prise sur le fait, et demanda :

« Qu’est-ce que c’est ? »

La femme à barbe lui tendit le bâton de drogue :

« Du rêve. »

L’adolescente examina la boulette incandescente qui brûlait dans le réceptacle et poussa doucement la pipe d’une de ses mains :

« Non merci. »

Le bras d’Alice retomba lentement :

« Tu as tort. »

Son sourire s’estompa un petit peu :

« Ca n’aurait pas dû arriver. »

Liz se laissa glisser dans le fauteuil dans un mouvement félin pour mieux s’installer :

« J’imagine que c’est ce qu’elle voulait.

— Je ne parlais pas de Raiponce. »

Alice ouvrit doucement les yeux. Elle ne souriait plus.

« Je parlais de toi. »

Liz posa ses huit mains sur les accoudoirs et plongea ses yeux dans ceux drogués de sa collègue :

« C’est oublié maintenant.

— Non, ça ne s’oublie pas, ce genre de chose. Ce ne sont pas les risques du métier. C’est une blessure.

— Ca se soigne alors. »

Alice se redressa légèrement, comme pour prouver qu’elle savait ce qu’elle disait :

« Non, ça se venge. »

Le visage de Liz devint grave. Ses doigts dansaient nerveusement sur le tissu du fauteuil, telle une colonie de millepattes. Finalement, après une réflexion silencieuse, elle secoua la tête comme pour en faire sortir une mauvaise idée :

« Tu as trop fumé, il faut que tu te…

— Je suis sérieuse. »

Alice était maintenant ferme, le visage assombri par un regard franc :

« Nous sommes dans la même maison, dans la même famille. Nous sommes à la même place, putains et monstres à la fois. Nous sommes presque sœurs. Et je ne laisserai personne blesser ma sœur. »

Liz ferma un instant les yeux et posa une main sur son front en sueur. Des souvenirs douloureux de cette nuit malsaine ressurgissaient des profondeurs de sa mémoire. Alice continua :

« Alors la prochaine fois qu’on ose nous attaquer, je ne resterai pas à rien faire, crois-moi. »

Perdue, la tête envahie par les hurlements du traumatisme, Liz se leva en titubant :

« Il faut que j’aille dormir. »

La femme à barbe, enveloppée de fumée toxique, ne sembla pas y faire attention, le regard plongé dans le vide et la voix hargneuse :

« Si je recroise un homme comme lui… »

L’adolescente chancela jusqu’à la porte et l’ouvrit à la volée, les poumons gonflés par un besoin d’air pur.

« …avec ou sans toi… »

Elle se jeta dans le couloir pour fuir cette atmosphère empoisonnée et referma vivement le battant. Elle put tout de même entendre la voix furieuse d’Alice à travers le bois :

« Je le tue ! »

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