Chapitre 1 - 3

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L’homme était beau. Large d’épaules, fin de taille, il se tenait droit et savait comment parler aux femmes pour s’accorder leur confiance. Et effectivement, Liz avait confiance. Assise sur le lit de sa chambre indienne, entourée par d’énormes coussins de satin jaunes, elle observait silencieusement cet étranger et se sentait particulièrement bien, soulagée. L’homme n’était ni sale, ni vilain. Il portait même un haut-de-forme et un veston, preuve irréfutable qu’il était d’un tempérament agréable et respectueux, ce qui ne fit qu’accroître le sentiment de sécurité qui englobait Liz de sa chaleur confortable. Il ne cessait de lui sourire, sa main délicatement posée sur le pommeau doré de sa canne, et même quand il se servit une coupe de champagne, il ne la quitta pas des yeux. Il avait quelque chose dans son regard, une étincelle, les braises d’une passion douce et romantique, une lumière qui attirait Liz comme un feu en plein hiver. Il déposa délicatement son chapeau sur un fauteuil et s’approcha du lit, proposant une coupe à la jeune fille. Cette dernière, comme surprise par cette intention, refusa. Le sourire charmeur de l’homme s’élargit :

« Vraiment ? C’est du champagne qui vient de France, ma chère, le meilleur qui soit. Vous auriez tort de ne pas poser vos belles lèvres sur ce verre, même si ce n’est que pour y goûter. »

Silencieuse et immobile, comme éblouie par cette lueur incandescente qui semblait la guetter, Liz observa un instant la coupe dans laquelle tourbillonnait un cyclone de bulles et finit par la saisir. Aussitôt, toutes ses mains semblèrent réagir au froid du verre, se crispant entre les plis des draps. Encouragée par un geste de l’inconnu, Liz cola timidement ses lèvres contre le rebord de la coupe, n’osant pas vraiment boire. L’homme posa alors un doigt sur le pied et le souleva, faisant basculer le verre et couler un peu de champagne dans la bouche de l’adolescente qui ferma aussitôt les yeux. Redonnant sa coupe à l’étranger, elle découvrit toutes les saveurs enivrantes de l’alcool qui lui pétilla sur la langue avant de lui réchauffer la gorge et de lui gonfler le cœur. Un sourire illumina aussitôt son visage et ses mains se calmèrent, gisant maintenant mollement sur le matelas, comme ivres. Elle ouvrit les yeux et posa ses yeux enthousiastes sur ceux satisfaits du client. L’homme s’avança alors vivement et l’embrassa avant de se redresser et de se repositionner devant le lit, comme un simple spectateur. Ce fut un baiser court et furtif, mais Liz sembla le recevoir comme un cadeau de passage et l’apprécier comme tel. Puis, déboutonnant sa chemise, l’Homme ordonna d’une voix passionnée :

« Montre-moi tes bras. »

Liz lâcha un rire, un rire joyeux et galant, et fit alors tomber le haut de sa robe, l’esprit étourdi par les quelques gorgées qu’elle venait de boire. Maintenant torse nue, elle ferma de nouveau les yeux pour pouvoir se concentrer sur ses huit bras qui décolèrent doucement du lit pour commencer un délicat ballet aérien. Légères comme un groupe d’oiseaux en plein vol, ses mains semblaient apparaître et disparaître dans cette chambre remplie d’ombre et de reflets, valsant en dessous des photophores suspendus. Ouvrant les paupières pour mieux voir le sourire conquis de son client, Liz s’appliqua à plonger dans ses yeux enflammés un regard félin que l’alcool rendait plus charmant encore. L’inconnu demanda alors doucement, donnant à sa proposition un aspect intime :

« Tu veux la voir ? »

Liz ne répondit pas mais continua à sourire, ce qui équivalait à un hochement de tête dans une maison close. En vérité, elle n’était pas particulièrement pressée de voir quoi que ce soit mais il lui semblait que c’était ce qu’elle devait faire. C’était son métier, après tout. Elle rassembla alors ses bras le long de son torse, posant les mains sur le bord du matelas, et attendit avec une sorte de curiosité dans le regard que l’inconnu lui soit montré. L’air amusé, l’homme fit lentement glisser ses mains en direction de son entre-jambe et déboutonna son pantalon. Aussitôt, une masse sombre chuta en direction du sol et le sourire de Liz s’évapora. La jeune fille commença alors à avoir peur. Agrippant nerveusement le matelas de ses quarante doigts, elle s’exclama d’une voix abasourdie :

« Oh mon dieu. »

L’homme éclata de rire. Il semblait prendre l’angoisse de Liz comme un compliment et se vanta même, prenant son sexe dans ses deux mains :

« Gigantesque, n’est-ce pas ? »

L’adolescente voulut se retourner mais n’arriva pas à détourner le regard de cet énorme monstre qui la guettait dans l’ombre, comme un félin en chasse. Son propriétaire s’approcha, une fierté malsaine dans le regard, et demanda avec un sourire satisfait :

« Tu la veux ? »

Liz sentait son cœur s’évaporer, devenir léger dans sa cage thoracique, comme un ballon d’hélium en train de se dégonfler. Etourdie, elle ouvrit maladroitement la bouche :

« Je… »

Son envie de vomir lui revint subitement au creux de l’estomac.

« Je ne veux plus. »

L’étranger ne quitta pas son sourire mais l’étincelle dans son regard devint un incendie menaçant. Peinant à dissimuler le bouillonnement de luxure et de violence qui envahissait peu à peu son esprit, il expliqua d’une voix horriblement calme :

« Je t’ai payé Liz, belle Liz. Tu n’as plus vraiment le choix. »

Il déboutonna doucement sa chemise puis la posa proprement à côté de son chapeau. Il vida ses poches : cigares, montre et boite de cachet furent déposées sur la commode. Il se retourna un instant vers la jeune fille, affichant un sourire presque complice :

« C’est ce que j’ai mis dans ton champagne. »

Liz n’avait rien entendu. Elle n’entendait plus rien, ne voyait plus rien à part l’horrible chose qui pendait du pantalon de son client, cette créature si démesurée qu’elle faisait de son propriétaire un monstre, comme elle. L’homme, maintenant entièrement nu, se positionna devant le lit, l’air totalement détendu :

« Ne t’inquiète pas chérie, je n’en ai pas trop mis. Tu seras consciente et tu pourras tout ressentir. Le plaisir.

— S’il vous plait, je…

— La douleur. »

Liz sentait sa langue s’engourdir, trop lourde pour pouvoir parfaitement s’articuler dans sa bouche impuissante. Elle supplia d’une voix basse, trop basse :

« Je veux partir. »

Comme seule réponse, elle ne reçut qu’un rire. L’étranger s’approcha alors du lit, à quelques centimètres d’elle, et s’arrêta, comme pour laisser Liz admirer l’horreur qui lui servait de sexe. La jeune fille, les yeux rivés sur ses plus grandes peurs, essaya alors de crier mais sentit son appel à l’aide retomber dans sa gorge sans même avoir atteint le bord de ses lèvres. Capitulant, elle se laissa alors mollement tomber en arrière et vu aussitôt l’ombre de l’inconnu s’abattre sur elle. Elle n’eut pas la force de se rappeler de sa peluche d’enfance, mais il lui restait assez d’énergie pour pleurer. L’homme, lui, ne fit que rire.

Le lendemain, Alice alla frapper au bureau des siamoises, furieuse :

« La gamine s’est faite violée. »

Les sœurs se montrèrent flegmatiques mais directes :

« Les risques du métier. »

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