7 - Damian

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Damian

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   L'ambiance dans les vestiaires est aux préparatifs pour notre chorégraphie e mi-temps. Lu m'a expliqué qu'à chaque manifestation sportive, nous devions présenter deux chorégraphies, l'une en début de match, et l'une à la mi-temps pour garder le public dans l'ambiance du match.

Je me dénoue la cheville en faisant lentement tourner mon pied : un peu mal réceptionné après un salto lors de notre première chorégraphie, j'ai un léger lancement depuis.

Lu s'approche de moi, sa queue de cheval impeccable sur le haut de son crâne, sa tenue parfaitement ajustée pour notre prochain passage.

— J'ai vu tes frangins dans les gradins avec Ariana. C'est qui le type avec elle ? Son nouveau mec ?

Probable, j'ai envie de répondre, avant de me reprendre et d'offrir une œillade lasse à ma capitaine.

— Non, notre nouveau voisin. C'est le frère de Sam.

— Le gamin qui était avec toi l'autre jour ?

— Ouais.

— Il est mignon. Pas du tout le genre qui devrait se promener dans les couloirs de ce bahut.

— Pas le choix. Raf, son frère, il a trouvé un job dans le coin.

Elle hoche pensivement la tête, avant de héler Asha et Jaime, deux membres de l'équipe en plein échange langoureux contre les casiers.

— Pensez à votre maquillage ! Asha !

Elle s'éloigne, et je finis de réchauffer ma cheville avant de me relever pour faire quelques pas autour des casiers. Ça tiendra bien le temps de la seconde chorégraphie ; à la maison, je mettrai de la glace, et tout ira pour le mieux.

La sensation sur le terrain, était assez indescriptible, entre l'extase et l'asphyxie, un mélange étonnant de bonheur et de peur viscérale. Avant que la chorégraphie ne commence, j'ai senti mes jambes flageoler, et cette sensation m'a étonnée. D'ordinaire, je ne doute jamais de moi, de mes mouvements ou de mes paroles. Alors lorsque le trac m'a pris, j'ai redécouvert ce sentiment.

Je suis toujours plongé dans mes pensées lorsqu'on toque à la porte des vestiaires. Quatre coups secs, rapides, que Lu préfère ignorer une première fois, avant qu'ils ne recommencent.

— C'est réservé à l'équipe ! brame t-elle.

La porte s'ouvre tout de même, et je sursaute en voyant la tête de Rafaël passer par l'entrebâillement de la porte.

Il a l'air plutôt serein malgré l'éclat pressant dans ses yeux.

— Dam, je peux te parler ?

Je jette un regard autour de moi comme pour vérifier qu'il me parle bien à moi, et je commence à peine à m'avancer lorsqu'un bruit au dehors me pétrifie sur place.

Un coup de feu.

Puis un deuxième.

Et un troisième.

Les cris ne commencent à retentir qu'à partir de ce moment-là, et je sens mes jambes lâcher sous moi.

Rafaël a blêmit au moment où les coups de feu ont éclaté, et je sens mon cœur remonter le long de ma gorge pour échouer au bord de mes lèvres.

Un nouveau coup de feu dehors me ramène brutalement à moi, de même que le chaos qui éclate enfin au sein de l'équipe.

— Damian viens !

La main de Rafaël se referme sur mon poignet et me tire en avant sans aucun ménagement.

Je trébuche, et ma cheville me lance à nouveau. Dans une grimace, je me rattrape du mieux que je peux au bras de Rafaël qui me soutient un instant avant de me couler un regard interrogateur.

— Tu as mal quelque part ?

— La cheville, mais ça va. Pourquoi t'es là ?

— Je devais venir te chercher avant que ça ne dérape là-bas.

Il était au courant ?

— Pourquoi t'es pas avec ma sœur ? C'est vers les gradins que ça craint le plus !

— Parce qu'elle m'a demandé de venir te chercher. Mais t'en fais pas, elle a un flingue...

L'air m'est arraché en un instant. L'impression que mes poumons se vident en quelques mirco-secondes me cloue sur place, et je plante mon regard dans celui de Rafaël.

— Il est pas chargé.

— Quoi ? s'inquiète t-il en m'entraînant à sa suite.

— Je l'ai vidé l'autre jour pour récupérer les balles et m'entraîner à tirer avec Julio. Son flingue est vide putain !

Un nouveau coup de feu, et mon cœur s'emballe. Je me défais de l'emprise de Rafaël, et me mets à courir le plus vite que ma cheville fragile me le permet, sans tenir compte des appels de mon voisin derrière moi.

Ariana, Mikky, Danny, Sam, doivent sans doute toujours être sur les gradins, sans moyen de se défendre.

Les vestiaires de l'équipe ne sont qu'à quelques dizaines de mètres du stade, et d'ici je peux d'ores et déjà constater le chaos qui y règne. La masse grouillante d'élèves et de parents qui se pressait il y a peu pour monter dans les gradins se bat désormais pour en descendre. Quelques personnes sont déjà sur les parkings, et tentent d'en sortir en klaxonnant à tout va. Les plus vieux courent en tenant les plus jeunes sur leurs épaules, se bousculent pour mieux progresser vers la porte de sortie, l’échappatoire.

Nous avons l'habitude des fusillades à Soledo, sans que cela ne soit totalement devenu la norme non plus. C'est pour ça que l'angoisse est toujours aussi grande, toujours aussi douloureuse. On craint pour sa vie, on oublie celle des autres.

Je me passe rapidement la langue sur les lèvres, et prends cette véritable vague humaine à contre courant. Eux veulent sortir, moi je veux rentrer.

Dans le flou, au milieu de cette marrée de monde, je repère Duke et l'attrape par le bas de son maillot de foot.

— Duke, t'as pas vu Ariana ?

— Mec c'est la merde, je... je crois qu'on lui a tiré dessus.

Mon sang bat plus fort à mes oreilles, me paraît vouloir jaillir de mes veines pour retrouver sa liberté. L'air me manque à nouveau, mais je secoue la tête.

Papa disait toujours : « Face à la panique du monde, garde la tienne bien en cage. Plusieurs paniques ne valent pas mieux qu'une. Soit celui qui relativise, celui qui enraye la machine ».

Facile à dire.

— Y retourne pas mec, c'est un règlement de compte entre gangs et...

Il se mord immédiatement la lèvre, et se passe une main sur le front.

— Ouais euh...

Je me fais bousculer par une femme qui s'enfuit en tenant fort son bébé dans ses bras, et suis retenu par la main ferme de Rafaël sur mon bras.

— Lâche-moi !

— Tu vas pas foncer dans le tas comme ça si ? Dam, c'est après ta famille qu'ils en ont.

— La belle affaire, c'est pas la première fois. Alors lâche-moi putain.

Je rue et me libère une nouvelle fois de sa prise avant d'à nouveau fondre dans la foule.

Contre toute attente, Duke m'emboîte le pas, et me conduit à travers le monde. Il est plus grand que moi, et a donc une meilleur visibilité.

En quelques instants, nous nous retrouvons en bas des gradins, et une nouvelle fois, on me coupe l'oxygène : Ariana est toujours à sa place dans les gradins, mais elle est seule. Les jumeaux et Samuel ont disparus.

J'ai envie de hurler son nom, m'assurer qu'elle va bien, mais si j'agis ainsi, je me ferais repérer et n'aiderais en rien dans cette affaire.

De plus, elle est tenue en joue, par un type que je reconnais vaguement comme appartenant à un gang que mon frère a mis à sac la semaine dernière. Je l'ai déjà vu attendre Lenni, un mec de mon âge, à la sortie des cours dans une voiture aux vitres teintées.

Duke se poste devant moi, comme pour me camoufler à leur vue, et au même moment j'intercepte le passage furtif de Julio, à quelques pas de moi.

— Julio, je l'apostrophe de ma plus petite voix.

Il me repère avec un haussement de sourcil surpris, et se voûte pour nous rejoindre sans se faire repérer.

— Ils tiennent Ariana putain, je murmure lorsqu'il s'approche de moi.

— Ok chico, toi et ton pote, vous vous barrez sur les parkings, et vous vous cassez. On est là, on va gérer ça.

Pour ponctuer ses mots, il soulève son tee-shirt pour nous laisser entrevoir l'arme brillante à sa hanche.

— H est en train de monter sur les gradins par l'arrière. Il va les prendre à revers.

J'acquiesce, et retient le frisson qui menace de me secouer de la tête aux pieds. Ne pas montrer la peur, ne pas se montrer faible, en toute circonstance.

Plus facile à dire qu'à faire.

Julio m'ébouriffe les cheveux, et me repousse vers l'arrière.

— Allez, dégage, je vais te la ramener ti hermana.

Duke passe un bras autour de mes épaules, et m'accompagne vers la sortie.

Un nouveau coup de feu suit de près notre retrait.

Sur le parking, c'est la folie. Les gens se tassent dans les voitures des uns des autres. Les personnes venues seules se trouvent des chauffeurs, des parents supplient d'autres de prendre leurs enfants avec eux.

Et le pire, c'est que j'ai déjà vécu tout ça. Ça ne devrait pas autant m'affecter.

— Damian !

Je ne me sens pas bien du tout. La nausée m'a repris, ma cheville hurle à la mort, ma volonté me scie le crâne en deux : j'aimerais être partout ailleurs. Les maux de tête causés par la cuite d'hier soir me reprennent, me donnent soudainement envie de vomir, là, sur l'asphalte.

Duke me secoue, et me pointe du doigt la voiture qui vient de s'arrêter face à nous. Rafaël est au volant, et Samuel est sur le siège passager.

— Damian ! hurle-il à nouveau.

Ce n'est ni Samuel, ni Rafaël qui me hurle dessus, mais Mikky, par la fenêtre arrière de la voiture.

— Allez, fonce, je vais rejoindre mes parents, m'encourage Duke en me poussant vers la portière arrière.

Danny m'ouvre, et je m'engouffre à l'intérieur après avoir remercié Duke d'une voix éteinte.

À peine la portière est-elle fermée que Rafaël démarre sur les chapeaux de roues, sort du parking en quelques secondes et se met à rouler à toute vitesse dans la rue.

— Je vous pose chez vous, et je retourne chercher votre sœur.

Sa voix est sans appel. Samuel se retourne vers moi et me tend une main que j'attrape au ralenti. Il la serre dans la sienne, et je sers moi-même celle de Danny.

Les jumeaux m'épatent : ni l'un ni l'autre n'a flanché. Ils restent stoïques, bien que leurs visages soient fermés.

— Je te passerais un flingue à la maison, je lance à Rafaël.

— Pas la peine, j'en ai un.

Son frère lui décoche un regard outré, mais revient vite vers moi avec un froncement de sourcils.

— Est-ce que ça va aller ?

Je hoche vigoureusement la tête en pinçant les lèvres.

Évidemment que ça va aller, il le faut bien.

Rafaël nous dépose tous à la maison, nous prie de nous enfermer à l'intérieur et de n'ouvrir à personne, sous aucun prétexte, avant de repartir en direction du lycée.

Les jumeaux s'écroulent sur le canapé, serrés l'un contre l'autre à la façon de deux chatons cherchant le réconfort, tandis que je reste planté dans l'entrée. L'envie de vomir est plus présente que jamais : je devrais être là-bas, avec H et Ariana.

Samuel va rapidement faire un point avec mes petits frères, leur propose un chocolat chaud, qu'ils acceptent pour la forme avant de revenir vers moi.

— Hé, tout va bien se passer. Ils vont la ramener Ariana.

— Si j'avais pas pris ces putains de balles...

— Dami, commence pas à culpabiliser. Viens.

Il enroule ses doigts autour de mon poignet et m'entraîne vers notre cuisine. À partir de là, il me force à m'asseoir à table, et s'affaire pour trouver de quoi préparer les chocolats promis aux jumeaux.

Il a l'air très serein, et pourtant son frère vient de repartir au milieu de la mêlée.

Les portes des placards claquent au rythme de ses recherches, et je finis par me lever pour aller l'aider.

Le cacao est caché dans le placard des produits d'entretien, pour éviter que Mikky ne le mange à la cuillère, Samuel ne risque pas de le trouver tout seul.

— Comment tu peux être aussi serein ? je l'interroge d'une voix que j'espère infaillible.

— Parce que j'ai confiance en Raf. Il va ramener Ariana, et sans une égratignure. Tu sais, il a été militaire avant.

Je hoche doucement la tête, imaginant très bien Rafaël en train de s'entraîner à West Point, dans l'uniforme caractéristique de l'US Army. Et puis, cela expliquerait également ses fréquentations, desquelles je ne citerai pas Jay, qui m'a parut encore plus louche que lui.

— Dam, tu veux vraiment faire partie du gang de ton père ?

Je coule un regard en coin à Samuel, étonné qu'il aborde le sujet de façon aussi frontale. Il a braqué sur moi ses grands yeux dépourvus de toute faiblesse en cet instant, alors qu'il me défie de détourner le regard.

— Oui, Samuel.

Il acquiesce, et se mord la lèvre en s'excusant de porter les tasses aux jumeaux, pendant que je reste dans la cuisine. Il me semble avoir vu passer une ombre plus qu'inquiète dans ses yeux, mais peut-être l'ai-je imaginé.

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