5. Détente

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Le soleil se couche quand je me dirige vers le tram. Je quitte la fac comme un zombie. Seule. Plus rien ne m’atteint. Je ne sens que la brûlure du suçon sur mon épaule.

Zek… il est possible que mon inconnu soit Zek. Je ne sais pas quoi en penser. Mon cœur s’affole quand je pense à mon Zorro, pas quand je pense à Zek. Avec lui, c’est rassurant, doux, pas passionné et viscéral. Est-ce qu’il m’aurait caché une partie de sa personnalité pendant des années ?

Je longe l’avenue Gambetta, bordée d’immenses platanes, aveugle à ce qui m’entoure.

Si je lui demande et que ce n’est pas lui, je vais passer pour une idiote. Mon inconnu peut être absolument n’importe qui. Avec Zek, je ne peux pas tenter la méthode du baiser… Il n’accepterait pas, et même dans ce cas, s’il ressent quelque chose pour moi et que moi, je ne ressens rien ? Comment faire ? Ou si au contraire, il me plaît, mais que ce n’est pas réciproque ? Notre relation serait brisée à jamais.

Je me torture pendant des heures. Au cours du repas, je ne mange presque rien. Je n’entends même pas le babillage d’Anouk et Oriane. Elles n’ont pas senti que quelque chose clochait. Elles ne m’ont posé aucune question. Si elles l’ont fait, je ne m’en suis pas rendue compte. De toute façon, Anouk parle sûrement de Liam ou de sa dernière conquête et Oriane doit rêver d’Adam.

Sous la douche, je repense aux bras de Zek autour de moi. J’étais bien dans ses bras, mais comment qualifier ce que j’ai ressenti ? Ce n’était pas excitant comme dans le cellier. Mais était-ce comme si Kurt m’avait serrée contre lui ? Non. Et ce parfum entêtant. Il m’était familier.

Je passe et repasse les doigts sur mon suçon. C’est insupportable ! Je craque. J’attrape ma robe de chambre, file jusqu’à la porte d’Oriane et frappe.

Son téléphone à la main, mon amie m’invite à enter chez elle. Comme toujours, sa chambre est en désordre. Des vêtements sont éparpillés de-ci de là, un paquet de bonbons repose sur sa table de nuit et un livre est ouvert sur le bureau. Elle finit d’écrire un message, me fait signe de m’assoir sur le lit et m’y rejoint.

  • Adam ? supposé-je.

Elle hoche la tête, un sourire aux lèvres avant de prendre un air grave.

  • Tu veux me dire ce qui te tracasse ?

J’aurais dû savoir qu’elle le verrait.

  • C'était si évident ?

Elle éclate de rire.

  • Carrément ! Tu étais un zombi à table. Tu n’as même pas réagi quand j’ai parlé des problèmes que j’avais en maths.

Ah mince… Moi qui croyais que la discussion n’avait tourné qu’autour des garçons.

  • Je suis désolée ! Je suis la pire amie du monde ! C’est quoi ton problème en maths ? Je ne pourrais pas faire grand-chose, ce n’est pas ma spécialité, mais je peux au moins t’écouter.

Elle secoue la tête et montre son téléphone.

  • Ça va, t’inquiète. Je discutais justement avec Adam. Hyas et lui vont m’aider. Apparemment, le prof redonne le même cours tous les ans. Ils vont me le filer et m’expliquer. C’est vraiment cool le système d’intégration qu’ils font à la CCI. Tu ne te sens jamais seul face à tes difficultés.

Je ricane.

  • La fac pourrait s’en inspirer. Nous non plus, on ne se sent jamais seuls, mais c’est surtout parce qu’on est tous paumés ensemble. Si on se désolidarise, autant abandonner tout de suite.
  • C’est ça qui te travaille ? Tu veux laisser tomber la fac ?

Je hausse les épaules. Pour la première fois de la soirée, je me sens mieux. Je pense à moi, et plus aux garçons.

  • Pas vraiment, non. Je ne sais pas si c’est ce que je veux faire, mais je trouve les cours intéressants, pour la plupart. En vrai, je n’ai aucune idée du métier que je voudrais exercer. Mais il fallait bien aller quelque part. Je n’ai pas l’intention de quitter la fac. Et puis mon dossier ne serait pas assez bon pour être accepté ailleurs.
  • Arrête, tu n’es pas plus mauvaise qu’une autre. Il y a de la concurrence, oui, mais tu trouveras ce dont tu as besoin. Tu verras, quand ce sera le moment, tu trouveras. J’en suis certaine.

Je souris et pose ma tête sur son épaule. Oriane est rafraîchissante. J’aurais dû venir lui parler il y a des heures, ça m’aurait évité la prise de tête. Il n’y a qu’elle pour chasser les nuages noirs de mon horizon de pensées. Elle est la douce brise qui éclipse l’orage et ramène le soleil dans mes émotions. Même quand je vois tout en noir, quelques mots lui suffisent pour me remotiver.

  • Ce n’est pas ça ton problème, pas vrai ?

Elle lit en moi comme dans un livre ouvert. Autant crever l’abcès. Si quelqu’un peu m’aider à faire le tri dans mes sentiments, c’est elle.

  • En fait, je me suis disputé avec Liam aujourd’hui. Méchamment.

Je lui raconte tout, en détaille. Elle explose de rire quand j’évoque ma réponse concernant ma langue et les endroits où elle avait traîné. Enfin, je parle de Zek et de mes doutes à son sujet.

  • Tu crois que Zek pourrait être Zorro? demande mon amie.
  • Je ne sais pas. Il aurait une bonne raison de ne pas vouloir être reconnu. Je ne me souviens pas du tout de ce qu’il portait. En fait, je ne me souviens pratiquement que de Liam et Hyas.
  • Hormis Zorro!

Je lève les yeux au ciel et grogne.

  • Oui, sauf Zorro.
  • Pourquoi eux en particulier ?

Je sens la chaleur dans mes joues.

  • Parce qu’ils étaient bien entourés. Ils étaient chacun avec une fille. Et cet hypocrite de Liam, il ose me faire la leçon alors qu’à Halloween, il avait le nez entre les seins d’une sorcière.
  • C’était peut-être sa copine ? propose Oriane sans conviction. Et Zek?
  • Je l’ai croisé, mais je ne rappelle pas grand-chose. Je ne pensais qu’à m’enfuir.

Je soupire.

  • Ça me travaille. Imagine si c’est Zek!
  • Tu voudrais que ce soit lui ?
  • J’en sais rien du tout. Il est super gentil, toujours rassurant. Dans ses bras, je me sens bien, en sécurité. Mais qu’est-ce qui se passerait si c’était lui ? Ou si ce n’était pas lui ! Et même si c’est lui, mais que sans l’excitation du jeu et de l’inconnu, il ne me fait aucun effet ? Surtout s’il ressent quelque chose ! Je fais comment pour le regarder en face ?

Elle sourit.

  • Toi, tu as besoin de te détendre. Peut-être qu’il faut simplement que tu arrêtes d’y penser. Si les choses doivent se faire, elles se feront. Te prendre la tête ce soir ne t’avancera pas plus.

Va te reposer. Demain, on mange ensemble et séance shopping. Ça te dit ?

Je hoche la tête. Ne plus y penser, c’est facile à dire. Cependant, avoir parlé m’a aidé à évacuer ma tension, et l’attente de la séance shopping me fait du bien.

C’est l’esprit plus léger que je me rends à la fac le lendemain. J’évite de penser à Zek ou à Zorro et je profite du bavardage de mes condisciples.

Quand midi arrive, j’ai hâte de retrouver Oriane. J’arrive devant le restaurant asiatique que nous adorons, près de la mairie, entre et stoppe tout net.

Mon amie rit, attablée avec Hyas. Qu’est-ce qu’il fait là ? J’hésite à faire demi-tour, mais il me repère. Avec de grands signes, il m’invite à leur table.

J’approche, mal à l’aise. Oriane serre ses mains l’une contre l’autre dans un geste d’excuse.

  • Je suis vraiment désolée !

Hyas se lève.

  • Ne lui en veut pas, je ne lui ai pas laissé le choix ! J’étais inquiet pour toi. Et un peu curieux de tous les détails croustillants !

Il me fait un sourire désarmant de petit garçon pris en faute et me serre contre lui pour me saluer. Il chuchote à mon oreille, son souffle me fait frissonner.

  • Ne fais pas la tête, Minimoy.

J’émets un grognement pour toute réponse.

  • Allez… Je te promets que j’ai seulement envie de me payer la tête de Liam !

Je m’assois sur la chaise qu’il me tire, à côté d’Oriane.

  • Alors, tu sais tout ?

Il s’installe en face, pose un coude sur la table et s’appuie dessus, comme prêt à boire mes paroles.

  • Je suis bien certain que non, justement. Tu me racontes ?
  • Que sais-tu ?

Il hausse les épaules.

  • Seulement ce que Liam et Zek ont raconté au conseil de guerre, hier soir.

Je me sens devenir écarlate et me dissimule derrière mes mains jointes. C’est la honte de ma vie. Hyas ricane. Visiblement, il s’amuse beaucoup. Ma voix est à peine audible derrière mon paravent quand je l’interroge.

  • Qu’est-ce qu’ils ont raconté ces deux blaireaux ?
  • Qu’un mec t’avait embrassé et que Liam avait failli lui casser la gueule. Sauf qu’il paraît que ça t’aurait mise dans une colère noire et que tu l’aurais envoyé se faire foutre.

À présent, il est hilare.

  • Si tu veux mon ami, il ne l’a pas volé !

Je sors un œil de ma cachette. Il a l’air sincère.

  • Comment a réagi Kurt ?

Nouveau haussement d’épaules.

  • Tu le connais. Il serait allé directement chez toi si on ne l’avait pas retenu.

Je geins. J’ai envie de me cacher sous la nappe et de disparaître.

  • Il n’y aura pas de répercutions, ne t’inquiète pas. Tu es grande, tu peux faire ce que tu veux.

J’ouvre des yeux ronds. Je deviens folle ou Hyas vient de dire que j’étais libre ? Je regarde Oriane qui pouffe entre ses doigts pour retenir son fou rire.

  • Tu devrais voir ta tête ! plaisante Hyas. Zek a essayé de faire comprendre à ton frère que tu es une grande fille maintenant. C’est vrai quoi, il ne peut pas te fliquer à vie ! Surtout qu’il a un train de retard le pauvre !

Je tressaille. Que sait-il exactement ?

Il continue sans percevoir mon désarroi.

  • J’avoue avoir mis de l’huile sur le feu, mais il doit arrêter de se prendre pour ton père. Qu’il le veuille ou non, tu finiras par trouver quelqu’un. Tu te doutes qu’il est monté sur ses grands chevaux, mais on a fini par le calmer.

Il se tait et m’observe attentivement. J’ignore ce qu’il cherche, mais je me sens mise à nu sous son regard scrutateur. Heureusement, le serveur vient prendre notre commande à ce moment.

Le repos n’est cependant que de courte durée. Sitôt l’homme parti, Hyas bois une gorgée d’eau et reprend.

  • Alors ? Que s’est-il vraiment passé ?

Je me tourne vers ma meilleure amie, qui lève les mains comme pour se rendre.

  • Je n’ai rien dit ! Et pourtant il a essayé de me cuisiner.

Je soupire.

  • Ok. J’ai demandé à un étudiant de m’embrasser.

Hyas avale son eau de travers et se met à tousser comme un perdu.

  • Oui ! m’exclame-je. Je lui ai demandé ! Ça te pose un problème ?

Incapable de parler, des larmes plein les yeux, il secoue la tête pour affirmer que non. Je me détends.

  • Je voulais seulement faire un test. Mais ça n’a pas été concluant. Et c’est un euphémisme. Alors, j'ai essayé de me dégager. Il ne m’a pas laissé faire. J’ai voulu lui mettre un coup de latte. J’allais très bien jusqu’à ce que Liam rapplique en mode mâle alpha. Du coup, je l’ai envoyé au diable. C’est tout.
  • Avec un peu de provoc en prime, ajoute Oriane, un sourire de conspiratrice aux lèvres.
  • Je vois… répond Hyas. J’aurais tellement aimé te voir remballer ce gros bourrin ! Raconte-moi tous les détails ! Tu n’as pas dû y aller de main morte, il était vraiment en rogne.

Il toussote toujours, mais arrive à articuler malgré tout.

  • Hor de question ! La moitié de la fac a déjà assisté à notre engueulade, ça suffit.

Il arbore une moue boudeuse. Boudeuse et craquante, faut-il préciser. Toutes les expressions de ce garçon sont craquantes et il le sait. Je croise les bras. Je ne céderai pas.

  • Je peux te poser une question ? reprend-il.

Je hoche la tête. Oriane nous fait signe qu’elle nous abandonne quelques minutes. Hyas plante ses yeux d'un bleu profond dans les miens.

  • C'était quoi ce test ?
  • Un jour, dis-je en soupirant, j’ai embrassé un gars pendant un jeu. Sauf que je ne pouvais pas voir son visage. Il disait que c’était lui. J’ai voulu vérifier. Ce n’était qu’un baiser. Ça n’avait pas d’importance.
  • Donc ce n’était pas le type en question.
  • Aucun doute là-dessus !
  • Il t’a marquée, on dirait.

Je porte par réflexe ma main au suçon qui orne toujours mon épaule. Je prie pour que mon geste passe inaperçu.

  • Et… si ça avait été lui ? Tu aurais fait quoi ?

Je hausse les épaules.

  • Je ne sais pas. Je lui aurais probablement proposé de sortir avec moi un soir.

Il réfléchit quelques instants avant de reprendre, grave.

  • Alors, il te plaît vraiment ce mec ?

Je baisse la tête et réponds dans un murmure.

  • Je ne sais pas. Je crois, oui.
  • Difficile à dire avec un simple baiser, c’est ça ?

Je lui donne une pichenette et réponds sur le ton de l’humour.

  • Tu es un expert sur le sujet !
  • Je suis le roi du baiser enfiévré ! plaisante-t-il avant de reprendre plus sérieusement. Tu crois que quelqu’un qui embrasse si facilement peut-être quelqu’un de bien ?

Je lève un sourcil, perplexe.

  • Tu embrasses tout ce qui bouge, lui rappelé-je.
  • C’est vrai.

Son regard profond me coupe le souffle.

  • Tu penses que je suis quelqu’un de bien ?

Je sens mes joues s’empourprer. Il n’y a pas à dire, Hyas sait utiliser son charme, même sans le vouloir. Avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus expressifs, il a de quoi faire craquer toutes les filles. Je dois avouer que quand il sort sa guitare, il me fait vibrer.

Je baisse les yeux pour dissimuler mon trouble et bredouille la vérité.

  • Tu es un séducteur, mais tu es gentil.
  • Ça veut dire que si je t’embrassais, tu oublierais les autres filles et tu me ferais confiance ?

Sans détacher son regard, il s’appuie négligemment sur son poing. Où veut-il en venir ? Est-ce une proposition ? Ou un aveu ? Je recommence à me faire des films… je dois arrêter tout de suite. De toute façon, à Halloween, Hyas était justement avec une fille dans le jardin. Ça ne peut pas être lui Zorro.

  • Je ne comprends pas, bredouillé-je.
  • C’est simple. Tu penses que ce serait une bonne idée de faire confiance à un séducteur comme moi ? Qu’est-ce qui te prouve que tu ne serais pas juste une fille de plus que je mettrais dans mon lit ?

Je réfléchis.

  • C’est vrai que rien ne prouve que je serai plus qu’une conquête supplémentaire. Mais est-ce que c’est grave ? Je veux dire…

Le serveur nous interrompt en amenant nos plats. Hyas fronce les sourcils. Il est mécontent. À cause de ma réponse ou d’avoir été interrompu ? Aucune idée.

Oriane revient, elle aussi, et s’installe à mes côtés. Elle demande de quoi nous avons parlé et enchaîne sur des banalités. La discussion à cœur ouvert est terminée.

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