Chapitre 2 - 2

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« Dis, ça arrive souvent ? »

Tenant son verre de vin comme s’il s’agissait d’un sceptre, Peter observa un instant le visage fatigué de Liz :

« Qu’Alice se mette en colère ? Oui, tout le temps.

— Je parlais des suicides.

— Ah.

— Il y en a souvent ? »

La jeune fille posa deux bras sur la table, laissant ses trois autres paires sous la nappe, et plongea un regard tantôt sombre, tantôt épuisé dans celui rouge de l’albinos. Ce dernier s’essuya la bouche en se raclant la gorge et attrapa un morceau de pain :

« Tu veux vraiment en parler pendant le diner ?

— Il y a en a beaucoup ou pas ? »

Le jeune homme mal à l'aise resta un instant muet, comme pour prendre le temps de réfléchir, reniflant inconsciemment les effluves que son assiette dégageait. Une odeur de viande trop brûlée embaumait l’air, planant parmi les employés avec les vapeurs de la cuisine, aussi tenace et agréable qu’une tache de gras. Peter finit par répondre :

« Beaucoup trop à mon goût. »

Liz soupira avec fatalité et se laissa tomber sur son dossier. Après quelques secondes de silence gêné, chacun fixant mélancoliquement son assiette encore pleine, une voix émergea dans le dos de la Veuve noire :

« Alice a raison, nous allons tous crever ici. »

Helga s’assit lourdement à côté de Peter, trouvant son équilibre pour ne pas tomber de son tabouret. La salle à manger était aussi immense qu’en désordre, envahie de tables et de chaises sans cesse déplacés en fonction des besoins de chacun, et Helga n’avait jamais trouvé un siège adapté à sa morphologie. L’albinos leva ses yeux bleus sur la femme au visage joliment dodu et les rebaissa aussitôt sur son assiette pour vérifier qu’elle ne l’avait pas déjà engloutie :

« Tu sais comment remonter le moral. »

Helga attrapa un bout de pain et mordit dedans. Liz plongea son regard dans le vide, bercée par un doux chagrin qui commençait à drainer toute son énergie :

« Elles ne nous laisseront jamais sortir, n’est-ce pas ? »

Peter avala une nouvelle gorgée de vin avant de reposer son verre sur la table d’un air nonchalant :

« Ca c’est sûr, elles ne sont pas prête de nous laisser filer. Ce sont des gardiennes de prison.

— Ne soyez pas aussi durs avec elles. »

Helga les menaçait maintenant avec une fourchette, l’agitant dans leur direction pour accompagner ses paroles avant de faire glisser l’assiette de Liz devant elle :

« Elles font ce qu’elles peuvent.

— Elles font ce qu’elles veulent, plutôt.

— Elles veulent notre bien, Peter. Je le sais, il y a quelque chose de bon chez elles. Elles ne font que nous aider. »

Fatigué, le jeune homme fit un geste de la main pour capituler et se concentra de nouveau sur son verre de vin. Liz, elle, leva un regard intrigué sur la plus grosse femme du monde :

« Alice a dit que ce sont elles qui nous ont fait. Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Alors qu’Helga mangeait son assiette, Peter commença à se balancer sur sa chaise en expliquant :

« Il y a pas mal d’employés qui se rappellent d’une ombre pendant leur enfance. Ils disent que ce sont les sœurs qui sont venues pour les transformer.

— C’est faux, bien entendu.

— Ca, tu n’en sais rien. Il y en a qui ont des cicatrices, ici, apparemment. »

Liz acquiesça :

« Moi, j’en ai. »

L’énorme poitrine d’Helga se souleva quand elle soupira :

« Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas de créateur. Je dis juste que ce ne sont pas elles. Elles n’en ont pas les capacités de toute façon.

— Mais cette ombre alors ? »

La femme haussa les épaules :

« Ce que je sais, c’est que si les monstres ne vont pas à elles, comme toi, ce sont elles qui vont aux monstres. Elles recrutent, comme elles disent. »

Liz se pencha en avant en fronçant les sourcils, comme si elle essayait de résoudre une enquête intérieure :

« Et pourquoi est-ce qu’elles feraient ça ? Pour l’argent ? »

Peter contesta d’un geste de la tête :

« Tout l’argent gagné ici passe dans la nourriture, les vêtements et les besoins de la maison.

— Et on sait d’où elles viennent ? »

Helga se servit de l’eau et répondit :

« Pas vraiment. D’aussi loin que je m’en souvienne, elles ont toujours été à la tête de cet établissement. Apparemment, d’après plusieurs cadres accrochées dans leur bureau, il y a eu une époque où elles étaient… »

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