Chapitre 2 - 1

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Cette phrase, Liz l’entendit quelques semaines plus tard.

Tout commença par un hurlement, celui de Kayla, la fille qui se vantait d’être la plus petite personne au monde. Il n’était que dix heures du matin et ce cri réveilla toute la maison, serpentant dans les couloirs comme un brouillard et s’immisçant dans les esprits comme la peste. Aussitôt, les portes s’ouvrirent, les créatures apparurent enveloppées dans leurs draps et une foule s’élança vers la source de cette longue plainte qui s’était maintenant transformée en sanglots. Les sœurs siamoises furent les dernières à sortir de leur chambre en râlant, leur robe de chambre volant derrière elles tant leurs pas étaient rapides. Jane tentait tant bien que mal de se coiffer et sa sœur avait déjà une cigarette entre les lèvres, chacune essayant ainsi de se calmer avant d’affronter une nouvelle journée qui commençait manifestement mal. Tournant encore et encore dans les couloirs vides, agacées contre tous ces virages inutiles, elles atteignirent finalement le grand escalier et commencèrent à le descendre pour rejoindre la foule paniquée qui peuplait le grand salon. Puis, au milieu des marches, Jane s’arrêta pour observer la scène qui se déroulait devant ses yeux, obligeant sa sœur à en faire de même. Cette dernière, prenant sa cigarette entre deux doigts, ne lança qu’un seul mot :

« Merde. »

Le corps de Raiponce pendait nu, son ombre valsant sur les visages éplorés des prostituées comme une menace funèbre, accroché tel un vulgaire sac à la lanterne rouge. Ses cheveux retombaient en labyrinthe de mèches sur le sol, dissimulant son visage blême derrière une cascade blonde, et s’enroulaient autour d’une chaise renversée, en désordre. Kayla, qui avait découvert le cadavre, était dans les bras de l’Ange qui essayait de la consoler avec les caresses de son doux plumage. Le deuil venait brusquement de tomber sur la Maison des Inhumaines.

Cependant, parmi les pleurs et les gémissements, une révolte commençait à gronder. Bientôt, Alice émergea de la foule pour se diriger vers l’escalier en brandissant un doigt menaçant vers les propriétaires :

« C’est vous qui avez fait ça, c’est vous qui nous tuez à petits feux. On va tous finir par se foutre en l’air ! »

Les sœurs n’eurent aucune réaction immédiate, à peine un frémissement de sourcil de la part de Mary, et observèrent la femme à barbe avec nonchalance. Un silence s’installa, chacun séchant ses larmes, et la brune finit par déclarer d’une voix monocorde :

« Les risques du métier. »

Une légère houle de contestation roula dans l’assemblée mais elle fut vite couverte par la voix autoritaire de Mary :

« Les obsèques auront lieu dans deux jours, dans l’enceinte de l’établissement qui sera fermé pour l’occasion. Une tombe sera creusée dans le jardin de la maison.

— Bien entendu, personne ne pourra assister à l’enterrement. Nous ne voulons pas prendre le risque de vous voir fuir. »

Elles ajoutèrent :

« Carry. C’est toi qui t’occuperas de la maison lorsque nous serons absentes. »

Aussitôt cette phrase finie, les sœurs firent volte-face et remontèrent doucement les escaliers, en direction de leur chambre.

« Igor, occupe-toi du corps ! »

Alice, retenue par Peter, hurla à s’en briser les cordes vocales :

« C’est de votre faute ! C’est vous qui nous avez fait ! Tout le monde le sait, tout le monde ! »

Sans même se retourner, Jane lança à la prostituée :

« Tu ne sais rien, Alice. Crois-moi. »

Les sœurs siamoises disparurent dans les méandres de la maison, abandonnant leurs employées sans aucun remords ni signe d’empathie, et la femme à barbe n’eut pas la force morale de les poursuivre. Elle s’affala alors sur un fauteuil et posa un regard désespéré sur le corps de Raiponce. Derrière son rideau de cheveux dorés, le cadavre semblait afficher un sourire narquois.

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