4. Surprotection 

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Sitôt rentrée de la soirée d’Halloween, je retire ma perruque et  m’examine attentivement. Mon corset est légèrement de travers. Je passe mes doigts sur ma peau, recréant les gestes de mon inconnu. Aucune trace de son passage ne persiste sur moi. Sauf une. 

Je fais glisser ma bretelle et palpe la rougeur sur mon épaule. J’en suis le contour, image de ses lèvres imprimée dans ma chair. Brûlante, je ferme les yeux. 

Je me remémore ses gestes, son odeur, sa passion. Je veux le revoir. Je veux le sentir à nouveau. J’ai peur de l’oublier. J’ai peur de l’idéaliser. Mais comment le retrouver? Je pourrais demander à Kurt ou aux autres. Cependant, il faudrait qu’ils sachent. Ils ne me répondraient certainement pas sans poser de questions. Moi, à la recherche d’un garçon, ce serait la fin du monde. Il faudrait aussi que j’avoue être venue à leur soirée. Autant éviter l’idée. Je me résigne donc. 

Si jamais il a une copine, devrait-elle savoir ce que fait son homme en soirée… Est-ce que je veux être avec quelqu’un capable de tromper sa copine? A-t-il une autre raison de s’être comporté comme il l’a fait? Je pourrais ne pas l’intéresser…

Les souvenirs m’envahissent à nouveau. Sa fougue, son désir… 

Je décide de couper court à mes divagations, une douche et au lit! 

Pourtant, dès le lendemain, impossible de penser à autre chose. Le soleil réchauffe la pièce à vivre de ses doux rayon, mais mon humeur reste morose. Autour de la table du petit déjeuner, toutes les discussions tournent autour de la soirée. Anouk ne parle que de la sienne. 

  • C’était vraiment génial! La musique était chouette! Mes copains de droit étaient tous là, on a pu discuter aussi avec des deuxièmes années, des troisième etc. Je suis trop contente qu’on y soit allées! Je n’ai pas réussi à trouver Liam de la soirée par contre…

Comment aurait-elle pu? Il était entre les seins d’une sorcière. 

  • Du coup je me suis rabattue sur un première année plutôt mignon. 

« Rabattue »? Tiens, je ne savais pas qu’elle craquait sur Liam maintenant. Je croyais que c’était toujours sur Hyas. Elle disait que les beaux musiciens blonds étaient irrésistibles. Enfin, avant Hyas c’était sur Yanis. Un médecin qu’elle aurait bien laissé l’ausculter. Je me demande si Kurt y est passé aussi? Liam est sûrement sa cible du moment parce qu’il est en droit lui aussi.

  • Ce n’était pas Liam,…

Ses yeux papillonnent.

  • … mais c’était bien quand même. Je me suis trouvée un nouveau chouchou. Il me filera tous ses cours!

L’avantage des monologues d’Anouk, c’est que je n’ai pas besoin de parler pendant un long moment. 

  • Moi aussi j’ai rencontré quelqu’un, réplique Oriane avec un petit sourire. 

Je me redresse, je savais bien qu’il y avait eu quelque chose!

  • Raconte! la pressé-je avec impatience. 
  • Comme Hyas est mon parrain, il m’a présenté des deuxièmes années. C’est à ce moment que j’ai rencontré Adam.

Oh la cachotière! Je m’exclame :

  • C’est pour ça que tu voulais aller à la fête d’Halloween!

Oriane hoche la tête.

  • Il est trop mignon. On doit se revoir pendant les vacances! Mais toi aussi tu as des choses raconter Mia…

Je lui donne immédiatement un coup de pied sous la table. Mais il est trop tard. Elle pince les lèvres pour ne pas trop sourire au moment où Anouk se dresse comme un ressort, à l’affût.

  • Il s’est passé un truc que tu ne veux pas me dire? ronchonne cette dernière. Raconte vite!

Je soupire, cède et raconte, dans les grandes lignes, ma rencontre avec mon inconnu. J’évite les détails trop intimes, ce qui ne m’évite pas les exclamations et les sifflements appréciateurs de mes colocataires. J’omets également ma rencontre fortuite avec Liam. 

  • C’est trop bien! Tu te lâches Mia! s’extasie Anouk, qui se trémousse sur sa chaise.
  • Oh arrête, ce n’est pas comme si j’étais prude! Tu as déjà rencontré mes précédents copains.
  • Oui, confirme mon amie, mais tu ne t’es jamais lâchée quand il y avait la clique! C’est un grand pas en avant!
  • C’est vrai qu’ils ne pourront pas toujours te contrôler, confirme Oriane. C’est bien que tu les oblige à accepter ton indépendance.

Je soupire. 

  • Malheureusement, on n’en est pas encore là…
  • T’inquiète! ajoute Anouk. Je vais demander aux garçons s’ils savent qui était en Zorro. Toi, ils t’enverraient paître, mais moi, ils ne pourront pas me le refuser!

Ca, c’est une très bonne idée! C’est plus légère, que j’avale mon petit déjeuner. 

Cependant, les jours s'égrainent, les vacances s’écoulent, sans nouvelles. Le suçon sur mon épaule vire au violet. La fac reprend. Sous mon t-shirt, le suçon, devenu jaune, est presque invisible. Je commence à me dire que je ne reverrai jamais mon inconnu. 

Je rumine, entourée de Romain, Abdel et Victoria quand un étudiant se plante devant moi.

  • Salut, Mia c’est ça? 
  • Oui?
  • Euh… je peux te parler, en privé?

J’accepte et nous nous éloignons de mes camarades.

  • Je… Je voulais m’excuser. 
  • T’excuser de quoi? 
  • Je m’appelle Yann. Je suis en première année de droit. En fait, à moins que je ne me trompe, on s’est déjà vu toi et moi. Le soir d’Halloween.

Je me fige. J’attends la suite, tremblante.

  • Tu étais à la soirée d’Halloween de Liam, non? 

Je déglutis avec difficulté et hoche la tête. 

  • Tu étais bien déguisée en Harley Quinn? 

Ma respiration devient irrégulière. J'acquiesce. Est-ce que c’est vraiment en train d’arriver? 

  • Moi, j’étais en Zorro.

Mon cœur rate un battement. Mon Zorro est-il vraiment venu me retrouver? 

J’examine le garçon qui se tient face à moi. Il est grand. Ses cheveux châtains font des boucles. Ses yeux sont d’un marron terne. Impossible de confirmer son identité. Je ne sais qu’une chose de mon inconnu.

  • Dans ce cas, tu sais ce qui s’est passé? 

Il rougit. 

  • Ben… ouais. C’est bien pour ça que je voulais m’excuser.

Seulement s’excuser? Espère-t-il davantage de moi? Pourquoi être parti de cette façon? Veut-il que je lui demande? Que je lui cours après? Il est plus sage de couper court. Je ne sais rien de lui.

  • D’accord. Excuses acceptées. Sur ce, bonne journée.
  • Attends! Ça te dirait de sortir avec moi?

Je me mords la lèvre. Que faire?  Je devrais peut-être accepter. Mon suçon devient brûlant sous mes vêtements. Ce passage dans le cellier me hante encore. 

Il remarque mon hésitation. Je perçois une lueur dans ses yeux. Une lueur qui ne me plaît pas, lubrique.

  • Pourquoi es-tu parti?
  • Pardon? 
  • Le soir d’Halloween, pourquoi es-tu parti?

Il hésite. 

Je dois être sûre et je ne sais qu’une chose de mon inconnu. 

Je m’approche de Yann qui m’observe mal à l’aise. Je passe mes bras autour de son cou et lui murmure : 

  • Tu peux m’embrasser.

L’étudiant en droit n’en croit pas sa chance. Il pose ses mains sur mes hanches et se presse sans douceur sur mes lèvres. Il introduit immédiatement sa langue dans ma bouche, limace dégoulinante de salive. 

Oui, je ne sais qu’une chose de mon inconnu, sa façon d’embrasser. Et ça n’a rien à voir. J’ai la nausée. 

J’entends un cri non loin. Je n’y prête aucune attention. J’essaie de me libérer de ce fourbe, mais il me maintient contre lui. 

S’il pense pouvoir faire ce qu’il veut de moi, il se trompe lourdement. Je tiens fermement ses épaules et lui assène un coup de genoux énergique entre les jambes. 

Il n’a pas le temps de me lâcher qu’un bras solide s’empare de moi et me tire en arrière. De l’autre main, l’homme venu m’aider repousse mon agresseur avec violence. L’étudiant de droit s’écroule au sol en beuglant, les mains plaquées sur ses parties intimes. 

Je lève les yeux et découvre un Liam au regard noir, les pupilles et les narines dilatées. Il est hors de lui. Je l’ai déjà vu dans cet état. Je le sens prêt à frapper le garçon au sol. 

Il esquisse un mouvement pour me lâcher et se ruer sur sa victime. Je m’interpose, le saisis par le col et l’oblige à me regarder.

  • Liam! Je vais bien!
  • Ce porc a…
  • C’est moi qui lui ai dit de m’embrasser!

Il tressaille. 

  • Quoi? 

Je voulais vérifier quelque chose. Je voulais qu’il m’embrasse. 

  • Mais, pourquoi tu l’as frappé alors? 
  • Parce qu’il n’a pas voulu me lâcher. 

Il se pince l’arrête du nez, indifférent à la présence des autres étudiants qui observent la scène.

  • Je ne comprends plus rien. Tu embrasses des mecs comme ça? Pour vérifier des trucs? Alors que tu n’en a même pas envie?
  • Liam, quelle que soit la raison pour laquelle « j’embrasse des mecs », ça ne te regarde pas. Il ne voulait pas me laisser partir, alors je l’ai obligé à le faire. Point. 

Je le lache, enjambe Yann qui pleure comme un bébé et me dirige vers les toilettes pour me rincer la bouche. Liam me rattrape et se plante devant moi. 

  • Tu ne peux pas faire ce genre de choses Mia!

J’ai du mal à respirer. Je commence à voir rouge. J’ai l’impression de revivre ma première année de lycée. Le flicage, le jugement. « Mia ne doit pas sortir avec n’importe qui. Le copain digne de Mia devra convenir à toute la bande. Mia mérite mieux. » Mia ne doit surtout pas décider elle-même de ce qu’elle veut et de qui elle veut! Non! Mia est sûrement trop cruche pour s’occuper de Mia! Sauf que j’ai deux ans de plus. Je ne suis plus une enfant et j’ai bien l’intention de ne pas me laisser faire!

  • Fout-moi la paix Liam! Ce n’est qu’un baiser!

Je le contourne et reprends mon chemin, les poings serrés.

  • Hors de question ma petite! Ton frère me tuerait si je n’intervenais pas. 

Il me barre à nouveau le passage.

  • Promets-moi de ne pas recommencer ça.
  • Oh? Vraiment? 

Je me tourne vers le premier étudiant venu.

  • Salut, ça te dit un petit baiser? 

Le garçon surpris n’a pas le temps de répondre que Liam s’interpose. 

  • Dégage, lance-t-il froidement à l’étudiant qui détale sans demander son reste.

Il se tourne vers moi les bras croisés.

  • Arrête de te comporter comme ça.
  • Je fais ce que je veux! Et tu es bien mal placé pour me juger! On reparle de tes conquêtes d’un soir? 
  • C’est différent! 
  • Ah bon? En quoi? C’est normal pour toi parce que tu es un homme c’est ça? Une fille ne doit pas se comporter comme ça? Pense à faire passer le messages aux filles avec qui tu couches en soirée!

L’image de la sorcière me revient en mémoire. Il est quand même gonflé! 

  • Mais non! C’est différent parce que c’est toi, c’est tout! Tu ne peux pas fourrer ta langue dans la bouche du premier venu!

Ça y est, je suis en rage. 

  • Mon vieux, si tu savais où ma langue a déjà traîné!

Je dis n’importe quoi. Je veux le provoquer. Je veux le choquer. Je veux qu’il arrête de penser que je ne suis qu’une petite fille qu’il faut protéger.

  • Stop! exige-t-il.
  • Qu’est-ce que tu crois? Que je n’ai jamais léché une queue? Va te faire foutre Liam!

Il grimace comme s’il avait reçu un coup de poing. Je profite de sa stupeur pour filer aux toilettes. Je m’enferme dans une cabine et m’accroupis. Mon cœur me fait mal tant il bat vite. Je suis essoufflée. Les larmes de colère me piquent les yeux.

Pour qui se prend-il? Je ne suis pas une petite chose fragile qu’il a le devoir de protéger! Je n’ai pas besoin de lui! Comme si un grand frère surprotecteur ce n’était pas assez! Il faut que ses potes jouent les clones!

Je m’efforce de reprendre ma respiration quand j’entends une petite voix m’appeler. 

  • Mia? Ça va aller? 

C’est Victoria. Elle a dû assister à toute la scène… comme tout le monde… La honte s’ajoute à la pile de sentiments négatifs qui me ronge.

  • Je sors timidement de ma cabine, tête basse. 
  • Désolée, Vic… Ça ne devait pas être agréable à regarder… 

Elle me serre dans ses bras.

  • Ça a du être encore plus dur à vivre… Tu as été très courageuse. Tu as raison de lui tenir tête. Allez, viens.

Elle m’entraîne vers les lavabos. Je me passe de l’eau sur la figure et me rince la bouche.

  • J’ai trop honte… Je ne veux plus jamais sortir de ces toilettes…
  • Mais non, ne t’inquiète pas, me rassure ma condisciple. Ici on a déjà vu de tout. Ce n’est pas une petite dispute qui va nous traumatiser. Mais j’avoue que je réalise mieux ce que tu nous disais avant Halloween… Liam est toujours comme ça avec toi? 
  • Il se sent responsable parce que Kurt n’est pas là, dis-je en soupirant.. Ce discours, c’est celui de mon frère. Liam n’est que son double zélé.

Nous sortons des toilettes. Romain et Abdel nous attendent, angoissés, accompagnés de… Zek. Oh non… pas encore…

Je fais demi-tour pour me réfugier dans les toilettes. 

  • Attends Mia! m’interpelle Zek en m’attrapant le bras. 

Il me relâche tout de suite. Il a la mine déconfite et inquiète.

  • J’ai calmé Liam. Tes amis m’ont raconté ce qui s’est passé. Ça va?

Je hoche la tête. Une boule se forme dans ma gorge. 

  • Pourquoi as-tu fais ça?

La colère ressurgit.

  • Parce que c’est ma faute, évidemment?
  • Non! se défend mon aîné en levant les mains en signe de paix. Je voulais juste comprendre ce qu'il s’était passé. 
  • Ce qu'il s’est passé? J’ai eu envie de laisser un garçon m’embrasser. Ça ne m’a pas plu et je l’ai repoussé. C’est tout! Ça n’allait pas plus loin jusqu’à ce que ce crétin de Liam se mêle de ce qui ne le regardait pas en voulant jouer les grands frères. Tu comptes faire comme lui? Tu vas aussi m’engueuler? Tu vas essayer de diriger ma vie comme le souhaite Kurt?

Les larmes traîtresses commencent à se déverser.

  • Non, répond Zek en s’approchant. 

Il m’ouvre les bras. Son regard bienveillant me réchauffe tel un baume purificateur. Ma colère s’envole. Je me jette dans ses bras et pleure à chaudes larmes.. 

J’entends Zek dire à mes amis de ne pas m’attendre.

Il m’enlace et me serre contre son cœur. Son parfum m’enveloppe. Ses notes familières me rassurent et m’appaisent. Je reste là de longues minutes, jusqu’à ce que la dernière larme se soit asséchée.

  • Ça va mieux? me demande-t-il.

Je le lache et opine de la tête. J’ose à peine le regarder.

  • Merci. Je suis désolée pour ça. 
  • Moi aussi, confirme Zek. Tu sais que Liam n’a pas fait ça pour te blesser n’est-ce pas? 
  • Oui, je le sais. Mais ça ne rend pas son acte moins grave pour autant.

Au contraire, ça me met encore plus en colère. Ça me donne l’impression d’être une poupée de porcelaine qui ne doit rien faire au risque de se briser.

  • Il cherche seulement à te protéger, comme chacun d’entre nous.
  • Sauf que je n’ai pas besoin de votre protection. 

Il hausse les épaules.

  • On a tous besoin de protection par moment. Mais il faut savoir à quel moment intervenir. Liam n’a pas choisi le bon. Il veut seulement ton bien. 

Et à quel moment ils pensent avoir besoin de ma protection, eux?

  • Zek, je ne suis plus une petite fille. Si je veux embrasser ou même coucher avec quelqu’un, ça ne regarde que moi. 
  • Je comprends. C’est vrai que tu auras bientôt 18 ans. Mais ne te laisse pas berner. Je peux essayer de faire comprendre aux autres que tu es une femme maintenant. Mais même quand tu auras trente ou quarante ans, je te garantis que si quelqu’un essaie de te faire du mal, nous serons cinq à lui tomber dessus.

Je suis touchée qu’il se soucie autant de moi, mais c’est ma vie, mes choix et mes erreurs.

  • Seulement si je demande de l’aide, d’accord?

Il secoue la tête.

  • Admettons que tu tombes sur quelqu’un qui te maltraite? Tu sais que les femmes battues demandent rarement de l’aide? Je ne peux pas te promettre d’attendre que tu le demandes.

J’éclate de rire.

  • Tu penses vraiment que je me laisserai taper dessus?
  • On ne sait jamais, réplique-t-il en haussant les épaules.

Un sourire radieux illumine son visage. Sa douceur est contagieuse. Mes lèvres s’étirent à leur tour. 

J’essaie de me souvenir quel était le déguisement de Zek à Halloween. Impossible de m’en rappeler. Il n’avait ni masque, ni chapeau, ça j’en suis certaine. Ce sont des accessoires qui s’enlèvent facilement… 

Se pourrait-il que Zek soit mon inconnu?

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