Chapitre 1 - 1

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Dans l’obscurité du couloir, la luciole rougeoyante d’une cigarette allumée planait sous un long filet de fumée, comme pour attirer Liz vers elle.

« On m’a dit que tu étais vierge. »

La luciole se posa un instant sur les lèvres du jeune homme avant de disparaître derrière un nouveau nuage vaporeux.

« C’est vrai ? »

Liz s’approcha et hocha la tête, prenant soin de rester loin de cette cigarette dont l’odeur lui donnait des nausées. L’albinos sourit, ses lèvres écarlates découvrant des dents du bonheur, et s’adossa au mur sans faire attention à son costume blanc. Ses yeux devinrent verts.

« C’est Alice qui me l’a dit. Cette femme à barbe t’aime bien, je crois. »

Liz fronça les sourcils, se demandant où diable cet homme voulait en venir, puis se sentit dans l’obligation de dire quelque chose :

« Oui, elle a été très gentille avec moi. Elle m’a expliqué le fonctionnement de la maison et m’a conduit à ma chambre. »

Le regard de l’albinos vira au bleu. Il plaça une nouvelle fois sa cigarette dans sa bouche, baissant un instant la tête comme pour profiter solitairement de cette bouffée, puis posa de nouveau ses yeux sur ceux égarés de Liz. Ils étaient maintenant marron.

« Oui, elle est gentille. »

Il se redressa, sa figure pâle se découpant comme un croissant lunaire dans la pénombre du couloir.

« C’est une amie, tu sais. »

Ecrasée par cette longue silhouette cadavérique, la jeune fille sentit une lourde envie de fuite tomber dans son coeur et ouvrit timidement la bouche pour essayer de prendre congé :

« Demain, je dois me…

— Elle veut que tu couches avec moi. »

L’albinos remit calmement sa cigarette entre ses lèvres, le regard dans le vide, sa poitrine se soulevant lentement sous sa cravate noire. Il avait dit cette phrase d’une voix simple et naturelle, sans douleur ni appréhension, comme s’il avait annoncé la météo du lendemain. Liz, elle, observait le jeune homme avec incompréhension et gêne, ne sachant pas quoi faire de ses huit mains qui gigotaient, se tordaient dans son dos comme quatre couples en pleine étreinte nerveuse. Confuse, elle bégaya :

« Je… Disons que je… Je ne sais pas vraiment si…

— Je connais cette souffrance. »

Il ne restait rien d’autre de sa cigarette qu’un mégot encore fumant. Il le jeta négligemment dans un vase trainant sur un guéridon poussiéreux et laissa retomber son dos sur le vieux papier peint abîmé :

« Cette souffrance de perdre sa virginité contre une belle somme d’argent. »

Il enfouit ses mains dans les poches de son pantalon :

« Dans ce cas-là, cette nuit peut te rapporter le triple de ce que tu vaux d’habitude. Il y a des centaines de pervers qui bavent à la pensée d’une gamine encore pure, dans les rues de Londres. Au moins, avec moi, t’es sûre de ne pas tomber sur un dégénéré qui risque de te dégoûter plus qu’autre chose. »

L’albinos sourit de nouveau mais son regard gris n’avait plus rien de malicieux. Il était grave et profondément sombre.

« Tu sais comment je m’appelle ? »

Liz, immobile, ne répondit pas.

« Peter. Mais ici, on préfère le Vampire. C’est plus théâtral, à ce qu’on dit. »

Le jeune homme laissa échapper un petit rire, un rire étouffé et sec, un rire qui sonnait comme une insulte.

« On a même taillé mes dents pour qu’elles soient pointues. C’est ridicule mais bon, c’est le métier qui veut ça apparemment. »

L’adolescente avait toujours envie de fuir, mais ses jambes ne semblaient pas vouloir lui obéir et ses yeux étaient maintenant absorbés par le regard polychrome du jeune homme, comme hypnotisés.

« Tu sais, quand je suis arrivé ici, j’étais seulement albinos. Un mec pâle au regard noir. C’est après avoir perdu ma virginité que mes yeux ont commencé à changer de couleur. »

Il sortit une nouvelle cigarette et l’alluma :

« Un effet secondaire du trop-plein de larmes, tu comprends. »

Il ferma les yeux et ses lèvres tremblèrent lorsqu’il réprima un léger soupir. Il porta le bâtonnet de tabac à sa bouche et sembla se relaxer, rouvrant doucement les paupières sur un regard plus clair. Liz, figée, resta ainsi pendant quelques secondes, silencieuse et mal-à-l’aise, puis trouva la force de parler. Elle s’entendit dire :

« Je dois dormir. Désolée. »

Ses pieds pivotèrent et ses jambes se mirent en marche sous les dentelles de sa robe, alors même que son regard restait envahi de douleur et d’empathie. Alors qu’elle était au bout du corridor, sur le point de tourner, Peter ajouta en criant :

« J’avais douze ans. »

Liz ne s’arrêta pas, ne ralentit pas, mais le jeune homme remarqua bien le sanglot qui la secoua juste avant qu’elle ne disparaisse au coin du couloir. Il chuchota comme pour lui-même :

« Et bien, comme tu voudras, chère Liz. J’espère juste que rien de méchant ne t’arrivera. »

Son regard était alors violet.

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