3. L’homme masqué 

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Ce garçon dont j’ignore le nom et les traits pose une main hésitante sur ma joue. Avec lenteur, son visage s’approche du mien. Je le sens fébrile quand sa bouche frôle la mienne. Avec une extrême délicatesse, il dépose ses lèvres chaudes sur les miennes, puis recule. 

Mon cœur tambourine à un rythme effréné. Je crois que j’ai trop bu. J’aime cette douceur, mais en cet instant, je désire davantage qu’un chaste baiser. On dirait que mon inconnu a peur de me briser, telle une poupée de porcelaine. 

Serait-ce son premier baiser? C’est peut-être la raison de sa peur et de son émoi? 

Qu'à cela ne tienne! Je prendrai les choses en main. Tête basse, je glisse mes doigts sur sa chemise noire, l’agrippe, et l’attire à moi. Je lui rends son baiser de façon plus assurée. Je ne l’effleure pas. Je scelle ma bouche à la sienne, le pousse à approfondir cette étreinte coupable. 

Aussitôt, il se soumet à ma volonté. Sa main libre passe dans mon dos et m’enlace fermement. Collée à son torse ferme, je sens son cœur affolé battre encore plus vite que le mien. Il m’embrasse encore et encore, de plus en plus impatient. J’ignore tout de lui, pourtant, il me découvre, me caresse.

Je n’avais jamais rien vécu d’aussi excitant. 

Quand il entrouvre les lèvres, je mêle sans hésiter ma langue à la sienne. Il passe sa main dans mes cheveux et arrache à moitié ma perruque. Il me presse plus fort contre son torse. Incapable de me fondre en lui, je passe une jambe de l’autre côté de sa silhouette masquée et m’asseois sur lui, sans lâcher sa bouche. Il gémit.

Dieu! Qu’il embrasse bien! Je doute qu’il soit aussi inexpérimenté que je l’avais cru. 

Sa main glisse le long de mon dos, jusqu’au creux de mes reins. Ses doigts se referment sur ma fesse, palpant avidement mes rondeurs. Son autre main va caresser la peau nue de mon ventre. Puis elle remonte. Frôle mon corset, chatouille ma poitrine. 

J’en veux encore. Sa fragrance musquée m'enveloppe. Mon bas-ventre s’affole. Je le sens entre mes jambes. Je halète. J’ouvre un à un les boutons de sa chemise. Mes doigts courent sur ses abdos. J’embrasse sa peau brûlante, son cou, ses épaules, ses pectoraux. Il soupire et me capture à nouveau de ses baisers. Je libère mes lèvres et le force à me regarder.

  • Qui es-tu? dis-je le souffle court.

Il grogne, mécontent d’être séparé de moi. 

  • Zorro, répond mon inconnu avec des intonations frustrées.

Sa voix est toujours aussi basse et dure. Je suis incapable de la reconnaître. Pourtant, elle m’évoque quelque chose, j’en jurerai. 

Il m’attire à nouveau vers lui, délicatement, comme pour me laisser le soin d’accepter ou de refuser son invitation silencieuse. Je me laisse guider. Il reprend son exploration de ma bouche, puis attrape mon cou et bascule ma tête. Il libère mes lèvres et fait courir les siennes le long de ma mâchoire. Elles effleurent ma peau en direction de mon cou. Je m’accroche à ses épaules alors qu’il mordille ma gorge offerte. Il écarte la bretelle de mon haut et s’attarde sur la naissance de ma clavicule. 

J’embrasse son cou, seule partie de lui que je peux atteindre. J’essaie d’enlever son chapeau mais il le rattrape immédiatement en secouant la tête. Il murmure un « non » que je ne suis même pas certaine d’entendre. 

Avant que j’ai le temps d’ajouter quoi que ce soit, il s’est à nouveau emparé de mes lèvres. Ses mains jouent avec les lacets de mon corset, mais ne les dénouent pas. Elles se glissent sous le fourreau de tissu, tant bien que mal. Il caresse ma chair nue. 

Ses baisers abandonnent ma bouche pour descendre sur mon cou, ma gorge, la naissance de mes seins…

Toc! Toc! Toc!

Nous sursautons tous les deux. Aussi vif que l’éclair, il réarrange ma perruque et lisse mes vêtements puis referme les siens. Je réalise que les sept minutes sont écoulées et que les fêtards nous attendent à l’extérieur du cellier.

Zorro, me repousse et se lève. J’inspire profondément pour calmer ma respiration. Debout, près de la porte, il me tourne le dos, mais je sais qu’il fait la même chose. Je distingue ses épaules qui se lèvent et s’abaissent encore trop vites. 

Il pose sa main sur la poignée. Je le rejoins et m’agrippe à son bras.

  • Dis-moi qui tu es!

Il ne me regarde pas, se dégage de mon étreinte, pousse la porte et s’enfuit. 

Comme à chaque sortie, il y a des sifflets et des vivats. Quoi qu’il se passe, c’est le même rituel. Tout le monde se fiche qu’il se passe réellement quelque chose ou non. Ça ne regarde que les participants. Mais la vérité, c’est que tout le monde imagine toujours des choses inavouables, et parfois, c’est le cas. 

Je cligne des yeux, éblouie par la lumière tamisée de la cuisine après le noir du cellier. Le temps que je m'habitue à la lumière, j’aperçois seulement Zorro qui quitte la pièce. 

J’entends les autres rire de bon cœur.

  • Holala! Tu nous l’a vexé! 
  • Qu’est-ce qui s’est passé? Tu n’as pas voulu le laisser faire joujou? 
  • Mais non! Il lui a sûrement avoué ses sentiments et elle nous l’aura envoyé balader!

Les théories s’enchaînent, mais je les entends à peine. Je ne pense qu’à lui. Il m’a complètement faite chavirer. Je veux savoir qui il est. 

Je me précipite à sa suite. Je cherche dans la foule un homme tout en noir. Le problème, c’est que c’est Halloween, du noir, il y en a partout! 

Je slalome entre les danseurs. Rien. J’aperçois Kurt, déguisé en pirate qui sert à boire à une fille. Je repère un chapeau noir. Je m’approche, bousculant quelques personnes. Je marmonne des excuses sans prendre la peine de regarder à qui je les présente. Mon cœur s’emballe. Zorro est devant moi, en train de danser. 

Je pose ma main sur son épaule. Il est plus grand que je ne l’avais cru. Il se tourne vers moi et me dévisage de la tête aux pieds d’un air appréciateur. Un sourire illumine son visage, dégoulinant de concupiscence.

  • Salut ma belle! Tu veux danser?

Sa voix crayeuse m’irrite les tympans. Sans attendre de réponse, il commence à se trémousser dans ma direction. Ce n’est pas lui. Ça ne peut pas être lui. Et sa prestation n’a rien de sexy, elle est plutôt écœurante.

Je bredouille des excuses, expliquant que je l’ai pris pour quelqu’un d’autre, et m’esquive au plus vite. Si je me trompe et que c’est lui, je n’ai aucune envie de le revoir. 

Je poursuis mes recherches inlassablement. Je passe de groupe en groupe, de pièce en pièce. Je tombe sur Yanis avec un pull rayé rouge et vert, un faux gant à griffes et un chapeau. Il n’a cependant pas poussé jusqu’à se faire des cicatrices sur la figure. Je m’éclipse avant qu’il me voit.

Je désespère de retrouver mon Zorro. Il est peut-être parti… Mon cœur se serre. Je voulais le revoir. Je voulais savoir qui il était. C’est stupide. Ce n’était qu’un jeu. Je ne sais rien de lui. Il est peut-être affreusement moche. Et puis c’est bizarre de ne pas ouvrir la bouche comme ça. Je devrais arrêter de penser à lui. C’est une bonne chose qu’il ait disparu. 

Alors pourquoi ce picotement sous mes paupières? Pourquoi est-ce que des larmes se bousculent pour sortir aux coins de mes yeux? C’est probablement l’alcool qui parle.

J’aperçois Romain qui rigole avec quelques personnes que je ne connais pas. J’ai besoin d’aide. 

Je le rejoins. Il voit ma tête et comprend immédiatement que quelque chose cloche. Il s’excuse auprès de ses amis et m’emmène à l’écart.

  • Que se passe-t-il? 
  • Tu n’aurais pas vu un type déguisé en Zorro par hasard?

Il écarquille les yeux et siffle.

  • Tu t’es trouvée un mec? Je croyais que ce n’était pas envisageable avec tes gardes du corps dans les parages.
  • Pas vraiment. Je le cherche c’est tout. 
  • Je n’ai pas remarqué de Zorro, mais je peux t’aider à le trouver. Comment il s’appelle?

Je baisse les yeux. Je ne connais même pas son nom. Heureusement pour moi, Romain est observateur, et pas du genre à juger. Il comprend.

  • Pas de soucis. S’il est encore là, on va le trouver. 
  • J’ai déjà cherché partout. Il y a un Zorro sur la piste de danse, mais ce n’est pas lui. 
  • Tu es allée voir dans le jardin?

Je secoue la tête. 

  • Ok, on va voir. Je regarde devant, toi derrière et on se rejoint. Tu as ton portable?
  • Oui. 
  • Si l’un de nous le trouve, il prévient l’autre. 

Je hoche la tête et me dirige vers l’extérieur. Ce n’est qu’une fois sur la terrasse que je réalise qu’il fait froid. Ma veste est quelque part dans l’entrée. Tant pis, je ne compte pas rester longtemps. Je jette un coup d’œil et je repars. 

En survolant l’endroit du regard, je m’aperçoit qu’il n’y a que deux types de personnes dehors. Les fumeurs / vapoteurs et les couples. 

Sur le canapé, je vois Hyas, vêtements déchirés et cheveux décoiffés, embrasser langoureusement une jolie blonde dont la jambe grimpe sur lui. 

Je détourne les yeux et observe les endroits sombres où un costume noir passerait inaperçu. 

J’entends des gémissements. Derrière un arbre, je me retrouve face à Liam, chemise noire entrouverte et jean déchiré, le visage enfoui dans le décolleté d’une grande brune. Sa main est glissée sous le t’shirt de la fille déguisée en sorcière et masse sa poitrine. Elle, elle a la jambe levée, accrochée à la hanche de son amant. Il a du rouge à lèvre dans le cou.

J’écarquille les yeux, figée par l’horreur de les avoir surpris. Je hoquette.

  • Oh! Désolée! 

Liam se redresse instantanément et croise mon regard, aussi effaré que moi. Je fais demi-tour et m’enfuis en courant.

  • Faites comme si je n’étais pas là!

Mon cœur bat à cent à l'heure. Je sors avec eux depuis des années. Je les ai déjà tous surpris avec des filles. Mais jamais dans une position aussi intime. Ils ont toujours fait l’effort de s’éclipser pour que je n’ai aucune chance de les surprendre. Sauf qu’aujourd’hui, ils ignorent que je suis de la partie. Est-ce que Liam a reconnu ma voix? Je ne veux pas que les garçons sachent que j’étais là…

Je percute une masse maigre mais solide. Il me rattrape quand je perds l’équilibre sous l’effet du choc.

  • Désolée. 
  • Pas de soucis, répond la voix prévenante de Zek. Tout va bien? 

Il scrute mon visage. Il va me reconnaître, c’est sur. Il a entendu ma voix et j’ignore si la combinaison de mon masque et de la pénombre suffiront à le tromper. 

Je ferme la bouche et détourne les yeux. Je hoche la tête et tente de repartir. Il me retient. 

  • Tu es sûre? Tu ne veux pas t’asseoir une minute? Tu es très pâle. 

J’ai envie de lui répondre « c’est le costume » mais je préfère ne pas faire entendre ma voix, même en la modifiant, c’est risqué. Je le repousse avec délicatesse en faisant non de la tête. 

  • On se connaît? demande-t-il en cherchant à voir mon visage.

Je hausse les épaules, retire sa main de mon bras et reprends ma course. Cet endroit est trop dangereux. 

Je rejoins Romain aussi vite que possible.

  • Ça va? demande mon ami.
  • Pas terrible. J’ai trop peur d’être reconnue. 
  • Et alors? Si tu as déjà trouvé un mec, ils ne peuvent plus rien y faire. Allez, viens boire un coup. Ça te fera du bien.
  • A vos ordre, je m’incline. Mais je te préviens, maintenant je suis déprimée et j’ai besoin de me laver les yeux à l’acide.
  • Pourquoi? m’interroge Romain en me guidant vers le bar.
  • J’ai vu Hyas avec une meuf pratiquement assise sur lui, et Liam en pleine action… 
  • Quoi? Tu as vu Liam a poil?

Je plaque mes mains sur sa bouche. 

  • Chut! Tu cries espèce d'abruti! Non, Liam était habillé mais il avait le nez dans les seins d’une fille avec la jupe remontée jusqu’à la taille.

Mon ami déguisé en Joker me propose de m’installer sur un canapé pendant qu’il va nous chercher à boire. Sans alcool pour moi, j’ai assez bu. Même si mon appartement est tout près, je préfère éviter de faire plus de bêtises.

Oriane, tout sourire, se pose à mes côtés. Sa tenue de poison Ivy semble un peu froissée et elle transpire.

  • Coucou! Alors, ta soirée se passe bien? 

Je la regarde et fais la moue.

  • Oh… répond ma colocataire. Ils t’ont reconnue et enfermée dans un placard parce que tu étais trop provocante?

Je ris.

  • Si tu savais à quel point tu es près de la vérité! 
  • Eh bien raconte, demande Romain en me tendant un verre de coca. 

Je hausse les épaules et bois une gorgée de ma boisson.

  • Il n’y a pas grand chose à dire.
  • Chérie, tu m’as fait crapahuter dans le jardin à la recherche d’un type habillé en Zorro. Maintenant je veux tous les détails!

Oriane ouvre des yeux ronds. 

  • Là, t’es obligée de tout dire!
  • Ok. 

Je réfléchis. Par où commencer?

  • Quand on s’est séparé, j’ai joué à sept minutes au paradis avec quelques personnes. 

Mes amis étouffent des exclamations et des rires.

  • Je me suis retrouvée enfermée avec un mec en costume de Zorro. Il m’a plu mais il s’est enfui. Voilà. C’est tout. Je ne l’ai pas retrouvé et ça me déprime. Et toi Oriane? Tu as l’air de t’être bien amusée aussi!

Ma tentative pour détourner l’attention échoue lamentablement quand, au lieu de me raconter sa rencontre de la soirée, Oriane s’exclame: 

  • Oh mais non! C’est quoi ça?

Elle écarte ma bretelle d’où dépassait un magnifique suçon. Elle rit et Romain l’imite.

  • Il t’a plus hein? ricane-t-elle. C’est tout?

Je rougis comme une pivoine réalisant qu’il a laissé une marque bien visible de ce que nous avons fait sur ma peau. Je jure entre mes dents et prie pour s’unît n’y en ait pas d’autres.

  • C’est rien ma chérie! me rassure Oriane. Je te taquine, mais je suis surtout contente que tu te sois trouvée quelqu’un.
  • Sauf que je ne me suis trouvée personne! J’ai fait mumuse avec un inconnu dans le noir! 
  • Il n’y a aucun mal à ça, ajoute-t-elle sans détourner les yeux.
  • Il a fait une marque prouvant son passage et je ne sais même pas qui il est! Je ne connais ni son nom, ni son visage, ni sa voix. Et maintenant si Kurt voit ça, il va me faire subir un interrogatoire jusqu’à ce qu’il sache d’où ça vient! 
  • Tu ne sais rien de rien? demande Romain abasourdi. Comment a-t-il pu tout cacher?
  • Il faisait noir, il avait un masque et il n’a quasiment pas ouvert la bouche.

Oriane me tend le dos de sa main et me dit de la taper. Je sais ce que ça veut dire. Elle va dire une grosse connerie… J'obtempère et la frappe.

  • Il n’a pas ouvert la bouche, à part pour te couvrir de suçons!

Nous rions tous les trois et je confirme. Effectivement, il a beaucoup ouvert la bouche, mais pas pour parler. Je repense à ses baisers, à ses caresses, à ses dents et à sa langue sur ma peau. Ma respiration s’emballe et mon ventre s’enflamme rien que par ce souvenir.

  • Le pire, finis-je par avouer, c’est que je meurs d’envie de le revoir. Mais c’est impossible. A la seconde où la porte s’est ouverte, il a filé dans un mot et sans un regard en arrière.

Mes amis se regardent, désemparés.

  • Tu étais présentable au moins? demande Oriane. 
  • Oui. C’est assez étrange d’ailleurs. Il a pris le temps de remettre ma perruque comme il faut et de nous rendre corrects tous les deux avant de sortir.
  • Il ne voulait pas qu’on sache ce qu’il avait fait avec toi. Il a peut-être une copine? propose Romain. Dans ce genre de jeu, certains en profitent pour s’amuser… sans conséquences. Si c’est ce genre de type, dis-toi que c’est mieux si tu ne le revois pas.
  • C’est possible…

Cherche dans ma mémoire, quelqu’un que je connais et qui aurait une copine. Ça expliquerait à la fois pourquoi il ne voulait pas que je le reconnaisse et pourquoi il avait fui. Je ne vois pas du tout qui il peut être. Je soupire.

  • Je rentre. Je suis fatiguée et je veux vérifier qu’il n’y a pas d’autres marques. Amusez-vous encore, ne vous privez pas pour moi.
  • Je t’accompagne, propose Romain.
  • Pas la peine, l’appart est à deux pas.
  • Je sais bien, mais quand même. Je serai sûrement moins efficace que toi en cas d’agression, mais on s’attaque moins facilement à un mec qu’à une jolie fille.

J’accepte sa proposition, me lève, récupère mes affaires et file dans les rues désertes accompagnée de mon chevalier servant. 

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